Travail dissimulé ou Régularisation tardive ?

 

Par Ariel DAHAN

Avocat au Barreau de Paris

 

 

Le travail dissimulé est un cancer du monde moderne du travail.

-           Il pénalise les salariés qui ne cotisent pas pour leur travail et ne bénéficieront pas de leurs droits sociaux ;

-           Il pénalise la société, qui ne perçoit ni les cotisations ni les impôts ;

-           Il pénalise in-fine l’entreprise qui s’expose à des sanctions très lourdes.

Mais le travail dissimulé s’explique parfois en raison de la difficulté réelle ou supposé de procéder aux formalités d’embauche, ou à distinguer entre les situations qui relèvent du contrat de travail (d’ordre public) et celles qui bénéficieront du rapport dérogatoire du contrat de louage de services, sous couvert d’une prestation d’autoentrepreneur.

 

Toute la difficulté du bénéficiaire de la prestation est que cette prestation relève à priori et par défaut du contrat de travail, et qu’il doit donc préconstituer la preuve du régime dérogatoire. Ce qui suppose le recours à un contrat.

Mais le contrat de prestation de service ne fait pas tout. Il faudra encore justifier que le prestataire de la prestation de service relève lui-même de ce régime dérogatoire. A défaut le prestataire devient salarié. Et les requalifications de prestations de service en contrat de travail sont nombreuses. C’est toute la difficulté de la régularisation tardive, toujours possible, du contrat de travail.

 

I – Une régularisation toujours nécessaire

Inutile de préciser que la régularisation de la situation de travail est toujours nécessaire dans les situations ambigües.

 

Les situations ambigües sont typiquement celles issues de l’engagement du prestataire de s’inscrire en auto-entreprise, qui tarde à en justifier.

Comment gérer la régularisation ?

 

En premier lieu, il faut rappeler que le bénéficiaire d’une prestation de service, s’il est professionnel, doit établir une Déclaration sociale (DADS) en fin d’exercice. Cette déclaration va reprendre les sommes versées, et le décompte au titre des charges sociales, qu’elles soient patronales, salariales ou précomptées.

Précomptées ? En effet, le bénéficiaire d’une prestation, lorsqu’il est professionnel, a l’obligation de s’assurer que les charges sociales afférentes à la prestation dont il bénéficie seront payées par le prestataire.

De fait elles le seront (et le recouvrement relèvera des URSSAF) lorsque le prestataire est inscrit à un registre du commerce, des métiers, des agents commerciaux ou autre.

Mais lorsqu’il est en cours d’inscription, et que la prestation a commencé, ce qui est un cas fréquent, comment faire ?

 

Il est recommandé dans ce cas que le contrat de prestation de service prévoie la possibilité de retenir les charges sociales afférentes à la facture du prestataire, jusqu’à justification par celui-ci de son immatriculation au RCS ou au RM.

Et dans ce cas, le bénéficiaire paye la facture « nette », en retenant (à la source !) les charges sociales, jusqu’à ce que le prestataire justifie de sa situation.

S’il n’en justifie pas, le bénéficiaire devra régulariser la situation, et acquitter les charges sociales retenues.

 

L’intérêt de cette méthode est que le bénéficiaire, devenu automatiquement employeur en CDI à temps plein, a pu financer les charges sociales qui correspondent à la prestation dont il a bénéficié.

A défaut, la régularisation apparaîtra comme punitive, et génèrera une sur-taxation par rapport au montant de la prestation convenue.

 

C’est tout l’intérêt de la DADS de permettre au bénéficiaire, devenu employeur contraint, de justifier comptablement des sommes payées, et de pouvoir les imputer fiscalement et socialement, même en l’absence de contrat de travail "écrit" (puisqu'à défaut d'écrit, le contrat de travail s'impose au nom de l'ordre public).

 

L’employeur contraint n’a plus qu’à procéder à la régularisation du salarié, en procédant à sa déclaration aux organismes sociaux.

 

II – Limites de cette régularisation : la bonne foi ou l’intention de dissimulation

La limite de la régularisation, comme en toute situation, tient à la bonne foi de l’employeur, et plus exactement au fait que la situation factuelle peut faire émerger des circonstances qui établissent une volonté de dissimuler le travail du salarié, pour éluder les charges ou pour d’autres raisons.

 

Bien que la régularisation soit toujours possible (et obligatoire), cette régularisation n’absout pas tout. Notamment la pénalité due au titre du travail dissimulé, de l’article L.8223-1 du Contrat de Travail, qui correspond à 6 mois de salaire indépendamment du préjudice subi par le salarié !

 

Le Conseil de Prud’hommes de Paris a précisé le 9 octobre 2018, dans un jugement très factuel dont la motivation paraît remarquablement exposée, bien que contestable, que les circonstances factuelles sont contrôlées par le juge du contrat de travail, et qu’elles permettent de retenir la bonne fois ou le caractère intentionnel de la dissimulation, et la qualification de travail dissimulé qui en découle.

