A Tours, tout le monde connaît Me Christophe Moysan, l'avocat des sans-logis, des sans-papiers. Est-ce cet engagement qui a exaspéré un juge d'instruction au point de faire placer des écoutes à son domicile et à son cabinet, puis de le convoquer comme témoin? Le tout pour un banal soupçon de mariage blanc? Voilà la question posée par Christophe Moysan, qui a attaqué l'Etat pour «faute lourde» commise par le juge. Elle se pose en fait depuis novembre 1997 quand débute l'histoire, achevée par une totale déconfiture du juge d'instruction. L'audience a eu lieu mercredi devant la 1re chambre du tribunal de grande instance de Paris.

Mariage. Tout commence avec la dénonciation du maire de La Riche (Indre-et-Loire), qui doit célébrer les noces d'un client de Moysan, Bendhiba Selamnia, Algérien sans papiers, avec une compatriote régulièrement installée en France, le 27 octobre 1997. Suspectant un mariage de complaisance, le maire prévient le procureur de la République de Tours. Et, fait rarissime dans une pareille affaire, une instruction est ouverte, confiée au juge Xavier Rolland. Très vite, le magistrat met en examen Selamnia, qu'il accuse de chercher à régulariser sa situation par mariage avec «une personne vulnérable», et d'«extorsion de fonds à personne vulnérable» ainsi que «production de faux document». Nous sommes le 17 novembre et la journée du juge Rolland est active. Il délivre un mandat d'amener contre Selamnia et une commission rogatoire pour faire écouter son avocat. Première irrégularité, relevée à l'audience de mercredi par le président du tribunal de Paris, Jean-Claude Magendie: «Le juge en avise le bâtonnier de l'Ordre par une lettre datée du 17 novembre mais reçue le 27 novembre, c'est un élément essentiel de ce dossier.» La loi exige en effet que le bâtonnier soit auparavant averti lorsqu'un de ses confrères fait l'objet d'une telle procédure. La loi veut aussi que cela ne soit possible qu'à condition qu'il existe de graves indices d'une complicité de l'avocat dans les délits de ses clients véritables. On le verra, ce n'est pas le cas ici. En tout cas, les écoutes durent trois semaines, du 20 novembre au 10 décembre. Trois semaines pendant lesquelles toutes les conversations professionnelles et privées de Moysan sont enregistrées par les policiers.

40 cassettes. En juillet 1998, le juge entend l'avocat comme témoin. Dans le dossier figure la retranscription de 40 cassettes d'écoutes. C'est la stupéfaction. Les communiqués des associations d'avocats et de défense des droits de l'homme pleuvent alors: «les droits de la défense sont bafoués», «les magistrats perdent la tête dès qu'on touche aux sans-papiers», critiquent-ils en substance.

Première victoire pour Christophe Moysan, en octobre 1998, la chambre d'accusation d'Orléans prononce la nullité des écoutes et de toute la procédure pour «atteintes au droit de la défense», le juge Rolland est dessaisi et Selamnia est libéré.

Bénédiction du procureur. L'avocat décide d'aller plus loin en demandant à l'Etat une indemnisation pour le «dysfonctionnement du service public de la justice» causé par la faute du juge. Et mercredi, pour leur confrère Moysan, Mes Henri Leclerc et Jean-Michel Sieklucki se sont penchés sur le comportement du juge d'instruction et des institutions: «Au départ, c'est un dossier sans intérêt, et on ne comprend pas pourquoi un maire, un préfet et un juge s'emballent avec la bénédiction du procureur» et «le juge a eu une attitude extravagante, inhabituelle, alors qu'il n'existait pas l'ombre d'une charge contre Christophe Moysan. Le juge ne s'est pas livré à la recherche de la vérité, il a cherché à nuire à l'avocat». Sur la faute lourde du juge, ils ont expliqué: «Il n'y avait aucune raison d'écouter l'avocat, sauf pour obtenir des informations sur le dossier. Et il est effrayant pour un avocat que tous ses clients pensent avoir été écoutés. Un juge qui oublie à ce point ses devoirs, c'est incompréhensible!» Les avocats ont aussi raconté avoir discuté de l'affaire avec des juges d'instruction: «Ils étaient stupéfaits.» Le procureur Pierre Dillange les a d'ailleurs confortés: «La grandeur d'un Etat de droit est de savoir reconnaître ses erreurs.» Et il a assené. L'atteinte est «exceptionnelle car commise par un magistrat, normalement garant des libertés publiques, et visant un avocat, vecteur des droits de la défense». Jugement le 11 juillet.

Dominique SIMONNOT