Le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile a modifié les contours de notre procédure civile d’appel dans les matières avec représentation obligatoire, notamment en supprimant les dispositions de l’alinéa 3 de l’article 132 du code de procédure civile, lequel précisait qu’en cause d’appel une nouvelle communication des pièces déjà versées aux débats n’était pas exigée mais pouvait être demandée, et en créant une disposition nouvelle sous son article 2 : l’article 906 du code de procédure civile.
Cet article 906 du code de procédure civile dans sa rédaction issue de ce décret stipule en son premier alinéa :
« Les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l'avoué de chacune des parties à celui de l'autre partie ; en cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles doivent l'être à tous les avoués constitués. »
 
Jusqu’au 25 juin 2012, la Cour de cassation ne s’était pas encore prononcée sur la sanction de l’absence de communication de pièces simultanément aux conclusions.
Avant l’avis n°1200005 du 25 juin 2012, les pièces justificatives pouvaient être produites jusqu’au jour de l’ordonnance de clôture de l’instruction ou au jour des débats dans les procédures à jour fixe, sous la condition générale toutefois de respecter le principe du contradictoire.
Les conclusions pouvaient également être signifiées avant toute communication de pièces, pourvu qu’elles respectent les dispositions de l’article 954 du code de procédure civile – et comportent notamment un bordereau récapitulatif des pièces visées - sans que cela n’entraîne ni l’irrégularité de la communication postérieure, ni l’irrecevabilité desdites pièces.
Ces points ne faisaient aucunement difficulté.
 
Cependant, la Cour de cassation a provoqué un véritable séisme dans le droit judiciaire privé et les pratiques judiciaires jusque là employées au second degré de juridiction au travers de son avis n°1200005 du 25 juin 2012.
Les termes clairs de la demande d’avis et l’avis lui-même sont énoncés ci-après :
« Vu la demande d’avis formulée le 21 mars 2012 par la cour d’appel de Paris, reçue le 5 avril 2012, dans trois instances (n° RG 12/01114, 12/01120 et 11/21611) relative à la sanction du défaut de communication simultanée des pièces dans les délais prévus par les articles 908 et 909 du code de procédure civile au regard des dispositions de l’article 906 du même code ainsi qu’à la possibilité de produire après l’expiration de ces délais des pièces qui n’auraient pas été visées dans les conclusions signifiées dans les délais des articles précités.
Sur le rapport de M. Alt, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Lathoud, avocat général entendu en ses observations orales ;
EN CONSÉQUENCE,
EST D’AVIS QUE :
Doivent être écartées les pièces, invoquées au soutien des prétentions, qui ne sont pas communiquées simultanément à la notification des conclusions. »
 
Extra legem, La Cour de cassation, présidée par Monsieur LAMANDA, Premier Président, inscrit une sanction non expressément prévue par le texte lui-même et ce, sans la moindre explication, tout en s’abstenant de répondre complètement à l’ensemble des questions posées.
Il est étonnant que la plus haute juridiction judiciaire française rende un avis contraire tant au rapport de Monsieur ALT conseiller référendaire que de l’avis de Monsieur LATHOUD avocat général, dont la lecture laissait présumer que la Cour de cassation se prononcerait plutôt sur une absence de sanction en cas de communication non simultanée aux conclusions d’appel des pièces justificatives.
 
Comment appréhender la nouvelle donne imposée par la Cour de cassation ?
La Cour de cassation entend-elle bannir toute communication de pièce après la signification des conclusions ?
Entend-elle également interdire désormais toute communication sans signification de nouvelles conclusions ou de conclusions avec un bordereau complété et ce, le jour même du dépôt des conclusions ?
Cela nécessiterait alors une réécriture des articles 15 et 132 du code de procédure civile, l’article 15 prévoyant que « les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les éléments de preuve qu’elles produisent (…) », lequel constitue rappelons-le un des principes directeurs du procès.
 
La Cour de cassation, en rédigeant son avis, ne précise pas si les parties peuvent produire de nouvelles pièces, postérieurement aux premières conclusions.
Convient-il de penser dorénavant le procès d’appel comme un litige définitivement figé dès la fin des débats ayant lieu devant les premiers juges, limitant la saisine de la Cour d’Appel à une critique de l’analyse de la juridiction de première instance ?
 
