Lorsqu’une entreprise établit une facture à son client, elle en devient alors le créancier, et le client, jusqu’au complet paiement, le débiteur. Les entreprises, quelles que soient leur taille, sont souvent victimes de perdition de leur trésorerie dans le cadre de factures dont le règlement n’a certes pas été honoré, mais le recouvrement pas efficacement assuré.

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Pire, des retards de paiement à répétition ou des situations d’impayés à grande échelle peuvent conduire la société créancière à solliciter des financements à leur établissement de crédit et parfois même la mener à la procédure collective…

Article également publié dans le Journal du Management Juridique n°91 (p. 51).

 

Cette question des paiements et du recouvrement des impayés est d’autant plus importante que la crise du Covid-19 a accentué les problèmes de trésorerie et augmenté considérablement tant les délais de paiements que les situations d’impayés.

Selon Altares, société spécialisée dans l’information économique et financière des entreprises, les retards de paiements n’ont pas encore à ce jour retrouvé leur niveau d’avant-crise en France et en Europe, notamment parce que la reprise des activités s’est ensuite accompagnée de problèmes d’approvisionnement et de hausses des prix des matières premières et de certains matériaux.

Les comportements de paiement en général ne sont donc pas revenus à la normale.

Aujourd’hui, les incertitudes liées à la guerre en Ukraine et les problèmes d’approvisionnement qui en découlent encore constituent des constantes de pressions sur les délais de paiements interentreprises notamment.

L’Observatoire des délais de paiement, dans son rapport annuel 2021, a ainsi rappelé les entreprises, notamment les plus grandes, à leurs responsabilités en la matière, soulignant qu’il s’agit d’un élément essentiel au bon fonctionnement de l’économie.

En matière de recouvrement, il est évidemment indispensable d’agir a posteriori du non-règlement, de manière rapide, réactive et efficace mais il est aussi plus qu’utile de prévenir le défaut de paiement. Avoir une bonne maîtrise des outils et procédures de recouvrement s’avère également essentiel pour mettre fin rapidement à une situation d’impayé.

Le présent article a pour but de présenter de manière détaillée mais concise et claire les différents leviers et moyens d’actions qui sont à votre disposition afin de vous permettre d’avoir les clés d’un recouvrement efficace.

Les moyens d’action se situent, comme nous venons de l’exposer, à deux niveaux : en amont, en prévenant utilement les possibles impayés, et en aval, pour recouvrer rapidement les sommes non réglées, amiablement d’abord, puis judiciairement si le débiteur n’a pas entendu s’exécuter spontanément.

 

I. La stratégie à tenir en amont du possible impayé.

Ici, nous parlons de l’impayé qui n’existe pas encore : car la prévention a un rôle primordial pour permettre de prévenir une situation d’impayé et éviter ainsi qu’elle ne se concrétise.

Par ailleurs, si impayé il y a, pour que celui-ci puisse être recouvré, juridiquement notamment, encore faut-il que l’engagement à la source même du règlement réclamé soit clair : d’où l’importance de toujours faire signer les contrats, conditions générales et particulières de vente contenant clairement les conditions de paiements (délais, acomptes, mode de règlements, pénalités), les justificatifs éventuels de vente (devis, bons de commande, bons de livraison, …) à vos clients ou contractants, mais également de prévoir des termes contractuels fermes et non équivoques.

C’est alors que les termes contractuels et la relation client jouent un rôle fondamental.

En effet, l’une des armes clés en matière de recouvrement réside dans les termes même des engagements contractuels conclus par le débiteur. Nous ne répéterons jamais assez que le contrat fait Loi entre les parties. Plus le contrat sera précis et clair, plus les obligations qui en découleront seront fermes.

Notamment, il est important de prévoir des clauses dissuadant les mauvais payeurs : par exemple, il est tout à fait envisageable d’inclure au contrat une clause de déchéance du terme, permettant d’exiger le paiement de l’intégralité de la commande avant la date d’échéance prévue, ou encore une clause de réserve de propriété, qui garantit au vendeur un droit de propriété sur le bien vendu tant que le paiement de celui-ci n’a pas été acquitté par l’acquéreur, ou enfin une clause résolutoire, prévoyant la résolution du contrat en cas d’impayé.

Par ailleurs, les clauses contractuelles relatives au paiement du produit ou de la prestation doivent être précis concernant : les modes de règlement, le nombre de versements acceptés, les délais de paiement accordés, l’éventualité d’un échéancier et dans ce cas les dates de règlements, les pénalités prévues et leur mode de calcul, etc.

