EN BREF : dans un arrêt en date du 30 mars 2018, le Conseil d’État précise la méthode d’évaluation des préjudices professionnels, notamment l’imputation de la pension d’invalidité, consécutifs à une incapacité permanente en raison d’une infection nosocomiale contractée lors d’une hospitalisation. Pour déterminer dans quelle mesure les préjudices ont été réparés par la pension d'invalidité, il y a lieu de regarder cette prestation comme réparant prioritairement les pertes de revenus professionnels et, par suite, comme ne réparant tout ou partie de l'incidence professionnelle que si la victime ne subit pas de pertes de revenus ou si le montant de ces pertes est inférieur à celui perçu au titre de la pension.

En l’espèce, M. B... s'est trouvé dans l'incapacité, du fait de l'infection nosocomiale et de la mise en place de prothèses des hanches, de poursuivre son activité professionnelle de tuyauteur soudeur et qu'il a perdu son emploi en novembre 2004.

L'arrêt attaqué  de la Cour administrative d’appel de Nancy du 5 décembre 2013 constate que M. B... s'est trouvé dans l'incapacité, du fait de l'infection nosocomiale et de la mise en place de prothèses des hanches, de poursuivre son activité professionnelle de tuyauteur soudeur et qu'il a perdu son emploi en novembre 2004.

Il regarde comme une conséquence directe de l'infection l'intégralité des pertes de revenus subies jusqu'au 31 juillet 2006 ; qu'en revanche, pour la période ultérieure, il juge que l'intéressé n'a subi aucun préjudice professionnel dès lors qu'il « n'est pas inapte à toute activité professionnelle, sous réserve qu'elle soit compatible avec son handicap ».

En excluant ainsi tout préjudice professionnel postérieurement au 31 juillet 2006, alors qu'elle avait constaté l'impossibilité de poursuivre l'activité exercée antérieurement et l'existence d'un handicap limitant les possibilités de reconversion professionnelle, la cour administrative d'appel de Nancy n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a commis une erreur de droit.

Son arrêt doit, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, être annulé en tant qu'il statue sur les préjudices professionnels subis par M. B... à compter du 1er août 2006 et refuse toute indemnité à ce titre à l'ONIAM et à la CPAM du Bas-Rhin.

En application des dispositions de l'article, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2006 relative au financement de la sécurité sociale, le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel ou d'un recours de l'ONIAM, subrogé dans les droits de la victime en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, et du recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime.

Il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime.

Le juge doit allouer cette indemnité à la victime ou à l'ONIAM, subrogé dans ses droits, dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale.

Lorsqu'il procède à l'évaluation des préjudices subis afin de fixer le montant des indemnités dues à l'ONIAM subrogé dans des droits de la victime en application des dispositions de l'article L. 1142-15, le juge n'est pas lié par le contenu de la transaction intervenue entre l'ONIAM et la victime.

L'ONIAM ne saurait, toutefois, obtenir un montant supérieur à celui qu'il a versé à la victime.

D'autre part, qu'eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par ces dispositions de l'article L.341-1 du code de la sécurité sociale et à son mode de calcul, en fonction du salaire, fixé par l'article R.341-4 du même code, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de son incapacité.

Dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une pension d'invalidité ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice.

Il convient, en conséquence, de déterminer si l'incapacité permanente conservée par M. B... en raison de l'infection contractée lors de son hospitalisation a entraîné, pendant la période postérieure au 31 juillet 2006 demeurant en litige, des pertes de revenus professionnels et une incidence professionnelle et, dans l'affirmative, d'évaluer ces postes de préjudice sans tenir compte, à ce stade, du fait qu'ils ont donné lieu au versement d'une pension d'invalidité.

Pour déterminer ensuite dans quelle mesure ces préjudices ont été réparés par la pension, il y a lieu de regarder cette prestation comme réparant prioritairement les pertes de revenus professionnels et, par suite, comme ne réparant tout ou partie de l'incidence professionnelle que si la victime ne subissait pas de pertes de revenus ou si le montant de ces pertes était inférieur à celui perçu au titre de la pension.

Dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la circonstance que M. B... était âgé de 52 ans à la date du 31 juillet 2006 et au fait que son handicap, qui lui a fait perdre son emploi de tuyauteur soudeur dont il tirait des revenus stables, rendait impossible la reprise tant de cette activité que d'une activité comparable, l'infection nosocomiale qu'il a contractée doit être regardée comme la cause directe de la perte de tout revenu professionnel jusqu'à l'âge de la retraite, qu'il a atteint le 15 décembre 2013.

Compte tenu des revenus de l'intéressé en 2001, les revenus qu'il aurait dû percevoir entre le 1er août 2006 et le 15 décembre 2013 doivent être évalués à la somme de 154 362,76 euros.

Il ne résulte pas de l'instruction que M. B...aurait justifié d'une chance sérieuse d'augmenter ses revenus professionnels au cours de cette période, dont la privation serait constitutive d'une incidence professionnelle.

Il résulte de l'instruction que, pendant la même période, la CPAM du Bas-Rhin a versé à M. B... une pension d'invalidité pour un montant total de 30 002,70 euros.

Cette prestation doit être regardée comme ayant eu pour objet de réparer ses pertes de revenus.

La part de ces pertes restée à sa charge s'est en conséquence élevée à 124 360,06 euros.

L’'ONIAM est subrogé dans les droits de M. B... à concurrence de la somme de 74 719,64 euros qu'il lui a versée au titre de son préjudice professionnel dans le cadre de la transaction qu'il a conclue avec lui.

