EN BREF : dans un arrêt en date du 22 juin 2022, le Conseil d’Etat précise que le délai du recours contentieux ouvert à un tiers justifiant d’un intérêt à agir pour saisir le tribunal administratif pour demander l’annulation de la décision du maire refusant de faire usage de son pouvoir d’abroger ou de retirer un permis obtenu par fraude, bien sûr quelle que soit la date à laquelle il l’a saisie d’une demande à cette fin, court dès la naissance de cette décision implicite de rejet, sans que l'absence d'accusé de réception de sa demande y fasse obstacle.


Par un arrêté du 19 novembre 2015, le maire de la commune de Juvignac a délivré à la B...un permis de construire pour la réalisation d'un ensemble immobilier comportant 111 logements collectifs, sur un terrain situé 143, rue Jupiter, au sein de la ZAC des Constellations.

Par un courrier du 1er juin 2018, la société A... en ville de Juvignac a demandé au maire de Juvignac de procéder au retrait pour fraude de cette autorisation d'urbanisme.

Par un jugement du 2 juillet 2020 contre lequel la commune de Juvignac et la B...se pourvoient en cassation, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire de Juvignac sur cette demande de retrait de l'arrêté du 19 novembre 2015, en tant que le permis de construire autorise 1'édification du bâtiment C en dehors de la zone d'implantation initialement définie dans le lot D1, et rejeté le surplus des conclusions, notamment celles tendant à l'annulation du permis de construire délivré le 19 novembre 2015.

Eu égard aux moyens qu'elles soulèvent, la commune de Juvignac et la B...doivent être regardées comme contestant ce jugement en tant seulement qu'il statue sur les conclusions dirigées contre le refus du maire de Juvignac de retirer ce permis.

Un tiers justifiant d'un intérêt à agir est recevable à demander, dans le délai du recours contentieux, l'annulation de la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l'a saisie d'une demande à cette fin.

Dans un tel cas, il incombe au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, d'une part, de vérifier la réalité de la fraude alléguée et, d'autre part, de contrôler que l'appréciation de l'administration sur l'opportunité de procéder ou non à l'abrogation ou au retrait n'est pas entachée d'erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter, soit du maintien de l'acte litigieux, soit de son abrogation ou de son retrait.

En vertu de l'article L.112-3 du code des relations entre le public et l'administration : « Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception (...) ».

Aux termes de l'article L.112-6 du même code : « Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation (...) ».

Aux termes, enfin, de l'article L.411-3 de ce code : « Les articles L.112-3 et L.112-6 relatifs à la délivrance des accusés de réception sont applicables au recours administratif adressé à une administration par le destinataire d'une décision ».

Les dispositions précitées de l'article L.112-6 du code des relations entre le public et l'administration s'appliquent uniquement aux recours formés par les personnes contestant une décision prise à leur égard par une autorité administrative et sont sans incidence sur les règles applicables aux recours administratifs formés par des tiers à l'encontre d'autorisations individuelles créant des droits au profit de leurs bénéficiaires.

Par suite, en cas de naissance d'une décision implicite de rejet du recours administratif formé par un tiers contre un permis de construire, résultant du silence gardé par l'administration pendant le délai de deux mois prévu à l'article R.421-2 du code de justice administrative, le nouveau délai ouvert à l'auteur de ce recours pour saisir la juridiction court dès la naissance de cette décision implicite, qu'il ait été ou non accusé réception de ce recours.

Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que si un tiers justifiant d'un intérêt à agir est recevable à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle l'autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un permis obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l'a saisie d'une demande à cette fin, le délai du recours contentieux qui lui est ouvert pour saisir la juridiction court dès la naissance de cette décision implicite, sans que l'absence d'accusé de réception de sa demande y fasse obstacle.

SOURCE :  Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 22/06/2022, 443625

JURISPRUDENCE :

En précisant, CE, 5 février 2018, Société Cora, n°s 407149 407198, T. pp. 961-962 :

« Un tiers justifiant d'un intérêt à agir est recevable à demander, dans le délai de recours contentieux, l'annulation de la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l'a saisie d'une demande à cette fin. Dans un tel cas, il incombe au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, d'une part, de vérifier la réalité de la fraude alléguée et, d'autre part, de contrôler que l'appréciation de l'administration sur l'opportunité de procéder ou non à l'abrogation ou au retrait n'est pas entachée d'erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de l'acte litigieux soit de son abrogation ou de son retrait ».

CE, Section, 15 juillet 2004, Epoux Damon, n° 266479, p. 331 :

« Aux termes du premier alinéa de l'article 18 de la loi du 12 avril 2000, qui détermine le champ d'application des dispositions du chapitre II du titre II de cette loi relatives au régime des décisions prises par les autorités administratives : Sont considérées comme des demandes au sens du présent chapitre les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressées aux autorités administratives. En assimilant les recours gracieux ou hiérarchiques à des demandes au sens du présent chapitre, soumises aux dispositions de l'article 19 de la même loi prescrivant aux autorités administratives d'accuser réception de toute demande dans des conditions dont le non-respect entraîne l'inopposabilité des délais de recours, le législateur a entendu viser, conformément à sa volonté de protéger les droits des citoyens dans leurs relations avec les autorités administratives, les recours formés par les personnes contestant une décision prise à leur égard par une autorité administrative. Il n'a, en revanche, pas entendu porter atteinte à la stabilité de la situation s'attachant, pour le bénéficiaire d'une autorisation administrative, à l'expiration du délai de recours normalement applicable à cette autorisation. Il en résulte que l'intervention de ces dispositions législatives demeure sans incidence sur les règles applicables aux recours administratifs, gracieux ou hiérarchiques, formés par des tiers à l'encontre d'autorisations individuelles créant des droits au profit de leurs bénéficiaires.
Ne sont pas applicables à la détermination du délai imparti aux tiers pour saisir la juridiction compétente à la suite d'une décision rejetant des recours gracieux ou hiérarchiques formés par eux à l'encontre d'autorisations individuelles créant des droits au profit de leurs bénéficiaires, les dispositions de l'article R. 421-5 du code de justice administrative selon lesquelles les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision.

Conformément à l'article R. 490-7 du code de l'urbanisme, le délai de recours à l'égard des tiers court à compter de l'affichage du permis sur le terrain et en mairie, dès lors que cette formalité a été accomplie de manière complète et régulière. Lorsque le tiers qui entend contester une telle autorisation utilise la faculté qui lui est ouverte de présenter un recours gracieux ou hiérarchique avant de saisir la juridiction compétente, l'exercice d'un tel recours a pour conséquence de proroger le délai de recours contentieux, sous réserve du respect des formalités de notification de ce recours préalable prévues à l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme. Les dispositions de l'article 19 de la loi du 12 avril 2000 et celles de l'article R. 421-5 du code de justice administrative ne pouvant trouver à s'appliquer en pareille hypothèse, il s'ensuit qu'en cas de naissance d'une décision implicite de rejet du recours administratif formé par un tiers contre un permis de construire, résultant du silence gardé par l'administration pendant le délai de deux mois prévu à l'article R. 421-2 du code de justice administrative, le nouveau délai ouvert à l'auteur de ce recours pour saisir la juridiction court dès la naissance de cette décision implicite, qu'il ait été ou non accusé réception de ce recours. D'autre part, dans le cas où une décision expresse de rejet est notifiée à l'auteur du recours administratif avant l'expiration du délai au terme duquel une décision implicite est susceptible de naître, le nouveau délai pour se pourvoir court à compter de cette notification, même si celle-ci ne comporte pas la mention des voies et délais de recours. »