Il s’agit là d’un sujet qui n’est pas sans importance, lorsque l’on constate aujourd’hui la recrudescence massive de livreurs à domicile ou de chauffeurs indépendants : le statut de ces travailleurs.

Les travailleurs Uber ou Deliveroo ou de n’importe quel autre secteur "uberisé" sont-ils des salariés déguisés ?

L’enjeu est notamment que si l’un de ces travailleurs voit sa relation de travail rompue, mais arrive à obtenir a posteriori la requalification de celle-ci en CDI, il disposera alors d’avantages non négligeables du seul fait de la rupture.

Notamment, celui-ci pourra prétendre à une indemnité de licenciement, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité au titre du non-respect de la procédure de licenciement, le cas échéant à une indemnité pour travail dissimulé, mais aussi une indemnité compensatrice de congés payés, ...

Si le chauffeur ou le livreur parvient à faire requalifier son contrat alors qu’il est toujours en poste, il bénéficiera alors de congés payés, d’une rémunération égale au moins au SMIC, d’une mutuelle d’entreprise (obligatoire depuis le 1er janvier 2016), d’indemnités journalières de sécurité sociale en cas d’arrêt de travail, et d’une protection en cas d’accident du travail par exemple, ...

La question n’est donc pas anodine, et la voie, pas fermée.

En effet, selon les Juges la requalification d’une relation de travail en contrat de travail se fonde sur trois critères principaux, qui sont :

  • une prestation de travail (sur ce point, pas de débat),
  • une rémunération (là non plus, pas de débat),
  • et un lien de subordination.

C’est ce dernier point qui fait débat et pour analyser l’existence ou non d’un tel lien, les Juges s’appuient sur des circonstances de fait.

Chez Uber, la question pourrait largement être envisagée, sur le fondement d’un faisceau d’indices :

  • Tout d’abord, il existe un principe de notation des chauffeurs et si la note d’u chauffeur est trop basse, celui-ci reçoit alors un rappel à l’ordre, lequel peut le cas échéant s’apparenter à une sanction disciplinaire ;
  • Uber applique de façon automatique une majoration tarifaire durant les pics de demande, ce qui incite alors les chauffeurs à se connecter à la plateforme, s’apparentant alors à une éventuelle prime exceptionnelle ;
  • Uber se laisse la faculté d’écarter les chauffeurs dont la note serait jugée trop basse ou s’ils ne réalisent que trop peu de courses ;
  • enfin, les chauffeurs UBER ne choisissent jamais librement le tarif de leurs courses, qui sont fixés par la société pour le compte de laquelle ils travaillent. Or, la liberté d’entreprise, de commerce et d’industrie suppose au contraire une liberté de fixer le prix de ses prestations.

En Angleterre et aux Etats-Unis, la requalification a déjà entamé sa marche : dans une décision du 28 octobre 2016, il a été reconnu en Angleterre que 2 chauffeurs Uber devaient en réalité être considérés comme des salariés.

D’ailleurs, la Cour d’appel de Paris elle-même dans un arrêt de décembre 2017, a requalifié le statut d’un ancien chauffeur de la plateforme VTC Le Cab en statut de salarié, ouvrant une voie possible pour l’ensemble des chauffeurs de la plateforme.

En l’espèce, la plateforme Le Cab avait rompu sa relation de travail avec ce chauffeur au motif qu’il n’aurait pas respecté une obligation de connexion à la plateforme sur certains créneaux horaires. Or la Cour d’appel (à juste titre il me semble) a considéré que cette contrainte caractérisait alors un lien de subordination et donc une relation de salariat et non un statut de travailleur indépendant. En cela, elle a confirmé la décision de première instance rendue par le Conseil de Prud’hommes, qui avait déjà fait droit aux demandes du travailleur.

De la même façon, le statut des livreurs à domicile, de plus en plus nombreux dans les rues des grandes villes, posent des interrogations et laissent place à une possible requalification de leur relation de travail au vu de certains indices : notamment, les livreurs Deliveroo par exemple, doivent porter un uniforme à l’effigie de l’entreprise, laissant penser qu’ils en sont salariés, la société leur impose de travailler 3 jours par semaine, y compris le week-end, les livreurs doivent réaliser leur prestation dans un délai imposé, ...

Ces dossiers sont donc largement plaidables, et les enjeux, non négligeables.

Dans l’attente, il est à souligner que l’article 60 de la Loi Travail/ El Khomri a créé des règles pour les "travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique", permettant à ces derniers de bénéficier d’ores et déjà de certains droits protecteurs (droit e grève, droit syndical, accès à la formation professionnelle, assurance accidents du travail, ...).

Il semble impératif à ce jour de redéfinir les contours des conditions de travail de ces travailleurs indépendants, toujours plus nombreux.