 

Les faits sont tristement simples : une auxiliaire de vie recrutée pour assister les derniers jours d’une personne, voulait être déclarée en tant qu’autoentrepreneur. Elle y trouvait un avantage (probablement au titre des prestations de chômage qu’elle continuait à percevoir par ailleurs).

Tel fut le deal, et comme il arrive dans ces situations, la loi a créé des situations contractuelles simplifiées (le Chèque Emploi Service Universel – CESU) qui permet à l’employeur de s’affranchir de la négociation et de la rédaction du contrat de travail. Hélas, comme toujours, cette simplification des formalités s’accompagne d’un rétrécissement de la pensée et l’employeur, incité à la paresse intellectuelle des formalités simplifiées (déclaration sur internet, pas de documents à remettre au salarié) a tout simplement oublié de rédiger un contrat de prestation de service avec son auxiliaire de vie auto-entrepreneur.

 

Advint ce qui était prévisible : Absence de justification de la situation d’autoentreprise, conflit avec l’employeur, régularisation par l’employeur du contrat en CESU, acquittement des charges sociales, fin du contrat, et réclamation prud’hommale.

 

Dans cette situation, le Conseil de Prud’hommes de Paris a remarquablement motivé sa décision, pour retenir le travail dissimulé. Il s’est attaché au temps passé par l’employeur pour attendre de régulariser la situation ambigüe. Le CPH considère ainsi que l’employeur « a pu être abusé (par le prestataire) dans un premier temps quand à la nature de la relation contractuelle » mais que « le délai apporté à la régularisation de la situation est suffisamment important pour établir le caractère intentionnel exigé pour qualifier le travail dissimulé ».

 

Autrement dit, le Conseil de Prud’hommes aurait pu accepter une régularisation plus rapide. En l’occurrence, Il l’a jugé trop tardive.

 

III : Critique :

On sait depuis longtemps que pour reconnaître le travail dissimulé, il faut établir la volonté de ne pas s’acquitter des charges sociales. Ainsi, des heures supplémentaires contestées par l’employeur, et mises en réclamation au Conseil de Prud’hommes, ne sont pas toujours constitutives de travail dissimulé. Elles ne le sont que lorsque le comportement de l’employeur démontre l’intention de s’exonérer du coût des charges sociales. Par exemple en recourant systématiquement aux heures supplémentaires non-déclarées (voire non-payées).

 

Ainsi, la Cour d’Appel de Paris, chambres sociales rappelle régulièrement que l’article L.8221-5, 2° du code du travail dispose notamment qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

 

Toutefois, l’intention de dissimulation doit être caractérisée. Ainsi la Cour d’Appel de Paris a jugé, dans son arrêt du 07/10/2015, Pôle 6 - Chambre 6 RG n°13/0350, que « la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle. L’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé est due quelle que soit la qualification de la rupture. La demande en paiement d’heures supplémentaires n’a pas pour effet de rendre irrecevable la demande en paiement de l’indemnité forfaitaire. »

 

Mais si, comme dans le cas d’espèce, l’employeur a retenu les charges sociales, et a simplement attendu la création de l’autoentreprise. Ne voyant pas d’autoentreprise, il a régularisé la relation contractuelle en CDI Temps Plein CESU, et a acquitté les charges sociales sur les salaires nets versés. Le salarié n’avait donc pas de grief. La bonne foi aurait dû être retenue.

Le CPH l’a rejetée en s’attachant à la chronologie.

 

On peut regretter qu’il n’ait pas fixé de critère objectif à cette chronologie. Quel serait le délai objectivement abusif, ou objectivement exonératoire pour régulariser un salarié ? Le Conseil de Prud’hommes ne le dit pas et considère qu’il s’agit là d’une interprétation libre du juge.

On aimerait pourtant savoir si le délai exonératoire est inférieur à 1 mois, s’il peut dépasser 2 mois…

 

C’est probablement le grief principal que je ferais à cette décision. Car dans les faits, l’employeur était en fin de vie. Il est vraisemblable qu’il n’a pas eu la capacité physique ni morale d’exiger de son auxiliaire de vie qu’il justifie de son statut. Il y avait là une contrainte morale qui n’a pas été prise en considération par le Conseil de Prud’hommes lorsqu’il s’est agi de rechercher la sanction de l’employeur. Il se rencontrera toujours des situations ambigües où ce n’est pas l’employeur qui détient le pouvoir de négociation, mais le salarié. Cette situation factuelle en est la preuve.

 

Il sera judicieux, dans un souci de prospective juridique, de suivre l’évolution de cette décision, soit sur un appel, soit sur des décisions ultérieures d’autres juridictions pour affiner le critère temporel.

 

Ariel DAHAN
Le 26 novembre 2018

 

Décisions citées :
CPH PARIS, Activités Diverses, 9 octobre 2018, F16/11041, Mme R… c/ Succession A…;
Cour d’appel de Paris, Pôle 6 – Chambre 6, 07 octobre 2015, n°13/0350, BERGER c/ AMITOUR