La décision rendue par le National Arbitration Forum du 20 septembre 2011 raisonne comme un coup de tonnerre dans la stratégie juridique de revendication des noms de scène déposés comme marques par les artistes. Ladygaga en supportant la première les frais.

http://domains.adrforum.com/domains/decisions/1403808.htm

Dans cette affaire qui a mis en émoi toutes les directions juridiques et tous les juristes spécialisés en revendication de marque, que s'est-il donc passé pour arriver à un tel résultat?

L'artiste Lady Gaga (Stefanie Germanotta dans le civil) est l'une des artistes la plus cybersquattée du monde numérique. On retrouve son nom dans une multitude de sites, qu'ils soient sites de fans, blogs, sites commerciaux, ou sites pornographiques.

Or, Ladygaga - l'artiste - a déposé son nom de scène comme marque commerciale, et en revendique la protection à ce titre.

Jusqu'à présent, il était convenu de considérer que la marque déposée ou notoire primait sur l'usage et sur le nom de domaine. Ainsi, de multiples décisions ont condamné les utilisateurs de noms de domaine contrefaisant une marque. Et imposé la restitution du nom de domaine au titulaire de la marque.

La problématique de l'utilisation d'un nom d'artiste dans un site internet était également résolue depuis longtemps. Depuis l'affaire NKOTB de 2002 New Kids On The Blocks vs New America Publishing où la justice américaine a sanctionné l'utilisation dans une page internet d'un métatag contenant le nom de la marque du groupe d'adolescents NKOTB.

Aussi, au regard du juriste, la revendication de sa marque par un professionnel, surtout si cette marque est assortie d'une notoriété mondiale, ne devait pas poser de difficulté.

Hélas, les arbitres ne se sont pas arrêtés à la contrefaçon évidente de la marque "lady gaga".

Leur décision se fondant sur les règles de conflit propres à l'ICANN (ICANN's Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy).

Ces règles décrivent, pour les résumer, trois conditions cumulatives qui doivent être remplies pour que l'ICANN puisse décider de réattribuer un nom de domaine au requérant.

1- Identité ou risque de confusion (Identical and/or Confusingly Similar)

Lady Gaga a pu apporter la preuve qu'elle était le propriétaire légitime des trois marques déposées

1. LADY GAGA (Reg. No. 3,695,038 registered October 13, 2009); 2. LADY GAGA (Reg. No. 3,695,129 registered October 13, 2009);and 3. LADY GAGA (Reg. No. 3,960,468 registered May 17, 2011).

Elle a également établi bénéficier d'une antériorité d'usage de son nom d'artiste, préalable à ses dépots de marque. La notion juridique utilisée en droit américain était "common law rights". Ce qui correspond en droit français à l'antériorité d'usage, ou à la marque notoire. Cependant, les arbitres ont décidé d'écarter la valeur probatoire de l'usage antérieur au dépôt de marque, et donc d'écarter la "common law" en l'espèce.

Néanmoins les arbitres ont considéré que la requérante avait su établir la notoriété de sa marque, au moins dans l'esprit du défendeur. Cependant, les arbitres se sont intéressés au timing de la création du site officiel ladygaga.com, et ont considéré qu'elle n'établissait pas la preuve d'une concordance temporelle entre ses droits d'usage et le droit concurrent de ladygaga.org.

Toutefois, les arbitres reconnaissent que la marque LADY GAGA appartient bien à la requérante. Et que le site <ladygaga.org> est identique à la marque LADY GAGA.

2 - Droit ou Intérêt Légitime (Rights or Legitimate Interests)

Les arbitres ont relevé que l'exploitant du site attaqué ne peut revendiquer aucun intérêt légitime sur le nom de domaine contesté. ILs ont procédé au renversement de la charge de la preuve, et imposé au défendeur d'apporter la preuve de son intérêt légitime, conformément au précédent Hanna-Barbera Prods., Inc. v. Entm't Commentaries, FA 741828 (Nat. Arb. Forum Aug. 18, 2006) (qui a statué en ce sens que si le plaignant établit que le défendeur n'a aucun intérêt légitime apparent, c'est au défendeur de prouver qu'il détient des droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine controversé.)

Alors que la requérante n'a pas pu remplir ce premier test, les informations données par le WHOIS sur le nom de domaine litigieux indiquent que le titulaire du nom de domaine est &ldquo;oranges arecool XD&rdquo;, nom qui n'est ni similaire ni identique, et qui ne peut donc revendiquer un intérêt légitime à déposer cette marque.

En défense, il était soutenu que le site est un site de fans non-officiel, qui présente les informations des tours, photos, vidéos... et que son utilisation est non-commerciale. La défense a surtout insisté sur le fait qu'elle n'est pas sponsorisée, et qu'elle ne renvoie vers aucun autre site commercial.

Ce à quoi les arbitres ont reconnu que l'usage du site par le défendeur était un usage de "bonne foi", ou un usage non-commercial répondant aux bonnes pratiques de l'ICANN., conformément à la décision de 2001 White Castle Way, Inc. v. Jacobs, D2004-0001 (WIPO Mar. 26, 2004) (a propos de l'utilisation légitime du site <patbenatar.com> en tant que site de fan.).

Et la décision WIPO (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle OMPI) WIPO Decision Overview 2.0, ¶ 2.5: &ldquo;The registrant of an active and noncommercial fan site may have rights and legitimate interests in the domain name that includes the complainant's trademark. The site should be actually in use, clearly distinctive from any official site, and noncommercial in nature.&rdquo; http://www.wipo.int/amc/en/domains/search/overview/index.html#25 .

En conséquence de quoi les arbitres ont considéré que la requérante n'avait pas apporté la preuve que la défense n'avait aucun droit légitime apparent. DE sorte que la charge de la preuve lui incombait à elle seule.

3 - Enregistrement de mauvaise foi - Registration and Use in Bad Faith

En définitive, il importe de déterminer si l'enregistrement du nom de domaine <ladygaga.org> a été fait de mauvaise foi. CE qui, aux yeux des arbitres, n'est pas le cas.

Raison pour laquelle la demande de Lady Gaga fut rejetée, et le nom de domaine ladygaga.org maintenu au fan club.

Mon sentiment face à cette décision, qui est conforme aux règles de l'ICANN, tient en deux mots : stratégie procédurale.

Il m'apparaît, à la lecture de cette décision, qu'une procédure de revendication de la marque et de sanction de la contrefaçon aurait apporté un résultat immédiat bien supérieur, le juge national ayant le pouvoir de faire fermer le site contrefaisant, et d'imposer la cession du site sous astreintes financières.

OR, nul doute que la procédure étatique, dans le cadre du droit des marques, aurait donné gain de gause à Lady Gaga, en l'état actuel du droit des marques.

On ne peut donc que déplorer une erreur évidente de stratégie procédurale, qui, outre qu'elle nuit à l'intéressée, dessert également les juristes et autres exploitants des marques en ce qu'elle présente un précédent dangereux de cybersquatting licite.

Car n'en doutons pas, un fansite a toujours une vocation commerciale déguisée, à terme. Ne serait-ce que pour exploiter la base de données des utilisateurs inscrits ou visiteurs.

Et s'il ne s'agissait que de l'égo, l'égo a également un prix. Notamment pour un artiste.

Ariel DAHAN