La Taxe carbone au confluent du Droit de l'Environnement, de la Fiscalité, du Droit de la Concurrence et du Droit Européen
Le projet de contribution « Climat Energie » (la taxe « carbone ») semble être temporairement abandonné par le gouvernement, après la censure du Conseil Constitutionnel.
Le Conseil Constitutionnel considérait que le projet « créait une rupture d'égalité devant les charges publiques ». (Voir notre analyse : Anticonstitutionnalité de la contribution carbone - décision n°2009-599 du 29/12/2009) sur http://avocats.fr/space/ariel.dahan).
La nouvelle version, à l'étude depuis décembre, a été officiellement suspendue par le gouvernement. François FILLON et Nicolas SARKOZY en ont largement exprimé les raisons : la compétitivité internationale et intra-communautaire de la France.
Le Président SARKOZY déclarant, dans Le Figaro Magazine :
« Je dis très clairement que la France montrera l'exemple, que nous voulons tenir nos engagements de limitation des émissions de gaz à effet de serre, mais que nous voulons dans le même temps une taxe carbone aux frontières de l'Europe. (...) Nous n'imposerons pas à nos industriels des contraintes si, dans le même temps, on autorise les importations venant de pays qui ne respectent aucune des règles environnementales à inonder nos marchés ». (12 mars 2010).Et Le Premier Ministre, François FILLON, rajoutant :
« Il faut que toutes les décisions prises en matière de développement durable soient analysées à l'aune de notre compétitivité. Ca vaut pour la taxe carbone. Nous voulons que les décisions soient prises en commun avec les autres pays européens ».oOo
Vif débat politique
Les réactions politiques ont immédiatement été très hostiles.
Michel Rocard, Président de la conférence qui a élaboré cette taxe, analyse la décision de suspension de ce projet à une réaction à la défaite électorale historique des régionales de mars 2010. Les Verts partent du principe que l'accord européen sur la fiscalité environnementale est impossible à obtenir. Cependant, du côté des Verts, l'intérêt de la taxe carbone était très discuté. De même le PC se félicite de l'abandon d'un projet «considéré comme injuste et inefficace». Les ONG environnementales se montrent très inquiètes du report de la mesure. Le WWF estimant même que le report de la « taxe » risquant d'entraîner une diminution de la compétitivité des entreprises françaises à long terme ! « La contribution Climat Energie a pour vocation de permettre l'adaptation des entreprises françaises à la nouvelle donne énergétique et en particulier la remontée inexorable du prix des hydrocarbures ».Le débat n'est donc pas clairement tranché : Ni du côté politique ni du côté technique.
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Reste le point de vue juridique strict. Celui du Conseil Constitutionnel, d'une part, mais également celui du Droit Européen.
Rappelons donc que le Conseil Constitutionnel a rejeté le premier projet au motif de la rupture de l'égalité des contribuables devant les charges publiques. Le deuxième projet est abandonné au nom d'une distorsion de compétitivité internationale des entreprises.
Me Arnaud Gossement, Avocat en droit de l'environnement et de l'énergie, a des positions très fortes sur ce point. Il conteste la réalité du motif de préservation de la compétitivité des entreprises françaises. Il expose sur www.developpementdurable.com qu'il faut distinguer les entreprises selon leurs productions : L'industrie lourde aurait été la plus concernée par cette contribution environnementale. Les industries « légères » du secteur des nouveaux matériaux du bâtiment et de l'énergie renouvelable ne l'étant pas ou peu.
Il considère que la cause essentielle de l'échec tient à un défaut pédagogique.
« Si on avait parlé de la redistribution aux Français, si on leur avait expliqué que sans taxe carbone, les plus faibles se retrouveront bientôt seuls face à l'explosion des prix de l'énergie qui se profile devant nous, je pense qu'ils auraient mieux compris de quoi il s'agissait. Malheureusement, la pédagogie n'a pas été au rendez-vous. »Cependant il rappelle qu'il existe d'autres dispositifs de fiscalité environnementale qui sont déjà en place et qui ont prouvé leur pertinence : le bonus-malus environnemental automobile qu'il espère voir élargi à d'autres produits, ou la taxe générale sur les activités polluantes.
