L’arrêt rendu le 9 octobre 2024 par la Cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 3e ch., 9 oct. 2024, n° 23PA03743) confirme la responsabilité de l’État pour l’aggravation de pathologies respiratoires subies par un enfant exposé à des dépassements de valeurs limites de concentration de polluants en Île-de-France entre 2015 et 2017. Après la décision du Tribunal administratif de Paris (TA Paris, 16 juin 2023, n° 2019925), cette confirmation marque une étape importante dans la reconnaissance de la responsabilité de l’administration en matière de qualité de l’air.
1. Contexte et enjeux de la qualité de l’air
Depuis plusieurs années, l’Île-de-France est régulièrement confrontée à des dépassements des seuils de polluants atmosphériques (NO₂, particules fines, etc.). L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et plusieurs études scientifiques soulignent les effets graves de la pollution sur la santé, notamment en ce qui concerne les maladies respiratoires chez les personnes vulnérables (enfants, personnes âgées ou immunodéprimées).
Dans le cas d’espèce, une famille résidant à proximité du périphérique parisien et d’un incinérateur dans le département de la Seine-Saint-Denis a vu l’un de ses enfants, né en 2015, développer de graves troubles respiratoires (bronchiolites itératives, asthme du nourrisson) nécessitant hospitalisations et traitements répétés. Les juridictions administratives, s’appuyant sur un rapport d’expertise médicale, ont retenu l’existence d’un lien causal direct entre les dépassements des valeurs limites de pollution et l’aggravation des pathologies de l’enfant.
2. Fondements juridiques de la responsabilité de l’État
2.1. Les obligations résultant du Code de l’environnement et des directives européennes
- L’État est tenu d’assurer un niveau de protection satisfaisant de la qualité de l’air. Selon l’article L. 220-1 du Code de l’environnement, « la politique de lutte contre la pollution atmosphérique a pour objet d’assurer (…) un air exempt de niveaux de polluants susceptibles de porter atteinte à la santé humaine ».
- Au niveau de l’Union européenne, la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 impose aux États membres de respecter des valeurs limites pour certains polluants atmosphériques (NO₂, PM10, PM2,5). Le non-respect de ces normes constitue une carence dans l’application des obligations de l’État.
2.2. La faute de l’administration pour carence
La jurisprudence administrative retient la responsabilité de l’État lorsqu’il est démontré :
- Une obligation légale ou réglementaire (ici, respecter les seuils de pollution définis au niveau national et européen) ;
- Un manquement de l’administration à cette obligation (dépassements répétés des seuils, absence ou insuffisance de mesures correctrices) ;
- Un lien de causalité direct entre le manquement et le dommage subi par les victimes.
Dans son arrêt, la CAA Paris relève que les seuils de pollution atmosphérique en Île-de-France ont été régulièrement et significativement dépassés, sans que des mesures suffisantes aient été prises pour y remédier dans la période concernée.
2.3. Le dommage et sa preuve
Le dommage invoqué par les requérants consiste en l’aggravation d’une pathologie respiratoire chez un enfant. Sur la base du rapport d’expertise, les juridictions administratives considèrent que les troubles constatés (dont hospitalisations et traitements lourds) dépassent le simple « risque » et constituent un préjudice avéré.
3. Conditions procédurales et modalités de mise en cause de la responsabilité
3.1. La saisine du juge administratif
- Les victimes d’un préjudice lié à une carence de l’État en matière environnementale doivent saisir la juridiction administrative compétente (en l’occurrence, le Tribunal administratif).
- En matière de responsabilité, la charge de la preuve incombe en partie au demandeur, qui doit démontrer l’illégalité ou la carence, le dommage et le lien de causalité. Toutefois, un rapport d’expertise (médicale, technique) peut faciliter la preuve de la contribution de la pollution atmosphérique à l’aggravation de maladies respiratoires.
3.2. La recevabilité du recours
- Le recours doit être introduit dans un délai de quatre ans à compter de la manifestation du dommage ou de sa consolidation (article R. 421-1 et s. du Code de justice administrative).