Dans le cadre de créances commerciales, des pénalités de retard et une indemnité pour frais de recouvrement sont dues, conformément à l’article L441-10 du Code de commerce. Sauf disposition contraire prévue contractuellement, ce taux est égal à trois fois le taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage. L’indemnité de retard pour frais de recouvrement elle, est forfaitaire et de 40 euros par facture (article D441-5 du Code du commerce).

Par exemple, prévoir au contrat un règlement en plusieurs échéances peut avoir deux intérêts : - Le débiteur sera souvent moins récalcitrant à régler trois fois 300 euros, plutôt qu’une seule fois 900, - Mais surtout l’entreprise créancière aura un moyen de pression en cas de non-règlement d’une seule des échéances par le débiteur et pourra alors suspendre sa prestation jusqu’à régularisation de la situation voire résilier le contrat si une clause le prévoit.

Les outils contractuels ne sont donc pas à négliger et il peut être intéressant voire indispensable selon l’enjeu de se faire utilement conseiller.

Il est aussi possible voire indispensable, selon l’enjeu du contrat et les risques de non-recouvrement, de constituer des sûretés permettant de se garantir d’un minimum en cas de défaut de paiement : escomptes, caution, gage, hypothèque, …

Par ailleurs, il est important d’établir une facture dès que la prestation est réalisée ou le bien livré, que cette facture soit immédiatement transmise à son débiteur, et de rappeler à son destinataire la date d’échéance quelques jours avant pour s’assurer du parfait règlement dans les délais.

En effet, nombre d’entreprises traînent à établir les factures correspondantes à la commande réalisée, ou ne prennent parfois même pas la peine de facturer leur client au fur et à mesure de l’exécution du contrat qui les lie.

Le créancier se place alors de facto dans une position risquée, en donnant à son débiteur le sentiment de ne pas être attentif à sa facturation donc dans le même temps, au règlement qui en découle…

Tout ceci demande de l’organisation certes, mais c’est souvent pour économiser in fine du temps et de la trésorerie en évitant l’envoi de relances amiables de règlement voire une éventuelle procédure judiciaire.

Il faut avoir en outre à l’esprit qu’il est primordial de conserver les écrits engageant fermement le débiteur, afin de permettre un recouvrement rapide, efficace et non contestable des sommes qui sont dues à défaut de règlement spontané.

Egalement, toujours en amont, il est indispensable pour une entreprise, dans la mesure du possible, de disposer d’informations suffisantes sur ses clients, cocontractants … ainsi que sur leur solvabilité et fiabilité, afin de permettre notamment un recouvrement plus efficace dans le cas d’éventuels impayés.

Enfin, il est possible aussi d’éviter le recouvrement en mettant en place dans l’entreprise un contrat d’affacturage, permettant de limiter les retards, les mises en demeure et les procédures qui s’en suivent.

Le principe est simple : le créancier, qui a donc émis la facture à son client, cède ensuite cette créance à un organisme financier, une entreprise d’affacturage, qui en contrepartie lui verse une partie du montant facturé et reçoit une quittance subrogative lui permettant alors de recouvrer le recouvrement de la créance qui appartenait au départ au créancier, en ses lieu et place à l’égard du débiteur. Cela étant, même avec la meilleure organisation et prévention du monde, il est parfois difficile d’éviter à 100% le non-paiement de ses factures.

C’est à ce stade que l’on parlera alors de recouvrement.

 

II. La stratégie à tenir en aval de l’impayé : la phase de recouvrement.

a. Issue amiable.

Une fois le délai de règlement dépassé, si le paiement n’est pas intervenu, il faut agir vite.

Le temps, l’écoulement du temps particulièrement, est un facteur important en matière de recouvrement : il s’agit d’être réactif : plus les actions entreprises le sont rapidement plus elles ont de chance d’aboutir, le problème de la prescription devant toujours être gardé à l’esprit.

Il est primordial de ne pas laisser traîner un impayé au fond du tiroir, et de suivre régulièrement et scrupuleusement les factures éditées et les encaissements réalisés.

Les relances se feront d’abord de manière « informelle » : un appel téléphonique, un email, un courrier simple… Mais très vite, si le débiteur ne donne pas suite, il est indispensable de lui adresser un courrier de mise en demeure en recommandé avec accusé de réception.

Cela étant, le dialogue avec le débiteur est un autre facteur primordial en matière de recouvrement. Même s’il est nécessaire de réagir face à un éventuel impayé, il faut également, raison gardée, maintenir la relation commerciale établie avec le débiteur, au risque à défaut de compromettre une relation parfois établie de longue date avec un bon client ou un cocontractant historique.

