CE, 16 décembre 2019, n°419220
Dans quel délai peut agir l’acquéreur évincé dans le cadre d’une préemption lorsque celui-ci ne s’est pas vu notifier la décision de préemption ?
C’est la question à laquelle a récemment répondu le Conseil d’État.
Un couple signe le 24 septembre 2008 une promesse de vente pour l’acquisition d’un immeuble. La commune décide de préempter mais ne notifie pas sa décision aux acquéreurs évincés.
Un peu moins de cinq plus tard, en mars 2013, le couple sollicite des informations à la commune sur l’état d’avancement du projet pour lequel le droit de préemption avait été exercé en joignant à sa demande une copie intégrale de la décision de préemption qui ne mentionnait pas les voies et délais de recours.
Le 4 février 2015, les acquéreurs évincés adressent une demande à la commune tendant au retrait de la décision de préemption du 24 septembre 2008. Cette demande est expressément rejetée le 19 février 2015.
Saisi à leur demande, le Tribunal administratif va annuler la décision de préemption ainsi que la décision rejetant le recours gracieux des requérants. Saisie à la demande de la commune, la cour administrative d’appel va annuler le jugement de première instance et rejeter les demandes des requérants en les considérant irrecevables car tardives. Les acquéreurs se sont alors pourvus en cassation contre cette décision et le Conseil d’Etat, approuvant à la Cour, a eu l’occasion de rappeler les principes suivants.
L'acquéreur évincé doit en principe être destinataire de la décision de préemption qu'il peut contester dans un délai de deux mois (R. 421-1 du code de justice administrative).
L'article R. 421-5 du code de justice administrative prévoit que ce délai ne lui est opposable qu'à la condition d'avoir été mentionné, avec les voies de recours, dans la notification de la décision.
Toutefois, il est désormais jugé à droit constant que le principe de sécurité juridique fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance.
En de telles hypothèses, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable.
En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
Dans la présente affaire, le Conseil d’Etat a relevé qu’il ressortait des pièces du dossier que s’il n’était pas établi que les acquéreurs évincés avaient reçu notification de la décision de préemption du 24 septembre 2008, ils avaient en revanche demandé le 18 mars 2013 à la commune des informations sur l'état d'avancement du projet en joignant une copie de cette décision.
Cette demande permettait d’établir qu'à cette dernière date les requérants avaient bien une connaissance acquise de la décision de préemption, peu importe qu’ils en aient reçu notification ou qu’ils se soient procurés la décision par ailleurs.
Partant, l’introduction d’une instance près de deux ans après cette date doit être regardée comme tardive car excédant le délai raisonnable au-delà duquel il pouvait être exercé.
Il en aurait sans doute été autrement si les requérants avaient engagé leur recours dans l’année qui a suivi leur demande d’information.
L’arrêt est également intéressant s’agissant de la demande de retrait de la décision dont l’annulation était également demandée.
La Cour administrative s’était fondée sur le principe codifié à l’article L. 242-1 du code des relations entre le public et l’administration selon lequel, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision.
Pour les juges d’appel, la commune ne pouvait plus retirer sa décision de préemption car celle-ci avait créé des droits au profit du vendeur et que le délai de quatre mois était largement expiré.
Le Conseil d’Etat va opérer une substitution de motifs pour rejeter, sur un fondement plus approprié, les conclusions d’annulation dirigées contre le rejet du recours gracieux.
La Haute juridiction précise en effet que l'exercice, au-delà du délai de recours contentieux contre un acte administratif, d'un recours gracieux tendant au retrait de cet acte ne saurait avoir pour effet de rouvrir le délai de recours.
Par suite, le rejet d'une telle demande n'est, en principe, et hors le cas où l'administration a refusé de faire usage de son pouvoir de retirer un acte administratif obtenu par fraude, pas susceptible de recours.
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