Poursuivi pour des faits de séquestration, violences et tentative d'atteinte sexuelle aggravées commis en mai 2014, un prévenu s’était vu condamner par un tribunal correctionnel à deux ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis et mise à l'épreuve.

Sur son appel et celui du ministère public, il fut condamné à deux ans d'emprisonnement par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 25 juin 2019, contre lequel il se pourvut en cassation.

Il ressortait du moyen invoqué devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation que l’aménagement de cette peine lui avait été refusé par la Cour d’appel au motif de l’absence, en l'état du dossier, d'éléments matériels suffisants.

L’auteur du pourvoi soutenait que la Cour d’appel n’aurait pas justifié sa décision au regard des articles 132-19, 132-24 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, dès lors « qu'il résultait notamment, tant des éléments recueillis au cours de l'enquête de flagrance que des déclarations du prévenu à l'audience et des pièces qu'il avait produites devant elle à cette occasion qu'il avait une situation professionnelle stable d'analyste financier avec un salaire de l'ordre de 15 000 euros par mois, qu'il s'était remarié depuis mai 2016, que le couple avait trois enfants à charge, dont deux lui étaient propres et l'un d'eux souffrait d'handicap, que son épouse était enceinte et qu'il était suivi par deux professionnels, un psychiatre et un addictologue ».

En tant seulement qu’il statuait sur les peines, son arrêt a été cassé par un arrêt de la Chambre criminelle du 20 octobre 2020 (n° 19-84754).

La Cour de cassation s’est d’abord prononcée sur l’application dans le temps de la réforme du  régime  d’aménagement des peines par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, entrée en vigueur le 24 mars 2020, bien que l’arrêt attaqué ait été rendu avant cette date.

Il s’agissait ainsi de « déterminer au préalable si les dispositions de cette loi relatives au prononcé et à l'aménagement de la peine d'emprisonnement sans sursis sont susceptibles de constituer une loi pénale moins sévère qui, par application de l'article 112-1, alinéa 3, du code pénal, devrait s'appliquer aux infractions n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée », auquel cas, la Cour de cassation « (aurait dû), sans examiner les moyens qui critiquent l'arrêt attaqué au regard de la loi ancienne, annuler cet arrêt afin que l'affaire soit jugée à nouveau selon les dispositions de la loi nouvelle. »

En premier lieu, elle a recherché « si les dispositions relatives au prononcé et à l'aménagement de la peine d'emprisonnement sans sursis, qui figurent à l'article 74 de ladite loi, lequel modifie ou créé notamment les articles 132-19, 132-25 et 132-26 du code pénal et 464-2, 474 et 723-15 du code de procédure pénale, forment un ensemble indivisible qui devrait faire l'objet d'une comparaison globale avec la législation antérieure ».

Son analyse s’est appuyée sur le « double objectif » de la réforme du régime de l’aménagement des peines par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, tel qu’il était notamment exposé par le rapport qui y était annexé, à savoir, à la fois, « limiter le recours aux courtes peines d'emprisonnement » et « rendre effectives les peines d'emprisonnement prononcées pour des durées plus longues ».

Le premier de ces objectifs a ainsi conduit le législateur à prohiber les peines d'emprisonnement sans sursis inférieures ou égales à un mois, et à renforcer l’obligation de motivation des peines d'emprisonnement inférieures ou égales à six mois.

A l’inverse, le second objectif s’est traduit par la suppression, « sans autre mesure corrélative, (de) la possibilité d'un aménagement des peines d'emprisonnement comprises entre un et deux ans, que ce soit par la juridiction qui prononce la peine ou par le juge de l'application des peines, (et l’institution de) la faculté, pour la juridiction, de délivrer un mandat de dépôt à effet différé lorsque l'emprisonnement est d'au moins six mois. »

Ayant constaté que « ces dispositions relèvent, pour certaines, de la catégorie des peines, pour d'autres des formes de la procédure, pour d'autres encore du régime de l'exécution des peines (et que) certaines figurent dans le code pénal, d'autres dans le code de procédure pénale », la Chambre criminelle de la Cour de cassation en a déduit « qu'elles doivent, au regard de leur application dans le temps, être envisagées séparément les unes des autres. »

En deuxième lieu, elle a ensuite « (recherché) si, considérées individuellement, les dispositions qui privent les juridictions correctionnelles de la faculté d'aménager les peines d'emprisonnement qu'elles prononcent, lorsque celles-ci sont supérieures à un an d'emprisonnement, entrent dans la catégorie des lois relatives aux peines visées à l'article 112-1, dans celle des lois fixant les modalités de poursuites et les formes de la procédure visées à l'article 112-2, 2°, ou dans celle des lois relatives au régime d'exécution et d'application des peines visées à l'article 112-2, 3°, du code pénal. »

Il lui a paru exclu que les dispositions nouvelles d’aménagement de ces peines puissent relever de la deuxième de ces trois catégories, dès lors qu’il convenait de considérer isolément la suppression de la possibilité d'aménager une peine d'emprisonnement, alors que « prises dans leur ensemble, les dispositions relatives au prononcé et à la mise à exécution des peines d'emprisonnement, issues de la loi nouvelle, (auraient pu être considérées) comme fixant des modalités de poursuites et des règles de procédure. »

Par suite, les « dispositions (en cause ne pouvaient) être classées que dans la catégorie des lois relatives aux peines ou dans celle des lois relatives au régime d'exécution et d'application des peines. »

La Cour de cassation rappelle que, dans sa jurisprudence antérieure, l’aménagement de peine avait été rattaché à la première ou à la seconde, suivant qu’il était prononcé par la juridiction de jugement ou par le juge d’application des peines.