Un recouvrement efficace passe aussi dans la compréhension de la raison du non-paiement : si le débiteur entend ne pas régler parce qu’il forme une contestation sur la commande ou prestation, il est impératif d’indiquer votre argumentaire en réponse par écrit, et il peut d’ores et déjà être convenu avec celui-ci de procéder au paiement de la partie éventuellement non-litigeuse par exemple.

Le débiteur peut également rencontrer des difficultés de trésorerie. Dans ce cas, la mise en place d’un échéancier permettra parfois à celui-ci d’apurer sa dette sans vous exposer à des frais de recouvrement et de justice inutiles.

Il peut s’agir aussi plus basiquement de la perte de la facture dont le paiement est réclamé…

Il faut être ferme tout en restant conciliant, ce qui, il est vrai, constitue un réel challenge.

Il est donc toujours préférable à ce stade de privilégier le dialogue avec le débiteur : en effet, il sera plus simple, plus rapide et moins coûteux de parvenir à un accord amiable, parfois même au prix de l’établissement d’un échéancier, plutôt que d’initier directement une procédure judiciaire, issue également plus respectueuse de la relation commerciale établie jusqu’alors avec le débiteur.

Si le débiteur n’entend toujours pas régler spontanément la somme due, et avant même d’intervenir sur un plan judiciaire, il peut alors être judicieux de recourir d’ores et déjà aux services d’un Conseil, qui adressera de nouveau une mise en demeure circonstanciée à ce dernier. Parfois, l’immixtion d’un avocat dans la relation commerciale et la démarche de relance peut permettre de débloquer rapidement les choses.

Cela étant, si la facture n’est toujours pas honorée, il devra être envisagé d’opter pour la voie judiciaire : si la situation n’a pas été régularisée dans un délai de 45 à 60 jours, il devient impératif de prendre l’attache d’un Conseil, afin d’envisager avec lui les suites à donner au dossier et étudier l’éventualité d’une procédure contentieuse.

b. Issue judiciaire.

Lorsque les demandes amiables n’ont mené à rien, la voie judiciaire s’offre alors au créancier comme le dernier recours possible pour tenter de recouvrer sa créance impayée.

L’initiative contentieuse du créancier peut d’ailleurs permettre de débloquer rapidement la situation : une procédure devant un tribunal est synonyme de coûts incontestables pour le débiteur qui va avoir alors un intérêt financier à honorer au plus vite sa dette dès réception d’une assignation et à clôturer ainsi à l’amiable la procédure. D’autres au contraire, vont préférer laisser traîner la procédure au maximum pour gagner du temps, ou encore contester la commande ou la prestation fondant la demande de règlement.

Au niveau judiciaire, il existe différents degrés d’action. Le choix d’une action plutôt qu’une autre dépendra alors de la nature du dossier, du degré de contestation du débiteur, du montant de la créance réclamée, de la nature des pièces au dossier, …

De façon synthétique, plusieurs options s’offrent au créancier :

- La procédure simplifiée.

Le décret n° 2016-285 du 9 mars 2016 a créé une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances (article R125-1 du Code des procédures civiles d’exécution), qui sera utilisée essentiellement par les professionnels directement.

Cette procédure est mise en œuvre par un Huissier de justice du ressort de la Cour d’appel où se trouve le domicile du débiteur, à la demande du créancier, sans avoir à passer devant le Juge, pour une créance née d’un contrat ou résultant d’une obligation statutaire, dont le montant est inférieur à 5.000 euros.

Cette créance ne doit pas être raisonnablement contestable par le débiteur. Elle doit être arrivée à son échéance, c’est-à-dire être exigible, et son montant doit être déterminé.

Dans ce cas, l’Huissier adresse alors au débiteur une lettre recommandée avec accusé de réception ou un email, comportant un certain nombre de renseignements et demandant au débiteur s’il accepte de participer à cette procédure simplifiée.

Le débiteur dispose d’un délai d’un mois pour y répondre, l’absence de réponse valant refus implicite.

En cas d’accord du débiteur, l’Huissier délivrera un titre exécutoire.

En cas de refus en revanche, le créancier devra alors saisir le Juge pour obtenir un titre exécutoire.

Les frais de recouvrement sont à la charge du créancier.

- L’injonction de payer.

Cette procédure est la procédure la plus rapide et surtout la moins coûteuse en matière de recouvrement. Si vous n’avez pas réussi à recouvrer à l’amiable une dette, l’injonction de payer permet d’obtenir facilement la condamnation du débiteur à son paiement par un juge.

Cela étant, cela ne pourra concerner que les dettes absolument non contestables.

Dans le cadre de cette procédure, le créancier impayé doit remplir un formulaire Cerfa à envoyer ou déposer au greffe de la juridiction compétent, l’idéal étant toutefois de se faire assister par un Conseil, afin notamment d’être sûr de la rédaction de la demande et de la juridiction compétente.