- Les parents de l’enfant, en leur qualité de représentants légaux, peuvent agir tant pour le compte de celui-ci (préjudice direct) que pour leurs propres préjudices (préjudice moral, préjudice matériel lié aux frais médicaux, etc.).
3.3. L’appel devant la Cour administrative d’appel
- Si la décision du Tribunal administratif ne satisfait pas l’une des parties, un appel peut être formé devant la Cour administrative d’appel compétente (ici, Paris).
- Dans l’affaire commentée, le ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires a formé appel afin de contester la décision de première instance ; la Cour a cependant confirmé la condamnation de l’État.
4. Les conséquences pratiques et l’indemnisation accordée
4.1. Réparation du préjudice subi par la famille
- L’État a été condamné à réparer le préjudice résultant de l’aggravation des troubles respiratoires de l’enfant (frais médicaux, souffrances endurées, etc.), ainsi que le préjudice moral subi par les parents.
- Les sommes allouées, déterminées souverainement par le juge, se fondent sur le rapport d’expertise et sur les justificatifs produits (factures, témoignages, certificats médicaux).
4.2. Impact sur la conduite des politiques publiques
- Cette condamnation est un nouveau signal adressé aux pouvoirs publics : l’absence ou l’insuffisance de mesures de lutte contre la pollution atmosphérique peut engager la responsabilité de l’État.
- Les décisions récentes de juridictions administratives (notamment TA Paris, 16 juin 2023, n° 2019925) témoignent d’une plus grande sensibilité du juge à l’égard de la santé publique et de l’environnement, en application de l’article L. 110-1 du Code de l’environnement (principe de précaution et de prévention).
5. Vers une meilleure protection des plaignants ?
5.1. Renforcement du lien de causalité
L’un des apports majeurs de cette affaire est la reconnaissance d’un lien de causalité direct entre les dépassements de polluants atmosphériques et l’aggravation d’une pathologie respiratoire précise. Jusqu’alors, les juridictions françaises se montraient parfois réticentes à admettre un lien direct en raison de la multiplicité des facteurs pouvant influer sur la santé (tabagisme passif, conditions de logement, prédisposition génétique, etc.). Le caractère scientifique de l’expertise a été déterminant dans la motivation des juges.
5.2. Jurisprudence et ouverture de nouvelles perspectives
- Cette confirmation en appel pourrait inciter d’autres victimes à solliciter une indemnisation en justice, notamment dans les zones géographiques où les dépassements de seuils de pollution sont notoires.
- Si les recours individuels augmentent, l’État sera contraint d’adopter des mesures plus drastiques pour éviter de nouvelles condamnations (plans de réduction des émissions, contrôles renforcés, réorganisation des flux routiers, etc.).
5.3. Limites et perspectives
- Bien que la décision ouvre la voie à une meilleure reconnaissance des dommages liés à la pollution, la preuve du lien de causalité demeure complexe et requiert un dossier médico-scientifique solide.
- L’indemnisation, si elle est accordée, n’efface pas le dommage à la santé mais constitue une réparation a posteriori. La décision rappelle que la prévention en matière de pollution atmosphérique doit rester au cœur des politiques publiques.
Conclusion
La décision de la Cour administrative d’appel de Paris du 9 octobre 2024 illustre une évolution notable de la jurisprudence : l’aggravation de maladies respiratoires chez un enfant a été imputée à la pollution atmosphérique répétée, résultant de la carence de l’État dans la mise en œuvre de ses obligations légales et règlementaires. Cette reconnaissance du lien de causalité direct et l’indemnisation conséquente de la famille confirment un mouvement jurisprudentiel plus exigeant envers les autorités publiques, soucieuses de prévenir davantage les atteintes à la santé.
Si cette décision ouvre des perspectives encourageantes en faveur de la protection des victimes, elle met aussi en lumière la nécessité de renforcer les politiques publiques visant à lutter efficacement contre la pollution atmosphérique. Sur le plan contentieux, il est probable que ce précédent incitera d’autres requérants à faire valoir leurs droits en cas de dépassements de seuils polluants avérés. Le juge administratif, en s’appuyant sur des expertises médicales précises, semble donc amorcer une démarche plus protectrice vis-à-vis de la population, en particulier des personnes les plus vulnérables.
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