OUI : dans un arrêt en date du 29 mai 2019, la Cour administrative d’appel de Versailles a considéré que lorsque les mesures de contrôle ou de sanction de l’agent en congé de maladie, par leur caractère répété et excessif, sont de nature à perturber le repos nécessaire à la guérison de l'agent et à sa reprise de fonctions, alors même qu'elles ont été mises en œuvre pendant une période de congé maladie, elles doivent être regardées comme constitutives d'agissements de harcèlement moral.



Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : « Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) ».


Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.

La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

En premier lieu, pour soutenir qu'il avait été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, M. C...a fait état, s'agissant de la période d'avril 2014 à d'avril 2015 au cours de laquelle il était placé en congé maladie, des sanctions prises à son égard du fait de simples retards dans la transmission d'arrêts de travail pour cause de maladie, des retenues pratiquées sur son traitement, du lancement d'une procédure d'abandon de poste, de son placement en disponibilité d'office par un arrêté du 8 avril 2015 retiré le 27 avril suivant, ainsi que des nombreuses demandes de pièces complémentaires pour le versement du supplément familial de traitement.

Il a produit, tant en première instance qu'en appel, les pièces établissant la matérialité de ces faits et, notamment, les courriers du directeur général des services engageant les procédures disciplinaires à son encontre, les arrêtés infligeant les sanctions de blâme et d'avertissement, ses bulletins de traitement des mois de juillet et août 2014, l'arrêté du 8 avril 2015 le plaçant en disponibilité d'office ainsi que les courriers de demande de pièces complémentaires concernant le supplément familial de traitement. Il suit de là que la COMMUNAUTE DE COMMUNES DU HAUT VAL-D'OISE n'est pas fondée à soutenir que la matérialité des faits invoqués par l'intéressé pour faire présumer l'existence d'un harcèlement moral n'est pas établie.

En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que le président de la COMMUNAUTE DE COMMUNES DU HAUT VAL-D'OISE a infligé à M.C..., par une décision du 1er septembre 2014, un blâme au motif que l'intéressé aurait transmis tardivement la prolongation de son arrêt de travail pour la période du 8 août au 8 septembre 2014.

Par une décision du même jour, cette même autorité a infligé, en outre, à M. C...un avertissement au motif qu'il avait transmis tardivement la prolongation de son arrêt de travail pour la période du 7 juillet au 7 août 2014 et qu'il était en conséquence en situation d'absence injustifiée les 5 et 6 juillet 2014.

Ces deux retards dans la transmission des arrêts maladies ont au surplus donné lieu à des retenues sur traitement en juillet puis en août 2014, qui ont été finalement régularisées le mois suivant.

Il résulte également de l'instruction que le président de la COMMUNAUTE DE COMMUNES DU HAUT VAL-D'OISE a lancé, le 12 août 2014, une procédure d'abandon de poste au motif qu'en l'absence de transmission de l'avis de prolongation de son arrêt de travail, M. C... se serait trouvé en situation d'absence injustifiée depuis le 8 août 2014.

Enfin, par un arrêté du 8 avril 2015, cette même autorité a placé M. C... en disponibilité d'office sans traitement au motif que l'intéressé avait épuisé ses droits à congé maladie ordinaire.

Il résulte, par ailleurs, de l'instruction, que M. C...a dû adresser à son employeur de multiples relances afin d'obtenir le versement du supplément familial de traitement auquel il pouvait prétendre.

Toutes ces mesures prises par la COMMUNAUTE DE COMMUNES DU HAUT VAL-D'OISE à l'encontre de M. C...s'étendent du mois de mai 2014, date des demandes de compléments d'informations, non indispensables, relatives au supplément familial de traitement, au mois d'avril 2015, au cours duquel le président de la CCHVO a pris un arrêté du 8 avril, retiré le 27 avril, plaçant M. C...en disponibilité d'office sans traitement au motif que l'intéressé avait épuisé ses droits à congé maladie ordinaire.

Dans ces conditions, la COMMUNAUTE DE COMMUNES DU HAUT VAL-D'OISE n'est pas fondée à soutenir que l'ensemble de ces mesures, sur la période considérée, ne constituaient que des faits isolés sur une période courte, qui ne satisferaient pas à la condition de répétition prévue par le premier alinéa de l'article 6 quinquies précité de la loi du 13 juillet 1983.

En troisième lieu, les sanctions de blâme et d'avertissement ont été infligées respectivement aux seuls motifs tirés du retard de transmission des arrêts de travail pour les périodes du 7 juillet au 7 août 2014 et du 8 août au 8 septembre 2014, et de l'absence injustifiée les 5 et 6 juillet 2014 qui correspondaient pourtant à un samedi et un dimanche.

Ces faits ne constituant pas des fautes de nature à justifier ces sanctions, celles-ci ont excédé les limites normales du pouvoir disciplinaire et ont présenté un caractère abusif, de même que les retenues pratiquées sur le traitement de l'intéressé en juillet et août 2014.

De plus, il résulte de l'instruction qu'à la date de la décision plaçant M. C...en disponibilité d'office, le comité médical ne s'était prononcé ni sur l'aptitude de l'intéressé à une éventuelle reprise ni sur sa demande de placement en congé longue maladie.

Enfin, si la COMMUNAUTE DE COMMUNES DU HAUT VAL-D'OISE soutient qu'elle aurait adressé les mêmes demandes de complément d'information pour le versement du supplément familial de traitement à ses autres agents, elle ne conteste pas qu'elle disposait, dès le 7 mai 2014, des pièces nécessaires au traitement de la demande de M. C...qui n'a obtenu qu'au mois d'août 2014 le versement du supplément familial de traitement pour la période du 21 mars au 31 juillet 2014.

L'ensemble de ces mesures, par leur caractère répété et leur inadéquation aux faits reprochés à l'intéressé ou à sa situation, ont été de nature à perturber de manière injustifiée, dès lors qu'elles excèdent les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique et en particulier du pouvoir de contrôle de l'autorité hiérarchique sur l'agent en congé maladie, le repos nécessaire à la guérison de l'agent et à la reprise de ses fonctions.

Dans ces conditions, alors même qu'elles ont été mises en œuvre pendant une période de congé maladie, elles doivent être regardées comme étant constitutives d'agissements de harcèlement moral au sens de l'article 6 quinquies précité de la loi du 13 juillet 1983.

Enfin, les moyens tirés par la requérante de la circonstance qu'elle n'aurait pas eu l'intention de porter atteinte à la dignité ou d'altérer la santé de M.C..., et des fautes commises par l'intéressé lors de sa précédente affectation au sein de la communauté de Flandres-Lys et au cours de l'année 2018 sont inopérants.

Il résulte de ce qui précède que la COMMUNAUTE DE COMMUNES DU HAUT VAL-D'OISE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a condamnée à verser la somme de 5 000 euros à M. C... en réparation du préjudice moral subi par l'intéressé du fait d'agissements de harcèlement moral.

Il résulte de ce qui précède que M. C...n'est pas fondé à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la COMMUNAUTE DE COMMUNES DU HAUT VAL-D'OISE à verser la seule somme de 5 000 euros.

SOURCE : CAA de VERSAILLES, 5ème chambre, 29/05/2019, 17VE00707, Inédit au recueil Lebon