A l’heure des sécheresses à répétition, les collectivités sont confrontées à un sujet crucial et épineux : les enjeux liés à la gestion de l’eau.

L’article L210-1 du code de l’environnement dispose d'ailleurs que :

« L'eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général. »

 

Compte-tenu de la nécessité de préserver la précieuse ressource et son accès, plusieurs maires du Var (1) ont décidé de suspendre toutes nouvelles demandes de permis de construire, et ce pendant un délai de cinq ans.

Cette décision tient compte du niveau extrêmement bas des nappes phréatiques, qui fait craindre une impossibilité de garantir un accès à l’eau potable aux nouveaux habitants.

 

Pour autant, cette décision est-elle légale ? Décryptage à chaud.

 

Cette décision pourrait-elle s’analyser comme un sursis à statuer ? 

NON : Le maire a le pouvoir de surseoir à statuer sur une demande d’autorisation d’urbanisme, c’est-à-dire reporter sa décision à un délai qu’il fixe mais qui ne peut excéder deux ans (2). 

Toutefois, cette prérogative ne peut être mise en œuvre que dans certains cas bien définis par le code de l’urbanisme :

  • Lorsque la demande est susceptible de compromettre ou de rendre plus onéreuse la réalisation d'une opération d'aménagement dans le périmètre d’une opération d’intérêt national ;
  • Lorsque la demande porte sur certaines zones exposées au recul du trait de côte, telles qu’elles sont identifiées par une carte de préfiguration de ces zones, au sein des communes littorales ;
  • Lorsque le PLU est en cours d’élaboration et que la demande serait nature à compromettre ou à en rendre plus onéreuse l'exécution future ;
  • Lorsque la demande est susceptible de rendre plus onéreux l'aménagement et l'équipement d’une ZAC ;
  • Lorsque la demande aurait pour effet de modifier l'état des lieux ou l'aspect des espaces d’un parc national ;
  • Lorsque la demande porte sur des terrains compris dans une opération en vue de laquelle une déclaration d’utilité publique est demandée ;
  • Lorsque la demande est susceptible de compromettre ou de rendre plus onéreuse l'exécution de travaux publics ;
  • Lorsque la demande est susceptible de compromettre ou de rendre plus onéreuse la réalisation d'une opération d'aménagement, dès lors que le projet d'aménagement a été pris en considération et que les terrains affectés par ce projet ont été délimités.

Il apparaît donc, au regard de ces cas de figure limitativement énumérés, qu'actuellement, le maire ne peut légalement pas opposer une décision de sursis à statuer à une demande de permis de construire en considération de l’état de sécheresse et de la préservation de la ressource en eau.

 

D’autres dispositions du code de l’urbanisme pourraient-elle légalement fonder cette décision ?

PEUT-ETRE : En dehors des règles fixées par les documents d’urbanisme (PLUi/PLU, plan d’occupation des sols, carte communale), le code de l’urbanisme prévoit plusieurs règles générales dont le maire peut se prévaloir.

A ce titre, une disposition se distingue en particulier, celle tirée de l’article R111-2 du code de l’urbanisme :

« Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. »

Pourrait-on alors considérer que le refus de permis de construire puisse être fondé, en fonction des circonstances locales (sécheresse et niveau des nappes phréatiques), sur l’atteinte à la salubrité publique ?

Le juge administratif n’a pas encore été amené à se prononcer sur cette question qui est, dès lors, sujette à interprétation.

 

Que faire ?

Que se passe-t-il si un administré souhaite déposer tout de même un dossier de demande de permis de construire ?

Plusieurs hypothèses peuvent s’envisager :

  • Si le demandeur se voit opposer un refus de dépôt du dossier en mairie ou sur le guichet numérique des autorisations d’urbanisme (GNAU), le maire s’expose potentiellement à la formation d’un référé mesures utiles (3), afin que le juge ordonne au maire d’enregistrer la demande
  • Si le dossier est déposé, et que le maire oppose un sursis à statuer, motivé par la sécheresse, cette décision ne semble pas légale et il sera possible de la contester ;
  • Si à l’issue d’un délai de deux ou trois mois (voire plus en fonction des cas), le maire n’a pas demandé de pièces complémentaires, n’a pas sursis à statuer ou n’a pas notifié de décision de refus, le pétitionnaire est alors bénéficiaire d’un permis de construire tacite (4) ;
  • Si le maire refuse expressément le permis de construire pour le seul motif tiré de la sécheresse, cette décision pourra être contestée devant le juge administratif et son interprétation à ce sujet sera particulièrement attendue.

 

Et pour l’avenir ?

Le signal d’alarme des Maires du Var est plus que pertinent et doit attirer l’attention des pouvoirs publics.

C’est à ce titre que l’intervention du législateur est attendue et pourrait, par exemple, permettre aux autorités compétentes en matière d’urbanisme de modifier leurs documents d’urbanisme afin d’y définir des règles relatives à l'installation de dispositifs favorisant la retenue des eaux pluviales ou encore à la densité de construction par rapport aux capacités des réseaux de distribution d’eau potable.

 

(1) Le Pays de Fayence rassemble 9 communes (Bagnols-en-Forêt, Callian, Fayence, Mons, Montauroux, Saint-Paul-en-Forêt, Tourrettes, Tanneron et Seillans classé parmi les “Plus Beaux Villages de France”).

(2) Art. L424-1 du code de l’urbanisme

(3) Le référé conservatoire ou référé « mesures utiles » permet de demander au juge toute mesure utile avant même que l'administration ait pris une décision. (art. L521-3 du code de justice administrative)

(4) Art. R424-1 du code de l'urbanisme