L'arrêt du 15 décembre 2016 de la cour administrative d'appel de Nancy lui ayant accordé une indemnité de 17 413,62 euros au titre du préjudice subi avant le 1er août 2006, il ne peut prétendre, au titre du préjudice subi à compter de cette date, à une somme supérieure à 57 306,02 euros.

Ce montant étant inférieur à celui des pertes de revenus non compensées par la pension d'invalidité subies par M. B... au cours de cette période, il y a lieu d'accorder à l'office une indemnité de ce montant.

La CPAM du Bas-Rhin peut, quant à elle, prétendre au remboursement de la somme de 30 002,70 euros versée à l'intéressé au titre de la pension d'invalidité au cours de cette même période.

Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de mettre à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg une somme de 57 306, 02 euros à verser à l'ONIAM et une somme de 30 002,70 à verser à la CPAM du Bas-Rhin, ces sommes s'ajoutant aux montants qu'ils ont été condamnés à leur verser par l'arrêt du 15 décembre 2016 de la cour administrative d'appel de Nancy.

SOURCE : Conseil d'État, 5ème et 6ème chambres réunies, 30/03/2018, 408052

JURISPRUDENCE :

  • Sur la distinction entre pertes de revenus professionnels et incidence professionnelle :

Avis du Conseil d'État, Section du Contentieux, 04/06/2007, 303422, Publié au recueil Lebon

Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 17/04/2013, 346334

« Eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par l'article L.341-1 du CSS, et à son mode de calcul, en fonction du salaire, fixé par l'article R.341-4 du même code, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité. Dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une pension d'invalidité ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice »

  • Pour la rente d'accident du travail : elle ne saurait être imputée sur un poste de préjudice personnel

Conseil d'État, Section du Contentieux, 08/03/2013, 361273, Publié au recueil Lebon

« Eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée par l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini par l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité. Dès lors, le recours subrogatoire exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une rente d'accident du travail ne saurait, pour l'application des règles résultant de l'article 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue du IV de l'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, s'exercer que sur ces deux postes de préjudice. En particulier, une telle rente ne saurait être imputée sur un poste de préjudice personnel. »

  • s'agissant de l'applicabilité de ces dispositions aux recours subrogatoires exercés par les caisses au titre de prestations servies aux victimes d'accidents du travail en application du livre IV du code de la sécurité sociale :

Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 05/03/2008, 272447, Publié au recueil Lebon

« L'article 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation, relatif à l'exercice des recours des tiers payeurs contre les personnes tenues à la réparation d'un dommage, a été modifié (comme l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale) par le IV de l'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, relative au financement de la sécurité sociale pour 2007. Ces dispositions s'appliquent aux recours exercés par les caisses de sécurité sociale dans une action engagée par la victime d'un accident du travail et l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale, relatif aux recours des caisses en matière d'accidents du travail, doit être appliqué compte tenu de ces modifications. La modification de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale s'applique aux événements ayant occasionné des dommages survenus antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi du 21 décembre 2006 (LFSS pour 2007), dès lors que le montant de l'indemnité due à la victime n'a pas été définitivement fixé. Application aux accidents du travail de la distinction des préjudices de nature patrimoniale, distingués poste par poste, et des préjudices personnels sur lesquels l'organisme de sécurité sociale ne peut exercer son recours que s'il établit avoir versé à la victime une pension réparant de manière incontestable un tel préjudice. La rente versée par la caisse de sécurité sociale pour compenser la perte de revenus de la victime d'un accident du travail est présumée s'imputer sur la part patrimoniale du préjudice et non sur la part des préjudices personnels, sauf si la caisse établit qu'une telle rente a réparé de manière incontestable tout ou partie d'un tel préjudice . »

  • s'agissant de la nomenclature des postes de préjudice :

Avis du Conseil d'État, Section du Contentieux, 04/06/2007, 303422, Publié au recueil Lebon

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 19 mai 2009, 08-82.666, Publié au bulletin

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 11 juin 2009, 08-16.089, Publié au bulletin

  • s'agissant de l'imputation de la rente d'accident du travail sur la part patrimoniale du préjudice :

Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 05/03/2008, 272447, Publié au recueil Lebon

« L'article 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation, relatif à l'exercice des recours des tiers payeurs contre les personnes tenues à la réparation d'un dommage, a été modifié (comme l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale) par le IV de l'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, relative au financement de la sécurité sociale pour 2007. Ces dispositions s'appliquent aux recours exercés par les caisses de sécurité sociale dans une action engagée par la victime d'un accident du travail et l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale, relatif aux recours des caisses en matière d'accidents du travail, doit être appliqué compte tenu de ces modifications. La modification de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale s'applique aux événements ayant occasionné des dommages survenus antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi du 21 décembre 2006 (LFSS pour 2007), dès lors que le montant de l'indemnité due à la victime n'a pas été définitivement fixé. Application aux accidents du travail de la distinction des préjudices de nature patrimoniale, distingués poste par poste, et des préjudices personnels sur lesquels l'organisme de sécurité sociale ne peut exercer son recours que s'il établit avoir versé à la victime une pension réparant de manière incontestable un tel préjudice. »

  • s'agissant de la possibilité pour la caisse d'établir qu'une telle rente a réparé de manière incontestable tout ou partie d'un préjudice personnel :

Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 05/03/2008, 272447, Publié au recueil Lebon

« La rente versée par la caisse de sécurité sociale pour compenser la perte de revenus de la victime d'un accident du travail est présumée s'imputer sur la part patrimoniale du préjudice et non sur la part des préjudices personnels, sauf si la caisse établit qu'une telle rente a réparé de manière incontestable tout ou partie d'un tel préjudice. »