TA Paris, ord., 18 février 2016, Societe Margo Cinema, req. n°1601822
Le 27 janvier 2016, la ministre de la culture et de la communication a délivré au film documentaire «Salafistes » un visa d’exploitation assorti d’une interdiction de représentation aux mineurs de dix-huit ans et d’un avertissement libellé de la manière suivante : « Ce film contient des propos et des images extrêmement violents et intolérants susceptibles de heurter le public ».
Par ailleurs, le visa de cette décision précisait que : « Ce film qui donne sur toute sa durée et de façon exclusive la parole à des responsables salafistes, ne permet pas de façon claire de faire la critique des discours violemment anti-occidentaux, anti-démocratiques, de légitimation d’actes terroristes, d’appels au meurtre d’« infidèles » présentés comme juifs et chrétiens, qui y sont tenus. Les images parfois insoutenables soutiennent ces propos en dépit de la volonté des réalisateurs de les utiliser en contrepoint».
La société de production a demandé au juge des référés du Tribunal administratif de Paris de suspendre l’exécution de cette décision en tant que ce visa d’exploitation est assorti d’une interdiction de représentation aux mineurs de dix-huit ans.
La requérante faisait valoir que l’interdiction aux mineurs de dix-huit ans constituait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et au droit à l’information du public et que la ministre de la Culture avait commis une une erreur d’appréciation en considérant que ce film pouvait être regardé comme faisant l’apologie de la violence.
Elle soutenait également que cette décision, qui contrevient au devoir d’information, interdisait toute représentation du film documentaire « Salafistes » aux mineurs de dix-huit ans et compromettait ainsi les conditions de diffusion du film, en salle de cinéma, y compris en cas d’accompagnement par des enseignants dans le cadre d’un projet pédagogique.
Le juge des référés du Tribunal administratif a fait droit à la demande de suspension de la société requérante en considérant notamment que :
"(...) le film « Salafistes » présente, selon les termes mêmes de l’avertissement dont est assorti la décision attaquée, « des propos et des images extrêmement violents et intolérants susceptibles de heurter le public » ; qu’il ressort de l’instruction, et notamment du visionnage du film, que ce documentaire, d’une durée d’une heure et onze minutes, est composé en grande partie d’interviews de personnes se présentant comme appartenant à la mouvance dite « salafiste », entrecoupés de messages de propagande des organisations dites DAESH ou AQMI et de scènes ou d’agissements transcrivant dans l’action leurs propos ; que les personnes interviewées, se présentant le plus souvent comme des imams, y développent des propos portant notamment sur l’application de la loi coranique, la place de la femme dans la société, les attentats perpétrés aux Etats-Unis le 11 septembre 2001, ceux qui ont eu lieu à Paris le 7 janvier 2015 contre le magazine Charlie Hebdo ou l’assassinat d’un journaliste américain ; que ces propos, s’il tendent, il est vrai, à remettre en cause le concept de démocratie et de droits de l’homme, transcrivent un discours et des actes portés par des personnes se revendiquant d’une mouvance dite « salafiste » et sont connus de tous pour être diffusés par les médias audiovisuels à des heures de grande écoute ; que certaines scènes ou images du documentaire, issues pour certaines d’entre elles de films de propagande des organisations DAESH et AQMI, sont d’une très grande violence ; que, toutefois, lesdites scènes, par leur portée et la façon dont elles sont introduites dans le documentaire, participent à la dénonciation des exactions commises contre les populations ; que, de même, l’ensemble des propos ou des scènes présentées dans le documentaire sont mis en perspective par l’avertissement figurant en début de film, accompagné d’une formule de Guy Debord relative à la dénonciation, par sa représentation, de la violence, ainsi que par les déclarations d’un jeune homme opposant le dispositif totalitaire de contrôle de la société mis en place par les personnes se réclamant du « salafisme » et la situation antérieure ainsi que par ceux d’un vieil homme relatant sa confrontation avec des intégristes ; qu’ainsi, le film, qui comporte des scènes de résistance ou de dissidence, permet au public, du fait même de sa conception d’ensemble et de la violence de certaines images, de réfléchir sur la portée de ce documentaire et de prendre le recul nécessaire face aux images ou aux propos qui ont pu y être présentés ; que, dans ces conditions, le film documentaire « Salafistes » ne paraît pas devoir être regardé, en l’état de l’instruction, comme comportant des scènes caractérisant l’existence de « scènes de très grande violence », au sens des dispositions en cause, de la nature de celles dont le 4° et le 5° de l’article R. 211-12 du code du cinéma et de l’image animée interdisent la projection à des mineurs de dix-huit ans ; (...)"
Il convient de préciser que le visa d'exploitation en cause n'est suspendue qu'en ce qu'il est assorti d’une interdiction aux mineurs de dix-huit ans et non aux seuls mineurs de seize ans.
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