Voilà un thème qui permet de caractériser l’esprit qui anime toutes les réformes de procédure à vocation prétendument simplificatrice qui sont imposées depuis plusieurs années aux plaideurs : la généralisation de l’exécution provisoire des décisions de première instance.

 

1. Au regard des textes, le principe est prétendument celui du maintien du caractère suspensif de l’appel et de l’opposition.

En effet, l’article 539 du Code de procédure civile, qui figure au titre 16 du même code qui porte sur les voies de recours ordinaires, n’est pas modifié en ce qu’il énonce que le délai de recours et le recours lui-même exercé dans le délai sont suspensifs de l’exécution du jugement de première instance.

Cependant, l’article 514 du Code de procédure civile est désormais modifié pour les procès introduits depuis le 1er janvier 2020 [1] et énonce que les décisions de première instance sont exécutoires à titre provisoire, à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.

Comme toujours dans notre système juridique, il existe un principe, à savoir la suspension de l’exécution de la décision rendue en cas de recours ordinaire contre celle-ci, et une exception, à savoir l’exécution provisoire de plein droit.

Mais, en réalité, une telle exception prend le pas sur le principe et vient même à l’anéantir.

Le paradigme est ainsi renversé et il faut admettre que le principe véritable est contenu dans l’exception posée : c’est l’exécution provisoire de droit des décisions prononcées par la juridiction de première instance qui s’impose désormais.

Le Législateur a imaginé là compléter définitivement son arsenal pour lutter contre les recours formés contre les décisions de première instance, en paralysant éventuellement le plaideur qui ne serait pas en mesure d’exécuter le jugement rendu à son encontre, dès lors que ce jugement prononcerait une mesure contraignante à son encontre.

Il y a là une mesure malthusienne qui paralysera le modeste, mais assurément pas le nanti, lequel conservera encore toute sa faculté d’action, ce qui créera probablement encore un peu plus une fracture entre les uns et les autres, ne laissant ouvertes et accessibles qu’aux derniers des facultés de recourir contre une décision de première instance.

Chacun appréciera l’esprit républicain et le respect de l’égalité entre les citoyens qui transpirent derrière de telles dispositions…

 

2. Il n’en demeure pas moins que désormais, l’exécution provisoire du jugement est de droit, sauf dans deux cas.

D’une part, le premier juge dispose de la faculté de l’écarter par une motivation spéciale.

Le Juge peut en effet décider de l’écarter, en tout ou partie (curieuse précision) si l’exécution provisoire apparaît incompatible avec la nature de l’affaire [2].

Il dispose alors d’un pouvoir qu’il peut exercer d’office, même lorsque les parties n’ont rien proposé.

Il sera évidemment sage de préférer écarter l’exécution provisoire dès lors que l’objet du litige ne pourrait pas trouver à être réparé, en cas d’infirmation, ou difficilement par équivalent.

Les conséquences de l’exécution provisoire doivent donc être, plus qu’hier, prudemment mesurées par le juge de premier degré.

A cet égard, l’hypothèse de l’infirmation de la décision de première instance n’est aucunement fantasmatique puisque les analyses qui avaient été menées par la défunte Chambre Nationale des Avoués à la Cour, il y a quelques années (dans un réflexion portant déjà sur l’exécution provisoire de droit), montraient que le taux d’infirmation totale ou partielle des décisions de première instance par les cours d’appel dépassait parfois 50%.

Cette possibilité d’écarter l’exécution provisoire n’est cependant pas absolue pour le juge de premier degré, puisque, par exception, il est tenu de laisser le plein effet de l’exécution provisoire :
- Lorsqu’il statue en référé,
- Lorsqu’il prescrit des mesures provisoires pour le cours de l’instance,
- Lorsqu’il ordonne des mesures conservatoires,
- Lorsqu’il ordonnance une provision en qualité de juge de la mise en état.

D’autre part, l’exécution provisoire connaît encore d’une exception majeure et de principe soit : lorsqu’il existe une disposition spécifique qui précise que la décision n’est pas de droit exécutoire à titre exécutoire.

Il en va notamment du cas des décision du Juge au affaires familiales qui mettent fin à l’instance, puisque l’article 1074-1 du Code de procédure civile dispose « A moins qu’il en soit décidé autrement, les décisions du Juge aux affaires familiales qui mettent fin à l’instance ne bénéficie pas, de droit, de l’exécution provisoire ».

Cette exception n’est toutefois pas non plus absolue puisque certaines mesures de ce juge demeurent exécutoires à titre provisoire, à savoir :
- Les mesures portant sur l’exercice de l’autorité parentale,
- La pension alimentaire,
- La contribution alimentaire due pour les enfants,
- Ainsi que toutes les dispositions prises par application de l’article 255 du Code civil.

