Le naufrage dans la nuit de vendredi 13 à samedi 14 janvier 2012 (hier) du Costa Concordia, navire à passagers, à une encablure de l'île du Giglio - Toscane - Italie - laisse planer un sérieux doute tant sur les conditions d'exploitation du navire que sur la formation de l'équipage et le sérieux du protocole d'évacuation du navire par l'équipage.

Des informations dont je dispose aujourd'hui il semble que le Costa Concordia a heurté un rocher, à proximité immédiate du Giglio, et qu'une brèche se serait déclarée sous la ligne de flottaison, de plus de 20 mètres, engendrant une gite qui a rapidement atteint 20°.

Des scènes de panique ont été évoquées, et notamment à l'occasion de l'embarquement dans les canots de sauvetage.

Plusieurs passagers ont sauté à l'eau dans la panique et la presse du protocole d'évacuation.

Si l'équipage a réagis très tôt, en demandant aux passagers de porter leurs gilets de sauvetage, la conduite des opérations d'évacuation pourrait avoir été plus délicate.

Il semblerait que le capitaine ait abandonné le navire avant que tous les passagers n'aient été évacués. Situation qui, si elle était avérée, doit être très sévèrement villipendée, compte tenu de l'absence d'urgence vitale, le navire étant naufragé sur un rocher, et en position stable bien que couché. IL semblerait également que les gilets de sauvetage n'aient pas été tous en bon état, ce qui aurait engendré des scènes d'émeutes et de violence parmis les passagers qui se seraient battus pour obtenir un gilet fonctionnel. Selon le Procureur en Chef de Grossetto (It) le capitaine aurait quitté son poste "bien avant que tous les passagers aient été évacués". Il aurait été retrouvé sur le rivage vers 23h30 alors que l'évacuation du navire a été terminée par les pompiers vers 5h00 le lendemain! Toujours selon le Procureur, le capitaine aurait refusé de remonter à bord du navire pour coordoner les opérations de sauvetage, alors même qu'il en a reçu l'ordre express du centre de secours en mer. Surtout le procureur indique que le route du navire n'aurait pas été la bonne ! Le navire aurait effectué une parade au profit de la ville du Giglio, toutes lumières allumées, à grand renfort de sirènes. Localement, cette manoeuvre, appelée l'Inchino (révérence) semble être monnaie locale. Pour honorer les 800 habitants de l'île, il a ainsi mis en péril les 4229 passagers du Costa Concordia. Étrange arithmétique! Voir la position du navire sur le relevé AIS

Placés en détention provisoire le jour même, le Capitaine et son second ont été remis en liberté et assignés à résidence le 18 janvier 2012.

Seul élément positif à retenir à décharge du capitaine, après avoir heurté le rocher, il aurait manoeuvré pour ramener le navire au plus près des côtes, à 50 m de l'entrée du port du Giglio, où il repose à présent semi-immergé, couché sur le flanc. Ce qui a peut-être contribué à sauver des vies.

Je rappelle donc que le capitaine et l'équipage ont une obligation de sécurité à l'égard des passagers embarqués, qui suppose évidemment qu'ils s'assurent que le navire a été entièrement évacué avant qu'ils ne procèdent eux-même à l'évacuation. Hors cas d'urgence ou de péril imminent, évidemment.

Et même en ce cas, le droit français (ancien art.84 du Code Disciplinaire et Pénal de la Marine Marchande, ou nouveau article L.5263-3 du Code des Transports) dispose que le capitaine doit abandonner son navire en dernier, et qu'à défaut il commet le délit d'abandon de navire, délit puni et réprimé par une peine de prison pouvant aller jusqu'à 2 ans de détention:

Article L5263-3 (Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010) Est puni de six mois d'emprisonnement le fait, pour le capitaine, d'abandonner le navire sans l'avis des officiers et maîtres d'équipage. Est puni de deux ans d'emprisonnement le fait, pour tout capitaine, avant d'abandonner son navire, de négliger d'organiser le sauvetage de l'équipage et des passagers et de sauver les papiers de bord, les dépêches postales et les marchandises les plus précieuses de la cargaison. La même peine est applicable au capitaine qui, forcé d'abandonner son navire, ne reste pas à bord le dernier. Les peines prévues par le présent article sont portées au double si l'infraction est commise par une personne exerçant le commandement dans des conditions irrégulières au sens de l'article L. 5523-2.

Ce drame laisse, de sources officielles, 15 disparus, 11 passagers et 4 membres d'équipage. Trois rescapés ont été ressortis de la coque semi-immergée : Un couple de coréens et le commissaire de bord. Les secours sont à la recherche d'une "voix" qui a été entendue au travers de la coque.

5 victimes sont décédés de noyade, dont un membre d'équipage péruvien et deux passagers français, qui ont sauté à l'eau dans la panique. Et deux corps retrouvés dans l'épave aujourd'hui dimanche. Une 40ne de personnes sont blessées en sautant à l'eau faute de pouvoir embarquer dans les canots (ou seraient tombés pendant la manoeuvre d'évacuation).

NB : le bilan au 18/01 fait état de 11 morts et 6 disparus.

L'association STW - association francophone dédiée au monde de la plaisance, à la croisière et aux navigateurs hauturiers, s'associe au deuil des familles et demande officiellement à la Préfecture Maritime de le tenir destinataire des informations liées aux causes de ce naufrage. En effet, les conditions de mer étaient bonnes, la visibilité de même, et la zone très connue par l'exploitant qui y effectue des passages réguliers. IL est donc indispensable de déterminer s'il s'agit d'une faute nautique de l'équipage ou d'une autre cause.

STW exprime son profond étonnement sur le fait que les manoeuvres de sécurité aient été si difficilement mises en oeuvre. Et surtout au sujet de la problématique du mauvais état allégué des gilets de sauvetage.

Pire, STW exprime son incrédulité en ce qui concerne la défense du capitaine qui affirme aujourd'hui avoir heurté un rocher qui n'aurait pas été répertorié sur les cartes nautiques. STW rappelle à cette occasion le rôle indispensable des cartes nautiques, et de leur mise à jour régulière, ainsi que le fait que les cartes électroniques ne remplaceront jamais totalement les cartes papier. L'excuse du rocher non-répertorié devient difficile à croire lorsqu'on navigue dans des eaux aussi connues...

Enfin, et pour finir, STW s'interroge sur la norme appliquée pour calculer la courbe de stabilité de ce navire et de ses sister-ships. EN effet, le navire a accusé très rapidement une gite de +20°, rendant inutilisables la moitié des canots de sauvetage, et jetant à la mer un bon nombre de passagers.

Et son point d'équilibre à 80° de gite est clairement problématique.

STW demande donc aux organismes de certification des navires à passagers quelles normes ils appliquent pour certifier une courbe de stabilité d'un tel navire, alors qu'il est parfois si difficile d'obtenir une certification suffisante pour des navires de plaisance. Le fait que le Concordia se retrouve couché comme un vulgaire cargo, alors qu'il embarque plus de 4200 passagers, est clairement problématique, et aurait pu être gravissime si les conditions de mer et celles du naufrage avaient été moins clémentes.

Ariel DAHAN

Directeur Juridique - STW

Avocat au Barreau de Paris

Voir aussi http://stw.fr/dt/display_DT.cfm?dt=3998

(crédit photo : Nouvel Obs)