On raconte que Louis XIV, lassé de la ligue des dévots qui ne cessait de critiquer les mœurs de la Cour et les maitresses du Roi[1], demanda à Molière d’écrire une pièce permettant de dévoiler l’imposture de ces bigots ; c’est ainsi que Molière écrivit « Tartuffe ou l’imposteur ». La pièce connut immédiatement un grand succès, puis elle fut interdite puis elle fut à nouveau autorisée. En 3 actes, avec le talent que l’on connaît de Molière, cette pièce dévoile l’imposture de la dévotion et de la bigoterie qui inlassablement cherchent à imposer leur loi avec la plus grande hypocrisie.
L’affaire du site de rencontre Gleeden qui vient d’être assigné civilement par la confédération des associations familiales (CAFC) s’inscrit, me semble t-il, dans cette veine. De quoi s’agit t-il : Gleeden fait sa promotion depuis sa création en 2009, en utilisant comme pitch « les relations extra conjugales pensées par des femmes » d’une manière au demeurant assez humoristique.
Ne nous y trompons pas ce qui est jeu dans cette procédure, ce sont les libertés d’expression, de choix de vie et d’opinion. La CAFC voudrait nous faire croire que l’article 212 du code civil qui établit le devoir de secours, d’assistance et de fidélité relèverait d’un ordre public de direction comme par exemple l’interdiction de tuer, de violer ou voler son prochain et s’imposerait à tous. Or ce texte s’applique uniquement aux relations contractuelles maritales, que SEULS les époux peuvent invoquer l’un contre l’autre dans le cadre d’un divorce et uniquement dans ce cadre, car la relation maritale relève de la vie privée. Et c’est parce qu’elle relève de la vie privée que la jurisprudence admet que les époux peuvent volontairement renoncer à invoquer l’adultère ; ils peuvent même s’autoriser mutuellement une liberté de relations extraconjugales, qui est, là aussi, validée par la jurisprudence. Il est bon de rappeler à ce stade que les divorces pour adultère représentent à peine 15 % des divorces qui sont prononcés chaque année car l’adultère n’est plus, depuis 30 ans, une cause rédhibitoire (obligatoire) de divorce. Les mœurs ont changé et cela est si vrai que 55% des enfants naissent aujourd’hui hors mariage ; seuls les bigots demeurent et par delà les siècles veulent imposer leur loi à ceux qui ne partagent ni leur conviction ni leur opinion.
Par cette malhonnêteté intellectuelle, les bigots montrent qu’ils ne sont pas autres choses que les nouveaux censeurs de la liberté d’expression qu’ils revendiquent à tout bout de champs pour eux-mêmes. On comprend bien que pour ces gens là – qui ne sont pas voltairien - la liberté d’expression n’est valable que pour leurs opinions, fussent-elles tyranniques, en revanche ceux qui ne pensent pas comme eux doivent être muselés et pour cela ils sont prêts à user de tous les artifices comme invoquer une obligation qui n’existe pas dans l’espace public et instrumentaliser la Justice. Derrière leur demande, apparemment pleine de bon sens, ce qui est en jeu c’est la liberté d’expression dans ce mauvais procès. Si le peuple de France s’est levé le 11 janvier 2015, debout derrière la République qui autorise à caricaturer Mahomet, quand bien même cela heurterait certains musulmans, alors la même République doit laisser des sites comme Gleeden exprimer leurs opinions sur les relations extra-conjugales, quand bien même cela heurterait la sensibilité de certains catholiques. A défaut la République ne protègerait pas également tous ses enfants et ce serait le début de la tyrannie[2]. Et le Tribunal rendra sa décision le 26 janvier 2017 puisque j'ai plaidé ce dossier hier.
[1] A l’époque de Louis XIV, il s’agissait de la Compagnie du Saint Sacrement
[2] On invite le lecteur à poursuivre la réflexion en lisant ou relisant le « Traité sur la tolérance ».
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