Il en va encore des décisions portant sur :
- La nationalité [3],
- Les actes d’état civil et de mention du changement de sexe [4],
- La déclaration d’absence [5],
- La filiation [6],
- L’adoption [7].

Enfin, il doit être précisé que l’exécution provisoire de plein droit affecte également les décisions prononcées par le Tribunal de Commerce, avec les réserves suivantes :
- Lorsque l’exécution provisoire est interdite (en matière de préservation du secret des affaires notamment),
- Ou lorsque la Loi précise son caractère facultatif (pour certaines sanctions applicables dans les procédures collectives).

Les décisions des Conseils des Prud’hommes ne sont pas exécutoires à titre provisoire par application de l’article R1454-28 du Code de travail. Cependant, de nombreuses mesures prononcées par les Conseils des Prud’hommes sont déjà assorties de l’exécution provisoire par application de dispositions réglementaires spécifiques.

 

3. A cette modification importante du caractère exécutoire des décisions de première instance, diverses réponses existent aujourd’hui.

A titre liminaire, il ne faut pas oublier que l’exécution provisoire est un cruel avantage pour le plaideur, puisque celui qui se sera trop hâté et qui connaîtra une infirmation ensuite sera tenu de replacer son adversaire en l’état préalable à l’exécution et de réparer les conséquences de sa trop grande précipitation et sa trop belle assurance.

Le cadeau fait par le législateur induit donc consécutivement une plus grande responsabilisation du bénéficiaire de l’exécution provisoire et une plus grande responsabilité de son conseil.

Au-delà, durant la procédure d’appel, seulement si celle-ci est introduite, le débiteur de l’exécution provisoire pourra saisir la juridiction du Premier Président à l’effet de voir arrêter cette exécution de plein droit.

Si les conditions d’accès à la juridiction et de succès de la demande ont été revues par le législateur, par rapport à ce qui existait précédemment et qui laissait irrémédiablement fermé au plaideur toute chance de réussite (puisqu’il lui fallait démontrer l’existence d’une violation manifeste de la règle de droit en plus de l’existence de circonstances manifestement excessives découlant de l’exécution provisoire), elles n’ont pas pour autant été véritablement facilitées.

Pour lutter contre l’exécution provisoire par voie de référé, le débiteur de l’exécution provisoire doit faire une double démonstration au regard des dispositions nouvelles de l’article 514-3 du du Code de procédure civile :
- D’une part, qu’il existe des moyens sérieux d’infirmation, ce qui sous-entend qu’il ait donc déjà développé ses moyens d’appel au fond,
- Et d’autre part, que l’exécution provisoire risque de produire des conséquences manifestement excessives à son égard.

En outre, si le débiteur de l’exécution provisoire ayant comparu devant le premier juge ne s’est pas, par avance et devant ce premier juge, défendu sur l’exécution provisoire sollicitée, il ne peut faire état que :
- de conséquences manifestement excessives à son égard qui se produirait postérieurement au jugement,
- ou d’un cas de violation manifeste du principe du contradictoire.

Son champ d’action est donc encore plus réduit, à défaut de s’être expliqué en première instance et opposé à l’exécution provisoire.

En pratique, il conviendra donc de faire acter en défense, devant le premier juge, et systématiquement, d’une opposition à l’exécution provisoire, soit par écrit dans les procédures écrites, soit oralement en l’absence d’écritures (dans les procédures orales).

Les débats doivent donc inclure ce nouvel élément.

Une dernière incidente, les dispositions nouvelles ne s’appliquent pas aux décisions rendues par le Juge de l’exécution et en matière de procédures collectives, puisque existent là des dispositions spécifiques permettant l’arrêt ou la suspension de l’exécution provisoire au vu des moyens sérieux développés en appel.

Il apparaît tout à fait étonnant que l’exécution provisoire de plein droit ne trouve pas une procédure spécifique plus ouverte pour lutter ses dérives et excès, d’autant plus qu’en parallèle, le plaideur bénéficiaire de l’exécution provisoire dispose toujours de la possibilité de solliciter la radiation de l’appel à défaut d’exécution volontaire du débiteur [8].

Là encore, le Législateur apparaît s’être fourvoyé en imaginant trouver là un frein au contentieux, alors qu’il risque au contraire de développer des contentieux parallèles au litige principal, uniquement du chef de l’exécution provisoire, notamment devant la juridiction du premier président, devant le conseiller de la mise en état, ou devant le juge de l’exécution.

 

Notes :

 

[1] Cf. article 55 II du décret du 11 décembre 2019.

[2] Article 514-1 du Code de procédure civil

[3] Article 1045 Code de procédure civile.

[4] Articles 1054-1 et suivants du Code de procédure civile.

[5] Article 1067-1 du Code de procédure civile.

[6] Article 1149 du Code de procédure civile.

[7] Article 1178 du Code de procédure civile.

[8] Article 524 du Code de procédure civile.