Si, en cas d’urgence, le médecin peut passer outre le consentement du patient et les directives anticipées, il ne peut pas volontairement mettre le patient hors d’état d’exprimer sa volonté pour déroger au refus de soins exprimé.  (CAA Bordeaux 19/10/2022)

 

Les faits

Une patiente doit subir un examen par coelioscopie. Dans cette perspective, elle informe les médecins de son refus d’être transfusée. Les médecins lui proposent comme alternative de prévoir l’auto conservation de son sang, ce que la patiente accepte. En parallèle, la patiente remet un document, actant son refus de toute transfusion, intitulé « instructions médicales circonstanciées » qui sera conservé dans son dossier médical. Au décours de l’intervention, une perforation engendre une hémorragie mettant en jeu le pronostic vital de la patiente. La patiente est alors auto transfusée mais les quantités conservées sont insuffisantes. Devant cette situation d’urgence vitale, les médecins décident de passer outre les directives de la patiente et la transfusent au bloc opératoire et à son entrée en réanimation, alors que la patiente est toujours inconsciente. Dans les jours qui suivent, l’état de la patiente se détériore. Les médecins informent la patiente de la situation et celle ci refuse toute transfusion. Un traitement médicamenteux alternatif lui est alors administré. Cependant, l’état de santé de la patiente continue de décliner et son pronostic vital est de nouveau engagé à court terme. Après une nouvelle information par les médecins, la patiente réitère son refus de transfusion. Lors d’une réunion collégiale, les médecins décident alors de sédater la patiente afin de la transfuser. L’état de santé de la patiente s’améliore et la patiente peut rentrer chez elle 15 jours après. Dans l’année qui suit cette prise en charge, la patiente demande son dossier médical et découvre qu’elle a été transfusée malgré son désaccord. Elle engage la responsabilité de l’hôpital notamment pour non respect de son refus de soin.

 

L'analyse

Si le non respect de la volonté de la patiente, pourtant clairement énoncée, est justifié par l’urgence médicale engageant le pronostic vital à brève échéance et alors même que la patiente est inconsciente, il n’en est pas de même pour le refus de prise en charge réitéré alors que la patiente est consciente.

     1. S’il est possible de déroger à la volonté de la patiente…

Après avoir étudié la situation médicale précise dans laquelle était placée la patiente et examiné l’ensemble des textes en vigueur tant en France que dans l’Union Européenne, les juges ont validé la décision des médecins de s’écarter de la volonté de la patiente. Les médecins, qui connaissaient le refus de la patiente de recevoir tout type de transfusion sanguine, ont dérogé à la volonté de la patiente; pour ce faire, ils ont considéré que :

  • les directives anticipées de la patiente étaient inappropriées à la situation médicale en cours,
  • que la situation était urgente,
  • que la situation engageait le pronostic vital à brève échéance,
  • qu’ils étaient dans l’impossibilité de consulter la patiente.

Cette situation répond aux exigences de l’article L. 1111-4 alinéa 5 du code de la santé publique qui permet de ne pas recueillir le consentement du patient à un acte de soin et de l’article L. 1111-11 alinéa 3 du même code qui prévoit le refus d’application des directives anticipées par un médecin.

Dans cette situation, le non respect de la volonté de la patiente par les médecins est validé par les juges.

 

     2. ...tous les moyens ne sont pas permis.

En revanche, la situation de la dernière transfusion est appréciée différemment.

En effet, la patiente est consciente. Elle est informée à plusieurs reprises de la détérioration de son état de santé et de l’engagement à brève échéance de son pronostic vital. Un palliatif médicamenteux à la transfusion lui est administré qui se révèle insuffisant. La patiente persiste et réitère son refus de soin malgré les conséquences encourues. Les médecins décident alors, collégialement, de sédater la patiente aux fins de pouvoir contourner son refus de soins et de procéder à la transfusion.

Cette manoeuvre a été sanctionnée par les juges, les conditions d’application de la dérogation à la volonté de la patiente n’étant pas réunies. Les juges considèrent que l’attitude des médecins constitue un manquement au respect du consentement du patient ce qui engage la responsabilité de l’établissement. La patiente est indemnisée au titre de la souffrance morale et des troubles dans les conditions d’existence constitués par le non respect de sa volonté.

 

Conclusion

S’il est possible de déroger au consentement aux soins, c’est dans les hypothèses strictement énumérées par la loi et appréciées in concreto par les juges de l’urgence vitale et de l’impossibilité pour le patient d’exprimer sa volonté.


A défaut de ces situations, la volonté du patient s’impose aux médecins… quoi qu’il en coute…