Navires (de plaisance) à Utilisation Commerciale :

Les changements de régime induits par l'arrêté du du 13 septembre 2013

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Dans l'indifférence générale, et sans concertation avec la filière professionnelle, le gouvernement (et l'inconnue Secrétaire d'Etat à la Marine Marchande, héritière de ce qui fut jadis un ministère de la Mer, et qui n'est aujourd'hui qu'un triste bureau dans un sous-secrétariat, dépendant d'un Ministère tutélaire qui ne connaît du transport que le Tram, les voiturettes électriques et les Vélib', tout enkysté qu'il est dans sa multiple casquette de Ministère de l'Ecologie, du Développement Durable et de l'Ecologie (le terme "transports" n'apparaît même pas dans son intitulé, pour vous dire à quel point la France est devenue pauvre qu'elle n'a plus de ministre des Transports...)!

Bref, dans l'indifférence générale, sans concertation, et grâce à l'incompétence notoire de nos édiles dédiés à la Mer, voilà que le régime des Navires à Utilisation Collective, régime qui satisfaisait tous les professionnels, vient d'être remis en cause, par la marge : le nombre de passagers autorisés;

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I- Régime des Anciens NUC (avant le 13/09/2013):

Historique de la classe "NUC".

Le Décret du 30 août 1984 institue la classe des Navires à Utilisation Collective.

Le texte d'origine définit le NUC comme étant:

D.30 août 1984 ancienne rédaction: Article 1er - b) Navire à utilisation collective, c'est à dire tout navire à voile d'une longueur inférieure à 25m sur lequel sont embarqués à titre onéreux, sous la responsabilité du propriétaire, de son représentant ou de son préposé, lui-même embarqué, des personnes effectuant une navigation sportive, touristique ou de formation nautique non professionnelle.

Ce texte ne prenait pas en compte l'évolution intervenue dans le domaine de la plaisance. De plus en plus de navires armés à la plaisance embarquent non plus des passagers, mais des stagiaires, des sportifs ou d'autres passagers, dont la seule motivation n'est plus d'être simplement transporté, mais de pratiquer un sport (la voile, la plongée...) ou d'apprendre la navigation.

Une telle activité se pratiquait traditionnellement sur des navires à voile (possibilité d'embarquer un nombre illimité de passagers sous le régime de 1984), et non des navires à moteur, lesquels devaient obligatoirement opter pour la classification des "Navires à Passagers", au même titre qu'un bac, un ferry ou un navire de croisières.

Or il ne s'agit pas de navires ayant une exploitation commerciale "par nature", mais de navires conçus initialement pour la plaisance.

Détail de la classe NUC.

Le Décret 96-859 du 26 septembre 1996 (JO 231 du 3 Octobre 1996) a rectifié une distinction devenue obsolète. Depuis ce décret, la classification des Navires à Utilisation Collective ne recouvre pas uniquement les "navires à voile d'une longueur inférieur à 25 mètres", mais tous les navires.

Le critère n'est plus la taille du navire, ni son mode de propulsion, mais uniquement le nombre de passagers à bord, même si le mode de propulsion conserve toujours un caractère discriminant.

En effet, pour être considéré comme NUC, le navire ne doit pas relever de la classification des Navires à Passagers.:

Article 1er modifié : I - 3.3. Navire à utilisation collective : tout navire n'entrant pas dans la définition du navire à passagers sur lequel sont embarquées à titre onéreux, sous la responsabilité du propriétaire, de son représentant ou de son préposé, lui-même embarqué, des personnes effectuant une navigation touristique ou sportive.

Le NUC, navire de plaisance, n'est pas un navire à passager. Or la définition du navire à passager est fonction du nombre de personnes embarquées, et du mode de propulsion:

Article 1er modifié I-1. Navire à passagers : tout navire qui transporte plus de douze passagers. Sont exclus de cette définition les navires à voile qui ne transportent pas plus de trente personnes.

En résumé, le Navire à Utilisation Collective d'avant le 13 septembre 2013 est défini par un double critère de nombre de passagers embarquées et de mode de propulsion.

Il faut qu'il n'embarque pas plus de 12 "passagers" s'il s'agit d'une propulsion moteur, ou pas plus de 30 "personnes" s'il est mu à la voile. Les 30 personnes du NUC Voile peuvent donc être en totalité, à l'exception du skipper et d'un marin, des passagers payants.

La conséquence de cette définition est évidemment encore très restrictive pour les navires à moteur. En effet, sur un voilier, il est courant d'embarquer comme membres d'équipage une quantité plus importante de passagers que strictement nécessaire, ce qui permet de dépasser les maxima imposés par le décret de 84 modifié.

