L’action en bornage en droit civil français

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 Par Ariel DAHAN,
Avocat au Barreau de Paris

 

 La propriété foncière est l’essence du régime républicain mis en place depuis la révolution. Les grandes propriétés domaniales ont disparu au profit d’un morcellement du foncier. Il s’agissait, dans l’esprit du Constituant révolutionnaire, de transformer le peuple français d’un peuple de serfs sans terre à un peuple de propriétaires. Pour Napoléon, cette transformation avait un intérêt majeur : occuper les propriétaires et les empêcher de penser à une contre-révolution…

Depuis, la question de la redistribution des terres est inscrite dans toutes les révolutions du monde sauf celle remarquée de la révolution russe d’octobre 1917 qui a redistribué les terres à des organismes collectifs.

 

Les multiples révolutions des Etas d’Amérique du Sud et du Mexique ont fait la part belle à ces redistributions des terres agricoles.

 En France, la question de la propriété est toujours une question sensible : la propriété est protégée par la Constitution et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Mais elle fait l’objet d’une attaque politique régulière par le législateur (fiscalité, regroupements agricoles imposés, droit de préemption) ou par le contestataire politique (contestation de permis de construire, occupation d’usines, de « Zones à Défendre… »).

 

Ainsi, la délimitation de la propriété est un élément essentiel du litige foncier. Et cette délimitation passe par une logique très simple : le bornage.

 

Il s’agit d’un élément tellement essentiel qu’il est érigé en véritable droit à la délimitation de son terrain contre celui du voisin : L’article 646 du Code civil dispose en effet, sans avoir été modifié depuis 1804 :

« Tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais communs. »

 De cette affirmation du droit au bornage découle le droit de se clore instauré par l’article 647 du Code civil.

 

I- Mise en œuvre de l’action afin de bornage :

L’action afin de bornage repose sur le droit d’imposer le bornage entre deux propriétés. Un bornage ne se fait jamais seul. Il doit être contradictoire.

Il faut donc appeler à la cause l’autre, le voisin qui peut venir contester le bornage.

 La procédure peut se faire à l’amiable, comme elle peut être contentieuse.

 

Les acteurs du bornage sont :

  1. Le propriétaire demandant le bornage
  2. Le propriétaire du ou des terrains limitrophes, qu’ils soient ou non acceptants à ce bornage
  3. Le géomètre-expert désigné « à frais communs », qui agit en tant qu’expert et présente une proposition de bornage.

 

Le bornage peut être accepté par le ou les voisins. Il peut également être refusé. S’il est refusé, le demandeur peut forcer le refus en réclamant le bornage en justice. Le juge saisis ordonnera alors le bornage judiciaire, à frais partagés comme requis par la loi.

Le juge pourra également condamner le propriétaire qui s’est opposé au bornage à des dommages et intérêts au titre des frais de procédure.

 

Motifs légitimes de refus de bornage :

Les cas de refus légitime de bornage sont peu nombreux.

 -       Bornage sur bornage ne vaut

Le premier d’entre eux tient à l’existence d’un premier bornage. On ne peut pas « reborner » un terrain déjà borné. Le bornage déjà posé s’impose aux parties.

Il faut toutefois en retrouver la trace. C’est pourquoi les archives des Géomètres-Experts sont partagées, et que la profession conserve la trace des bornages réalisés.

 -       Contestation du titre de propriété

Si le titre de propriété du demandeur est contesté, son droit à bornage l’est également, et il faudra purger au préalable le titre de propriété.

 -       Titre de propriété fixant des limites naturelles ou artificielles déjà existantes

Si le titre de propriété de l’un des voisins (ou l’un des titres antérieurs depuis le premier partage) fixe des limites physiques au terrain, le bornage devient inutile – du moins pour cette partie. Il en serait ainsi d’une limite naturelle (berges d’un cours d’eau) ou d’une limite géographique ou géométrique connues (ex : 200 mètres en ligne droite depuis le mur XXX si le mur existe et n’a pas été modifié).

 Cependant si le titre est ambigu ou si le terrain ne permet pas de retrouver les marques contractuelles, le bornage s’imposera.

 

II – Opérations de bornage

Les opérations de bornage proprement dites sont des opérations contradictoires.

Elles se font en présence des parties concernées.

Elles se font en théorie depuis le terrain qui demande à être délimité, mais peuvent nécessiter de contrôler depuis le terrain voisin.

 

Le principe du contradictoire suppose la communication des justificatifs de part et d’autre. Ce point est souvent mal compris par les Géomètres Expert qui invoquent le secret professionnel pour ne pas communiquer les titres de propriété d’une partie à l’autre partie. Cette position me paraît incohérente dès lors que les titres de propriété sont des documents publics disponibles depuis un registre public (le registre des hypothèques). En toute logique, une mission contradictoire suppose la remise aux parties des informations contradictoires.

 

 

Le géomètre expert est lié par les textes notariés, lorsqu’ils décrivent des dimensions (ex : un terrain de 18m de large) et le bornage devra chercher à se conformer à la contenance indiquée dans le terrain nu.

 Mais le géomètre va rechercher également les présomptions légales de propriété puis les indices de construction permettant de déterminer la propriété d’un mur ou sa mitoyenneté (la pente du chapeau de toit versant les eaux dans le terrain propriétaire du mur).

