Catastrophes industrielles : Que doivent faire les entreprises voisines ?
Par Ariel DAHAN, Avocat au Barreau de Paris
18 ans et quelques jours après le drame d’AZF qui fut à ce jour la plus grande catastrophe industrielle française hors marées noires, une nouvelle catastrophe industrielle s’est produite, à ROUEN, sur le site de LUBRIZOL, à Grand-Quevilly, une des villes de la périphérie de Rouen, qui s’annonce pour avoir des conséquences bien plus importantes pour la population civile en raison tant de la configuration du site, que de la nature des produits chimiques dispersés dans l’environnement, et des circonstances administratives qui ont probablement contribué à aggraver la situation.
Pour les entreprises et les particuliers mais aussi les collectivités qui se trouvent prises dans le panache de pollution, voici quelques précautions d’usage à prendre, avant d’engager le combat indemnitaire.
1- Faire un bilan d’exposition chimique avec la médecine du travail (pour les employeurs et leurs salariés) ou votre médecin traitant (pour les non-salariés) :
Ce bilan d’exposition chimique va comporter plusieurs analyses :
- Analyses sanguines pour déterminer quels sont les molécules à potentialité toxique qui ont été inhalées ou ingérées
- Bilan respiratoire pour avoir un point de repère
- Prélèvements respiratoires pour avoir une idée d’exposition aux particules fines
- Prélèvements capillaires
- Inspection dermatologique sur tout le corps pour les personnes qui ont été en contact direct avec le panache de fumées, les retombées de suies ou les boues ;
Ce bilan va être le point de départ de la constatation de l’exposition réelle de chaque victime.
Il me semble indispensable que les employeurs qui ont réouvert leurs entreprises lundi 2 octobre envoient leurs salariés procéder à ce bilan. Ne pas le faire exposerait l’entreprise à un risque contentieux précisément pour avoir exposé ses employés à un risque.
2- Décider de la continuation de l’exploitation ou du chômage technique
Il n’y a pas de bonne décision sur ce point. Mais il faut que le chef d’entreprise, le chef d’établissement ou le responsable de la collectivité publique prenne une décision. C’est cette décision qui ouvre aux salariés ou fonctionnaires la faculté d’exercer leur droit de retrait face à une situation potentiellement dangereuse.
Mon avis est que les entreprises qui peuvent passer pendant une semaine au travail à domicile s’en tireront facilement. Celles qui ne le peuvent pas devraient recourir au chômage partiel pour le personnel le moins indispensable, le plus exposé ou le plus fragile.
3- Exercice du droit de retrait des employés
Tout salarié dispose d'un droit d'alerte et de retrait, qui est posé par les articles L.4131-1 et suivants du Code du Travail
- dans toute situation de travail où il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé (risque pouvant se réaliser brusquement et dans un délai rapproché),
- ou s'il constate une défectuosité dans les systèmes de protection.
L’exercice du droit de retrait ne doit pas avoir pour effet d’augmenter la situation de danger.
Le droit de retrait s’exercer en alertant sans délai l’employeur ou les représentants du personnel ou du CHSCT ou du CSA du danger.
Le droit de retrait ne nécessite pas l'accord de l’employeur.
Aucune sanction, ni aucune retenue de salaire ne peut être prise par l'employeur à l'encontre du travailleur ou du groupe de travailleurs qui a exercé son droit de retrait de manière légitime.
Au rebours, si l’employeur ne signale pas au travailleur le risque qu’il prend il devient le premier responsable de l’exposition au risque.
Le droit de retrait des agents de la fonction publique existe. Il est plus rigoureux dans son contrôle, mais permet de la même manière aux agents publics de se retirer d’une situation de péril imminent.
4- Procéder à la Dépollution du site de l’entreprise :
La dépollution des entreprises qui ont été au contact du panache, des boues ou des suies n’est pas un simple nettoyage au jet d’eau à haute pression. Cela contribuerait à répandre une pollution connue dans l’environnement et constituerait un délit commis par la victime de la pollution initiale !
La dépollution doit être mise en place par des professionnels ou selon un processus sécurisé, qui évite la dispersion des polluants ainsi que la contamination des agents qui y procèderont.
En toute logique, la dépollution devrait commencer par les toits, terrasses, balcons et fenêtres qui ont reçu le panache de fumées et les retombées de suies.
Puis par le nettoyage des boues éventuelles.
Et enfin par la dépollution des aérateurs, VMC et climatiseurs pour en récupérer les suies et composés volatiles sans les renvoyer dans l’atmosphère pour ne pas contaminer les voisins ou se recontaminer soi-même.
Enfin, les sols intérieurs seront nettoyés des dépôts de boue.
L’ensemble des produits de décontamination (poussières aspirées, boues collectées) devra être stocké en fûts de déchets toxiques, pour être retraités ou détruits par une usine spécialisée. Surtout ne jetez pas ces déchets en poubelles ménagères, ni en déchets professionnels. Le traitement de ces produits nécessite un centre professionnel.
Pensez à documenter les opérations de dépollution.
5- Dépollution des vêtements exposés
Si ces vêtements n’ont pas encore été lavés, c’est une chance. Leur lavage va contaminer les lave-linges ainsi que le réseau des eaux usées. Là encore, il faut envisager de faire traiter ces vêtements par des professionnels ou les considérer comme des déchets toxiques, selon le niveau d’imprégnation.
6- Distribution d’équipement de protection individuel (masque adapté) aux personnels qui travaillent en plein air
Cela peut sembler une évidence, mais il vaut mieux le préciser : les personnels qui sont amenés à travailler en plein air pendant la période d’exposition aux poussières et suies, devront être équipés d’un EPI adapté. Ce peut être un masque particules fines. Ce peut être des gants et une combinaison. C’est à l’employeur de réévaluer l’exposition de ses employés au risque, et d’en tirer les conséquences.
7- Récupération des éléments de vidéosurveillance
Si l’entreprise bénéficie de vidéo-surveillance, il sera indispensable de sécuriser les périodes qui mettent en évidence le moment d’exposition au panache ou aux boues. Cet élément peut être un premier élément de preuve à visée indemnitaire. Il faut donc que les instructions soient données pour sauvegarder les passages concernés qui peuvent être variables selon les entreprises.
8- Contacter ses assureurs
La dépollution peut être prise en charge dans certaines polices d’assurance des locaux.
La RC va être mise en place au profit ses salariés.
9- Contacter son avocat
Après avoir procédé à ces mises en sécurité, vous pourrez contacter votre avocat pour envisager une action en responsabilité. Ce sera un autre débat.
L’urgence sera alors passée.
Ariel DAHAN
Le 2 octobre 2019
copie : https://www.miroirsocial.com/participatif/catastrophes-industrielles-que...
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