En revanche, sur un navire à moteur, les membres d'équipage seront nécessairement moins nombreux, et par conséquent les passagers plus limités.

Exemple: un groupe de 15 personnes souhaitant embarquer sur un NUC Moteur (pour une promenade en mer, ou pour se rendre sur le lieu d'une plongée).

Les 12 premiers embarquent en tant que passagers. Les 3 autres devront revêtir la casquette fictive de membre d'équipage ou de personnel spécial au sens du décret de 1984 modifié. (ex: accompagnateur, moniteur...)

Sur un NUC voile, ils embarquent sans difficulté.

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II - Régime des NUC selon l'Arrêté du 13 septembre 2013 :

Un Champs d'application discriminatoire:

En effet, le décret nouveau ne s'applique qu'aux navires "neufs" ou aux navires qui n'ont pas encore fait une demande d'immatriculation. (Article 1 du Décret).

Cette méthode laisse songeur quand à l'honorabilité de la méthode : s'il fallait modifier le régime, c'eût été l'ensemble des navires sous NUC qui auraient du y être soumis. Au lieu de cela, il co-existera, pour un même marché économique et une même profession, deux sorts différents, selon qu'on a pu inscrire son navire avant l'entrée en vigueur du décret (ancien régime) ou non! Je n'accepte pas ces solutions venant rompre l'égalité des professionnels devant les charges publiques. Cette rupture d'égalité étant en soi un motif d'annulation du décret.

Un régime fluctuant selon les personnes qui seront chargées de l'appliquer:

Pire que ce champs d'application discriminant, le décret instaure également une possibilité de discrimination dans le régime applicable selon les personnes en charge de l'appliquer.

Article 2 Arrêté 13/09/2013 : Pour l'application du présent arrêté, les définitions suivantes sont prises en compte : I. L'autorité compétente fixant le nombre de passagers maximum admissible sur un navire de plaisance à utilisation commerciale est, selon le cas : le chef de centre de sécurité des navires, pour les navires de longueur de coque inférieure à 12 mètres ; le directeur interrégional de la mer, ou le directeur de la mer, après avoir recueilli l'avis de la Commission Régionale de Sécurité, pour les navires de longueur de coque supérieure ou égale à 12 mètres et inférieure à 24 mètres ; le ministre chargé de la mer, après avoir recueilli l'avis de la Commission nationale de sécurité de la navigation de plaisance, pour les navires de longueur de coque supérieure ou égale à 24 mètres.

II. Navire neuf : tout navire tel que défini à l'alinéa 1 de l'article 110-2 de la division 110 du règlement annexé à l'arrêté susvisé.

III. Passager : toute personne telle que définie à l'alinéa 4 de l'article 1er du décret susvisé.

Ainsi l'arrêté multipliant les autorités compétentes, selon la taille du navire,

Moins de 12 mètres: le Chef de centre de sécurité des navires. (naturellement compétent jusqu'à présent)

12 à 24 mètres : le Directeur Interrégional de la mer ou le Directeur de la mer après avis de la commission régionale de sécurité...

Au-delà de 24 mètres: le Ministre chargé de la mer après avis de la Commission Nationale de Sécurité de la Navigation de Plaisance CNSNP...

On peut déjà s'étonner de voir qu'à aucun moment la compétence n'est conservée, ce qui signifie que chaque niveau d'intervention aura recours à ses propres méthodes d'évaluation, sans unification des solutions ou méthodes.

La distinction selon la taille n'apporte aucun intérêt technique. Elle renvoie simplement à des changements de responsabilité, et à des solutions "parapluie", où l'on espère que la décision sera d'autant plus politisée qu'on remontera dans la hiérarchie.

Or, déjà, les décisions d'admission au régime NUC étaient fortement politisée dans certains quartiers maritimes, où les Affaires Maritimes subissaient très fortement la pression des transporteurs locaux (Marseille, Toulon, Bastia, notamment), ce qui poussait les candidats à recourir aux quartiers des affaires maritimes de Bordeaux, La Rochelle, ... ou même du Havre... étant précisé qu'un navire peut être immatriculé dans un quartier maritime, et être exploité de l'autre côté de la France...

En revanche, fort heureusement, la définition du passager est restée inchangée!