 

-       Présomptions légales :

Ainsi l’article 653 du Code Civil crée des présomptions légales de mitoyenneté sauf titre ou marque contraire :

« Dans les villes et les campagnes, tout mur servant de séparation entre bâtiments jusqu'à l'héberge, ou entre cours et jardins, et même entre enclos dans les champs, est présumé mitoyen s'il n'y a titre ou marque du contraire »

Et l’article 666 du Code Civil instaure une présomption légale de mitoyenneté des clôtures.

Pour les fossés, il y a marque de non-mitoyenneté lorsque la levée ou le rejet de la terre se trouve d'un côté seulement du fossé.

Le fossé est censé appartenir exclusivement à celui du côté duquel le rejet se trouve. »

 

Au rebours l’article 654 crée des présomptions légales de propriété exclusive en fonction de lla forme des murs et des chapeaux de mur.

« Il y a marque de non-mitoyenneté lorsque la sommité du mur est droite et à plomb de son parement d'un côté, et présente de l'autre un plan incliné.

Lors encore qu'il n'y a que d'un côté ou un chaperon ou des filets et corbeaux de pierre qui y auraient été mis en bâtissant le mur.

Dans ces cas, le mur est censé appartenir exclusivement au propriétaire du côté duquel sont l'égout ou les corbeaux et filets de pierre. »

 

Ainsi, lorsqu’il est vendu un terrain non-clos, s’il se clos, la clôture sera présumée, en exécution de l’article 666 C.Civ, être posée en limite séparative, et lui appartenir en propre. Lorsqu’il revendra son terrain, il prendra soin de préciser que la clôture séparative appartient au bien vendu.

 

-       Indices de construction :

Certaines constructions ou plantations ne peuvent être implantées qu’à une certaine distance de la limite de propriété. Si ces constructions ou plantations ont été érigées ou plantées après la division parcellaire, elles sont supposées avoir été implantées à une distance légale de la limite séparative.

A défaut de telles informations, sur un terrain non-bâti, il faudra rechercher des délimitations naturelles publiques (cours d’eau non-privatif, levées de terre …).

 Il pourra aussi se référer à la tradition locale en l’absence d’autres informations.

 

Très souvent, la vie a fait que des situations contraires aux titres se sont créées. Ces situations de possession peuvent entraîner un transfert de propriété de plein droit par l’effet de l’usucapion, c’est-à-dire la possession non-équivoque en qualité de propriétaire pendant une période légale de 10 ou 30 ans.

-       30 ans en droit commun, quelle que soit la mauvaise foi de celui qui prescrit,

Antérieurement à la réforme de 2008, l’usucapion était acquit par une possession de 10 ou 20 ans suivant la distance du domicile du propriétaire du terrain contre qui il était prescrit.

 

III – Le PV de Bornage

Le PV de Bornage est l’acte contradictoire, signé par les parties, qui délimite définitivement le terrain.

 Il repose sur la pose de bornes, marques ou « mères », référencées à partir d’un point de référence géodésique le plus précis possible, (en m, cm et mm parfois).

 Le PV de bornage peut également retenir une limite naturelle, avec cette particularité que la limite naturelle peut bouger selon les aléas de la nature. Ainsi d’une rivière dont le cours peut générer une érosion ou un accroissement naturel du terrain. Dans ces conditions il est conseillé de ne pas borner cette limite et de s’en tenir à la définition légale de la limite naturelle (ex : au milieu d’un cours d’eau privatif, ou sur les berges d’un cours d’eau).

 

Ce qu’il faut retenir essentiellement, c’est que le bornage ne peut pas – en droit - contester le titre de propriété lorsque le titre décrit une séparation ou un bien comme propriété. Ainsi face à un acte de propriété qui décrit un mur séparatif appartenant au terrain vendu, le bornage ne peut aller à l’encontre du titre, et doit en respecter la lettre.

 En cas de bornage amiable, le Procès-Verbal de bornage signé par les parties rend le bornage définitif. En effet, les parties n’étant pas tenues de signer le bornage, l’acceptation contradictoire vaut renonciation au surplus de propriété qui aurait pu être revendiqué.

 

IV – Pour aller plus loin : le bornage en volume

Traditionnellement, la propriété s’entend du terrain et du bâti. Mais il a été créé le régime de la copropriété verticale, laquelle distingue les biens communs (dont l’assiette foncière et le droit à construire ou à surélever) et les biens privatifs (le lot décrit par le règlement de copropriété).

Dans les immeubles bâtis en copropriété verticale, il n’est pas procédé au bornage, le règlement de copropriété constituant le titre de division opposable.

 Mais la pratique a évolué et conçu la propriété en « volume ». Il s’agit d’une situation où le foncier est dissocié, et où chaque bien se superpose à l’autre en toute indépendance, sans qu’il existe de biens communs.

Ainsi, les divisions des propriétés se feront, sur la même parcelle foncière, non-seulement en horizontal mais en élévation verticale, pour déterminer non plus des surfaces planes mais des volumes en trois dimensions.

 Ces opérations de division en volume appellent évidemment un bornage spécifique, qui se fera là encore par un géomètre expert.

 Le référentiel géodésique utilisé sera rendu en trois dimensions, incluant l’élévation par rapport au niveau de la mer ou au niveau du fleuve le plus proche…

 

Ces situations de propriété divisionnaire en volume sont des situations juridiques fragiles. Elles reposent sur des servitudes croisées. Le moindre problème dans cette servitude risque de faire tomber la division en volume pour transformer l’immeuble en copropriété…