Dans le premier cas, il résultait de l’article 112-1 du code pénal que « les dispositions d'une loi nouvelle s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes » (Crim. 5 novembre 2013, n° 12-85387), tandis que dans le second, il était jugé, sur le fondement de l’article 112-2, 3°, du code pénal, que « les lois relatives au régime d'exécution et d'application des peines sont d'application immédiate, sauf si elles ont pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation » (Crim. 9 juin 2010, n° 09-87677).

Par son arrêt du 20 octobre 2020, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a abandonné sa distinction antérieure, dès lors que :

  • « le législateur a réaffirmé le principe selon lequel la juridiction de jugement qui prononce une courte peine d'emprisonnement doit immédiatement envisager son aménagement » ;
  • « de quelque juridiction qu'elle émane, la décision portant sur l'aménagement se distingue de celle par laquelle la peine est prononcée » ;
  • « les fins que l'une et l'autre poursuivent et les critères sur lesquels elles se fondent respectivement sont différents » ;
  • « l'aménagement de peine constitue (…), même lorsqu'il émane de la juridiction de jugement, un dispositif relatif au régime d'exécution et d'application des peines. »

Elle en conclut que « l'application dans le temps d'une telle mesure obéit par conséquent aux règles définies par l'article 112-2, 3°, du code pénal ».

En troisième et dernier lieu, l’arrêt du 20 octobre 2020 relève que « les dispositions de la loi du 23 mars 2019 qui interdisent tout aménagement des peines d'emprisonnement sans sursis d'une durée comprise entre un et deux ans » sont plus sévères que les règles antérieures.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation en déduit, conformément à l’article 112-2 du code pénal (« Sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur : (…) 3° Les lois relatives au régime d'exécution et d'application des peines ; toutefois, ces lois, lorsqu'elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation, ne sont applicables qu'aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur »), qu’elles ne sauraient être appliquées, comme en l’espèce, à des faits commis avant leur entrée en vigueur.

Au terme de ce raisonnement, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a donc statué sur le pourvoi au vu de l’article 132-19 du code pénal « dans sa rédaction alors en vigueur », suivant laquelle, selon l’arrêt du 20 octobre 2020, « le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction. Si la peine prononcée n'est pas supérieure à deux ans, ou à un an pour une personne en état de récidive légale, le juge, qui décide de ne pas l'aménager, doit en outre, soit constater une impossibilité matérielle de le faire, soit motiver spécialement sa décision au regard des faits de l'espèce, de la personnalité du prévenu et de sa situation matérielle, familiale et sociale ».

Les dispositions ainsi résumées allant au-delà de ce qu’indiquait l’article 132-19 du code pénal (« Lorsqu'une infraction est punie d'une peine d'emprisonnement, la juridiction peut prononcer une peine d'emprisonnement pour une durée inférieure à celle qui est encourue. En matière correctionnelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d'emprisonnement sans sursis qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine. Toutefois, il n'y a pas lieu à motivation spéciale lorsque la personne est en état de récidive légale. ») à la date des faits (mai 2014), il semble qu’il ait été ici tenu compte des modalités d’aménagement de peines alors précisées aux articles 132-24 et suivants du code pénal.

L’arrêt attaqué du 25 juin 2019 ayant simplement énoncé, pour refuser d'aménager la peine de deux ans d'emprisonnement sans sursis prononcée contre le condamné, que la Cour d’appel ne disposait pas, en l'état du dossier, d'éléments matériels suffisants en permettant un aménagement immédiat, la Chambre criminelle de la Cour de cassation l’a cassé, en ses seules dispositions relatives aux peines, pour défaut de motivation au visa de l’article 593 du code de procédure pénale, dès lors que le prévenu, « présent à l'audience, pouvait répondre à toutes les questions des juges et leur permettre d'apprécier si une mesure d'aménagement pouvait être ordonnée ».

Il reviendra donc à la Cour d’appel de Paris, autrement composée, de statuer à nouveau, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, la Chambre criminelle de la Cour de cassation ayant, par ailleurs, explicitement indiqué, dans le dispositif de son arrêt du 20 octobre 2020, qu’il « appartiendra à la juridiction saisie, au cas où une peine d'emprisonnement sans sursis supérieure à un an serait prononcée, d'appliquer, en matière d'aménagement, les dispositions applicables à la date des faits poursuivis », dont il y a lieu de rappeler qu’ils ont été commis en mai 2014.