Art. 1-II-4. Décret 84-810 du 30/08/1984 : Passager : toute personne autre que : a) Le capitaine, les membres de l'équipage et les autres personnes employées ou occupées à bord à titre professionnel ou moyennant rétribution en quelque qualité que ce soit pour les besoins du navire ; b) Les enfants de moins d'un an ; c) Le personnel spécial embarqué sur un navire spécial. N'entrent pas en compte, dans le nombre de passagers, les personnes qui se trouvent à bord par cas de force majeure ou par suite de l'obligation dans laquelle s'est trouvé le capitaine de transporter soit des naufragés, soit d'autres personnes.

Un régime fluctuant en fonction des conditions de navigation:

L'arrêté du 13 septembre instaurant le nouveau régime NUC prévoit une méthode de définition du nombre de passagers maximum selon les conditions de navigation.

On peut considérer cette solution logique, les conditions de navigation pouvant pré-disposer les conditions de sécurité, et donc d'emport de moyens de sécurité. La Marine Marchande est exposée aux mêmes logiques de restriction du nombre de passagers selon l'éloignement possible d'un abri.

Cependant, ce qu'on ne comprends pas, c'est que ce nouveau régime vient se superposer à un régime qui existe déjà : celui des Divisions 241 et 242 du Règlement de Sécurité des Navires. Lesquelles divisions 241 et 242 prévoient déjà des limitations de personnes embarqués selon les conditions de construction et d'armement des navires.

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III - Décryptage des règles de détermination du nombre de passagers autorisés sur un NUC régime 2013

Aux termes de l'article 3 de l'arrêté, le nouveau régime vient en complément des règles issues des divisions 241 et 242 du Règlement de Sécurité des Navires, qui représentaient une réforme fondamentale du droit maritime, en ce qu'elles créaient un droit opposable lié à la catégorie de "construction" du navire. Ce n'était plus la catégorie de navigation qui fixait le nombre de passagers, mais la catégorie de construction et son armement de sécurité.

Dorénavant, dans un sens inverse, de re-réglementation, l'arrêté impose, après que le navire ait été approuvé dans le cadre de sa catégorie de construction (Div° 241 et 242) que le même navire soit soumis à une oukase de l'autorité compétente (en fonction de sa taille), au moment de l'approbation des plans et documents du navire;

Complexe! Il faut s'attendre à une génération spontanée de contentieux de refus de décision, compte tenu de la capacité bien connue de l'Administration des Affaires Maritimes à ne jamais répondre dans les délais impartis, si les budgets alloués en personnel n'ont pas augmenté - l'administration "compétente" étant notoirement en sous-effectif.

Type de navigation:

L'article 4 de l'arrêté fixe une troisième discrimination dans les règles de détermination du nombre de passagers embarqués, selon la nature nationale ou internationale de la navigation envisagée.

Une précision tout de même: une navigation internationale peut rester côtière (de la France à l'Italie ou à la Belgique), là où une navigation nationale peut passer par du hauturier (de la France continentale à la Corse, aux Antilles...).

On voit bien que cette discrimination n'a aucun fondement maritime réel. Mais qui pense encore sincèrement que le rédacteur de cet arrêté ait la moindre idée de ce qu'est un navire?

Article 4 Arrêté 12/09/2013 : I. Dans les eaux nationales, le nombre maximal de passagers pouvant embarquer à bord d'un navire de plaisance à utilisation commerciale est défini en fonction : du type de navire ; de la zone d'évolution et des conditions de mer et de vent prévisibles ; de la durée de navigation.

L'autorité compétente décide de ce nombre en application des modalités décrites dans les articles 5, 6, 7 et 8 du présent arrêté sur la base des plans et documents qui lui sont communiqués. Elle tient compte des écarts pouvant apparaître par rapport à la conception originelle du navire.

II. Pour les navigations internationales, quel que soit le type de navire, le nombre maximum de passagers admissible ne peut en aucun cas dépasser douze.

On voit tout de suite le caractère hautement imprévisible de cette réglementation. Une même prestation réalisée en méditerranée ou en atlantique bénéficiera de conditions de mer et vent imprévisibles ou prévisibles selon les zones de départ, les horaires, hauteurs de marée...

Longueur de coque du navire

Si la complexité en était restée à ce stade, le monde nautique aurait pu s'estimer heureux. Mais le diable se cachant dans les détails, voilà l'article 5 qui vient compliquer une situation déjà bien discriminante. Sa rédaction mérite qu'on le cite en entier, tant il représente le summum d'une conception bureaucratique de la pire espèce - un vrai recul de 50 ans en arrière!

