La décision n° 410689 rendue par le Conseil d’Etat le 29 novembre 2019[1] s’inscrit dans la jurisprudence en matière de demande de démolition d’un ouvrage public mal implanté en considérant qu’une telle demande relève du contentieux de pleine juridiction.

 

En l’espèce, un arrêté du préfet de Paris en date du 14 août 2001 autorisait la réalisation de bâtiments dans les jardins de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts à condition qu’ils ne demeurent que provisoires, pour une durée de quatre ans à compter de juillet 2001. Il apparaît que ces bâtiments ont été implantés en bordure de la propriété du requérant. Aussi, en considération du refus implicite des autorités de procéder à l’enlèvement des bâtiments sur demande du requérant, ce dernier a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler les décisions de refus ainsi que d’enjoindre aux autorités compétentes de procéder à la démolition.

Par jugement en date du 19 décembre 2013, le tribunal administratif de Paris a rejeté les demandes du requérant, il en fut de même pour la cour administrative d’appel de Paris par arrêt en date du 11 février 2016.

Le requérant s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de la CAA de Paris. La présente décision permet au Conseil d’Etat d’apporter des précisions sur le cadre juridique applicable aux demandes de démolition des ouvrages publics mal implantés (I) puis d’en tirer toutes les conséquences eu égard au cas d’espèce (II).

 

I / Affirmation et précision de l’office du juge du plein du contentieux

 

La présente décision s’avère particulièrement prolixe et limpide sur l’office du juge dans le cadre du contentieux des ouvrages publics mal implantés.

Ainsi, l’affirmation et la précision de l’office du juge administratif en la matière se décline en deux points :

  • D’une part, il est affirmé la compétence du juge du plein contentieux,
  • D’autre part, il est précisé l’office du juge du plein contentieux.

D’une part, lorsque le requérant allègue qu’un ouvrage public est mal implanté et qu’une telle situation lui cause un préjudice, sans que l’administration n’accède à sa demande préalable de démolition de l’ouvrage litigieux, il peut saisir le juge administratif d’une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition de l’ouvrage en question.

Dans ce cas, le Conseil d’Etat considère que la compétence d’un tel litige revient au juge du plein contentieux, devant déterminer, au jour où il statue, si l’ouvrage litigieux est effectivement implanté de manière irrégulière, ou non : « il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’ouvrage est irrégulièrement implanté »[2].

D’autre part, si le juge relève que l’ouvrage public litigieux est effectivement implanté de manière irrégulière, le Conseil d’Etat vient préciser l’office du juge.

Ainsi dans un premier temps, le juge du plein contentieux doit rechercher si une régularisation de l’ouvrage est envisageable eu égard à la nature de l’irrégularité qui l’affecte.

A défaut de régularisation possible, le juge du plein contentieux doit prendre en considération plusieurs éléments :

  • Les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment pour le propriétaire du terrain sur lequel l’ouvrage public litigieux est irrégulièrement implanté ;
  • Les conséquences de la démolition pour l'intérêt général.

S’agissant de la prise en considération des conséquences de la démolition pour l’intérêt général, le juge du plein contentieux doit précisément apprécier « si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général »[3].

 

II / Application de l’office du juge du plein contentieux à l’espèce 

Sur l’implantation : Le Conseil d’Etat a relevé que, en vertu de l’arrêté du 14 août 2001, les bâtiments litigieux ne devaient être implantés que pour une durée de quatre ans et donc démontés à l’issue de ce délai. Dès lors que ces ouvrages ont été maintenus au-delà du délai de quatre ans et sans autorisation, ils sont irrégulièrement implantés.

Sur la régularisation : Il a été relevé que l’implantation des bâtiments litigieux porte atteinte aux dispositions du code du patrimoine ainsi qu’au caractère et à l'intérêt des monuments historiques et du site dans lequel ils sont implantés. Dans ces conditions, un permis de construire ne saurait être valablement délivré sans méconnaître le plan local d’urbanisme de Paris. Dès lors, ces ouvrages ne sont pas régularisables.

Sur les atteintes : Les juges ont pu relever que l’implantation de ces bâtiments portait « une atteinte substantielle » à l’intérêt et au caractère du site ainsi qu’à leur environnement proche. De même, l’implantation des bâtiments litigieux présente un « inconvénient majeur pour l'intérêt public qui s'attache à la préservation du patrimoine ».[4]

Sur l’intérêt général : Enfin, le Conseil d’Etat a relevé que le maintien de ces bâtiments n’était pas indispensable à la continuité du service public de l’enseignement supérieur assuré par l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts.

In fine « la démolition des ouvrages litigieux ne saurait être regardée comme entraînant une atteinte excessive à l'intérêt général »[5], justifiant qu’en soit ordonnée la démolition.

 

En conclusion, la démolition d’un ouvrage public mal implanté ne sera ordonnée que si, cumulativement :

  • cet ouvrage est effectivement implanté de manière irrégulière
  • l’irrégularité qui l’affecte n’est pas régularisable
  • l’atteinte à l’intérêt général n’est pas excessive eu égard aux inconvénients tenant à son implantation.

 


[1] : CE, 29 novembre 2019, n° 410689, consultable ici

[2] : CE, 29 novembre 2019, n° 410689, cons. 6

[3] : CE, 29 novembre 2019, n° 410689, cons. 6

[4] : CE, 29 novembre 2019, n° 410689, cons. 10

[5] : CE, 29 novembre 2019, n° 410689, cons. 12