En l’absence de disparition des autres règles fondamentales de la procédure, et en l’absence de la réorientation de la procédure d’appel vue comme voie d’achèvement du procès et non comme simple voie de réformation du jugement soumis à la censure du second degré de juridiction, cette solution n’apparaît pas conforme aux règles du droit processuel.
Il paraît donc toujours possible à chacune des parties de procéder à des communications complémentaires.
Décider du contraire, aboutirait d’ailleurs à créer une inégalité entre l’appelant et l’intimé, ce dernier disposant de deux mois supplémentaires pour procéder à la réunion de pièces justificatives complémentaires.
Décider du contraire, aboutirait encore à priver l’appelant de répliquer à la communication de pièces nouvelles par l’intimé par des justificatifs également nouveaux et à créer une autre inégalité.
En outre, la procédure à jour fixe prévue par les dispositions des articles 917 et suivants du code de procédure civile deviendrait, concernant la production des pièces, moins restrictive que la procédure ordinaire.
 
Une autre question plus impertinente encore peut tarauder le lecteur de l’avis du 25 juin. Si la Cour de cassation imagine une véritable indivisibilité entre la signification des conclusions et la communication des pièces, doit-on imaginer comme irrecevables à leur tour les conclusions qui auraient été signifiées sans incorporer un bordereau récapitulatif complet ?
 
 
Par ailleurs, quelle est la juridiction appelée à connaître de l’irrecevabilité des pièces projetée par la Cour de cassation ?
S’agirait-il du conseiller de la mise en état ou de la Cour saisie du fond, qui devrait alors éventuellement se saisir d’un moyen non soulevée par les parties, non substantiel et n’apparaissant pas comme d’ordre public ?
La question est sans réponse à ce jour de la part de la Cour de cassation.
 
Pour achever l’analyse, une régularisation de la communication est-elle possible ?
En l’état des textes, rien ne semble l’interdire.
Il suffirait donc de produire l’ensemble des pièces en signifiant le jour même les conclusions comprenant le bordereau récapitulatif des pièces ainsi communiquées pour éviter toute irrecevabilité et l’application stricte de l’avis aujourd’hui analysé.
 
 
Enfin, l’interrogation la plus importante est peut-être de savoir si la position adoptée par Monsieur le Premier Président LAMANDA est anecdotique, voire accidentelle ou si elle s’inscrit dans un mouvement et une réflexion plus amples de bouleversement des règles judiciaires ?
La Cour de cassation veut-elle pour autant transformer les règles de la procédure d’appel dans les matières civiles et commerciales avec représentation obligatoire et cet avis est-il annonciateur d’autres règles procédurales plus coercitives à venir ?
On peut très sérieusement y songer.
Le modeste rédacteur de ces lignes s’autorise à penser que la volonté de réforme actuelle de l’institution judiciaire est très profonde et qu’à travers son avis, la Cour de cassation a souhaité faire preuve d’une grande rigueur dans l’interprétation des règles découlant du décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 et laisser deviner quelles seraient ses intentions pour l’avenir.
D’une part, le projet initial de Monsieur le Premier Président MAGENDIE a bien été de refondre les règles de la procédure d’appel en ajoutant des formes et des délais complémentaires pour maîtriser l’écoulement du temps de l’instance d’appel.
Monsieur le Premier Président LAMANDA ne fait donc que suivre le tracé existant et l’esprit qui gouvernait la réforme.
D’autre part, déjà des protocoles concernant la forme des écritures d’appel ont été signés par le Barreau de Paris et les barreaux de la couronne parisienne. D’autres magistrats de Cours d’Appel appellent de leurs vœux une généralisation de ce formalisme. De plus, certaines juridictions internationales le pratiquent déjà.
Là aussi, le sillon est creusé.
Au surplus, les règles processuelles dans les matières sans représentation obligatoire font l’objet de vives et régulières critiques, du fait de leur imprécision. En termes d’égalité et d’organisation, convient-il d’ailleurs de laisser des corpus de règles différents coexister au second degré de juridiction ?
Dans les mois à venir, il est à parier que d’autres règles nouvelles viendront se superposer aux règles déjà complexes de la procédure civile d’appel.
Peut-être se généraliseront-elles à l’ensemble des matières d’appel ?
 
Maître Alexis Devauchelle
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