Il n’y a pas d’audience, la procédure n’est pas contradictoire c’est-à-dire qu’à ce stade le débiteur n’est pas informé de la démarche du créancier.

Si le juge considère que la requête déposée est fondée, il rend alors une ordonnance portant injonction de payer la somme d’argent demandée, outre d’éventuels frais de procédure.

Le greffe remet au créancier une copie certifiée conforme de la requête ainsi qu’une copie de l’ordonnance rendue, revêtue de la formule exécutoire, qui vaut alors titre exécutoire.

Si en revanche le juge n’a pas entendu faire droit à la demande du créancier, celui-ci ne dispose alors d’aucun recours. Il peut toutefois engager une procédure judiciaire classique devant les tribunaux.

Une fois la décision d’injonction de payer obtenue, le créancier doit la signifier au débiteur par voie d’huissier, ainsi que la requête initiale, dans les 6 mois. A défaut, l’ordonnance devient caduque.

Le débiteur disposera alors d’un délai d’1 mois à compter de la date de signification pour contester l’ordonnance rendue en formant opposition auprès du tribunal par lettre recommandée avec accusé de réception ou en se rendant au greffe.

Ce délai est suspensif d’exécution et le débiteur pendant cette période n’a pas à exécuter la décision.

Si le débiteur ne fait pas opposition, l’ordonnance d’injonction de payer devient définitive et pleinement exécutoire. Le créancier peut demander dans ce cas un certificat d’absence d’opposition au greffe et faire procéder à l’exécution forcée de la décision si le débiteur ne s’exécute pas spontanément.

Si le débiteur fait opposition, celle-ci va conduire l’affaire devant le tribunal et donner lieu à débat contradictoire entre les parties lors d’une audience. La représentation par avocat est obligatoire pour les créances de plus de 10.000 euros, sauf devant le juge des contentieux de la protection.

Après avoir écouté les parties et lu leurs observations et pièces, le juge rendra une décision venant au lieu et place de l’ordonnance rendue. Un recours est possible.

- L’assignation en référé.

Si le règlement de la facture est indiscutable, que le créancier dispose de suffisamment de preuves de la réalisation de la prestation ou de la livraison du bien, et que le débiteur, outre le fait qu’il n’a pas réglé la somme due, n’a en revanche émis aucune contestation, il est possible alors d’agir en référé.

Cette procédure est rapide (quoique les dates proposées par les tribunaux soient de plus en plus lointaines) et moins coûteuse qu’une procédure au fond.

Si le juge considère qu’il existe une contestation sérieuse à la demande du créancier, il se déclarera toutefois incompétent à connaître du litige et renverra alors le demandeur à mieux se pourvoir devant les juges du fond.

Pour ce faire, le Juge examine souvent les échanges de mails ou de courriers pour apprécier les éventuelles contestations sur le prix ou la prestation.

- L’assignation au fond.

Lorsqu’il existe une contestation du débiteur nécessitant de réels débats, il faudra alors agir au fond. Cette procédure est moins rapide et bien plus complexe que l’injonction de payer ou la procédure en référé et le Juge sera amené, après débats contradictoires, à se prononcer sur les tous les aspects de l’affaire.

Une fois la décision rendue, il s’agira ensuite de la signifier au débiteur puis, de la faire exécuter si le débiteur n’entend pas s’exécuter spontanément.

Rester attentif aux factures établies et aux encaissements réalisés peut paraître simple et il peut être tentant pour une société de chercher à faire des économies en essayant de gérer soi-même le recouvrement de ses factures, y compris pendant la phase amiable de recouvrement une fois l’échéance de règlement passée, voire même de la phase contentieuse.

Mais vous l’aurez compris, ce travail est en réalité chronophage et demande de s’y consacrer pleinement : aussi, sauf à ce que l’entreprise dispose d’un service dédié à cette mission, le temps ainsi passé à suivre ses factures par une entreprise est autant de temps qui n’est pas consacré à développer son chiffre d’affaires.

Confier la gestion de ces recouvrements à un Conseil permet ainsi de se décharger utilement de cette mission, mais surtout de débloquer parfois rapidement la situation d’impayé et de demeurer stratège en vue de l’élaboration d’une éventuelle phase contentieuse.

En tout état de cause, la représentation par avocat est en principe obligatoire pour toute créance supérieure à 10 000 euros devant le tribunal judiciaire (article 760 du Code de procédure civile) ou le tribunal de commerce (article 853 du Code de procédure civile), sauf disposition contraire.

Virginie Audinot, Avocat Barreau de Paris Audinot Avocat www.audinot-avocat.com