Article 5 : Le nombre maximal initial de passagers défini par le présent article constitue le point de départ de l'étude pour la détermination du nombre définitif de passagers qui sera finalement admis à embarquer et qui sera inscrit sur le permis de navigation. I. Sur les navires de longueur de coque inférieure à 24 mètres, le nombre maximal de personnes (passagers et équipage) pouvant être admis à embarquer est au plus égal au nombre de personnes recommandé par le fabricant pour le transport desquelles le navire a été conçu. Le nombre maximal initial de passagers pouvant être admis à bord est alors obtenu par déduction de l'équipage, dans les limites définies par l'alinéa 3.3 de l'article 1er du décret susvisé. II. Sur les navires de longueur de coque égale ou supérieure à 24 mètres et les navires à voile historiques conçus avant 1965, ou leurs répliques individuelles, pour lesquels le nombre de personnes recommandées par le fabricant pour le transport desquelles le navire a été conçu n'est pas précisé, le nombre maximal initial de passagers pouvant être admis à bord est déterminé : sur la base de la demande de l'exploitant, dans les limites définies par l'alinéa 3.3 de l'article 1er du décret susvisé ; et par l'examen de stabilité du navire, effectué en application des critères de stabilité définis par les dispositions réglementaires applicables au type de navire concerné. L'autorité compétente se réserve le droit d'exiger des informations complémentaires. III. Le tableau A suivant récapitule le nombre maximal initial de passagers qui peut être admis sur chaque type de navire.

Article bien compliqué qui revient à dire que le maximum autorisé est celui fixé par le fabricant... sans pouvoir dépasser 12 au moteur ou en navigation internationale, et 30 pour un voilier, jusqu'à 120 pour un navire à voile historique ou réplique individuelle;

Là où l'arrêté montre encore la rare incompétence de ses rédacteurs, c'est qu'il existe des navires "historiques" ou des répliques individuelles de tels navires qui ne pourraient jamais accueillir 120 passagers. Comment comparer entre eux le Kurun de Le Toumelin, naviguant en solitaire, de La Belle Poulle ou du Bellem?

Il est d'ors et déjà évident que cet arrêté n'a aucun sens technique, et ne sert qu'à compliquer la prévisibilité des décisions d'effectif;

D'autant que la longueur de coque d'un 12mJI n'a pas de commune mesure avec celle d'un 12m plan Cornut! Qui aura le courage d'aller dire au Ministre en charge de la Mer (bien beau métier) que la longueur de coque n'est pas un critère utile pour déterminer le nombre de passagers d'un navire? Il aurait pu être plus discriminant de parler en termes de jauge brute, mais hélas l'obligation de jauge a été abandonnée, car trop coûteuse. Raison pour laquelle on reste à une notion incongrue : la longueur de coque.

Aussi, pour une même surface à la flottaison, un architecte futé proposera-t'il des élancements majestueux en proue et poupe, pour dépasser les 24m, et obtenir, pour une même carène, la possibilité d'emporter jusqu'à 120 passagers!!!

Durée de la navigation

Toujours dans le coup, le Ministre propose une nouvelle discrimination liée à la durée de la navigation. Que voilà bonne discrimination! Surtout avec une vedette rapide ou un catamaran bien toilé !!!

Plutôt que de paraphraser la liste laborieuse qui égrène les heures (<3h /<12h / <24h) je vais reprendre le tableau, simple à lire: Voir tableau

Ainsi la réduction du nombre de passagers n'est plus effectuée en considération de règles de sécurité, mais uniquement en considération des règles d'hygiène et d'habitabilité (sanitaires, réfectoire, couchage).

Où comment la navigation devient hôtellerie!

IV - Conséquences de ces modifications pour les exploitants des NUC:

Les engins de sauvetage collectifs devront permettre d'embarquer "la totalité des personnes présentes à bord"... On s'en serait un peu douté.

Les équipements de sauvetage individuels devront être "adaptés au nombre et à la morphologie des personnes embarquées à bord du navire."

L'équipage du navire devra être adapté en nombre et en qualification pour assurer, en toutes circonstances, la sécurité et l'encadrement de l'ensemble des passagers embarqués.

Au-delà de douze passagers :

- un effectif égal ou supérieur à deux sera requis. En dessous de 12 passagers, l'effectif unique reste autorisé.

- Un système de gestion de la sécurité doit être mis en place.

- Un système de comptage et d'enregistrement des personnes embarquées sera mis en place.

- et ... un registre de réclamations, (c'était effectivement indispensable pour la sécurité).

Voilà pour l'essentiel cette remarquable modification qui a été apportée aux NUC, étant rappelé que cette modification ne porte que pour l'avenir et ne concerne donc pas les NUC déjà immatriculés. Ce qui est un peu étonnant!

Ariel DAHAN

Avocat

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