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Je crois pour ma part que le retrait du projet de taxe carbone du cadre législatif français est une très bonne chose pour l'environnement et pour l'économie.
Explications:
La taxe carbone n'a d'intérêt qu'à la condition qu'elle frappe uniformément tous les opérateurs économiques d'un même territoire.
On a vu que le premier projet ne frappait pas uniformément tous les opérateurs, et qu'il a été retoqué par le Conseil Constitutionnel pour cette raison.
Sous l'angle environnemental, il ne faut pas s'arrêter à la frontière administrative d'un territoire, pour déterminer les effets de l'atteinte à l'environnement. Les atteintes environnementales se jouent des frontières. On l'a vu pour le nuage radioactif de Tchernobyl. On le voit régulièrement pour les pollutions fluviales ou aériennes. Pour déterminer le territoire environnemental qui est concerné par une mesure, il faut donc s'intéresser à la manière de dispersion de la pollution considérée.
Une pollution aérienne se propage dans l'atmosphère et « saute » les frontières.
Une réglementation taxant les émissions de CO2, de Gaz à Effet de Serre ou autres microparticules sur le territoire français aurait donc des résultats limités sur le volume de pollution réellement supporté par la France. Il faut pour cela comparer les régimes de vents, qui transportent les aérosols et autres nuages pollués.
Voir par exemple la carte d'extension de la pollution au césium par le nuage radioactif de Tchernobyl, arrêtée en 1996.Précisément, la France, placée au centre de l'Union Européenne, n'est pas seulement une zone de transit humain et matériel. C'est aussi une zone qui reçoit en alternance les vents méditerranéens, transalpins, océaniques, et de l'Est. Ce régime de vents expose donc plus la France qu'aucun autre pays à subir les pollutions de ses voisins. Puisqu'elle les reçoit toutes... En conséquence, une réglementation qui ne pèserait que sur la France n'aurait pas d'effet limitatif du niveau de pollution ressenti en France. Pollutions venant certainement en partie de France, mais également des pays à industrie lourde très polluante (Pologne, Allemagne, ...).
En revanche, cette réglementation contribuerait à limiter le niveau de pollution exporté vers les pays voisins, qui en seraient les principaux bénéficiaires.
Voir également la carte des vents acides sur l'Europe Centrale, fin 1999, montrant d'un côté les sources d'émission de souffre, et de l'autre les zones de dépôt soufré. Cette carte met en évidence le fait que les pollutions aériennes se ressentent essentiellement en dehors du bassin d'émission.Sous l'aspect de la fiscalité pure, il n'est pas concevable, au regard du droit international comme au regard du droit fiscal ou constitutionnel français de faire financer la dépollution aérienne d'un pays par la fiscalité d'un autre pays. En effet, au sens fiscal et constitutionnel, l'impôt est toujours levé dans l'intérêt général du pays qui le lève. Et non dans l'intérêt général des autres pays. Ce sont d'autres mécanismes qui financent la solidarité internationale.
Mais il faut prendre également en considération le Droit Economique, Droit de la Concurrence et Droit Européen.
Les droits de la Concurrence et le Droit Economique s'intéressent aux comportements que font les opérateurs économiques sur un marché qui doit être le marché le plus pertinent.
Le marché pertinent étant défini par trois critères : un critère technique (le produit), un critère de volume (chiffre d'affaires ou parts de marché) mais aussi et surtout un critère géographique : le « territoire » d'influence du comportement économique considéré.
Dans ce cadre bien déterminé, il faut donc déterminer le plus petit territoire concerné. Selon les produits, le plus petit territoire pourra être limité à une commune, une région, un État, un continent ou le monde entier.
Dans le cas qui nous concerne, le territoire qui doit être considéré n'est pas seulement le territoire fiscal français. La France, État membre de l'Union Européenne, est intégrée dans le Marché Unique, sans frontières intérieures, jouissant d'une libre circulation des marchandises et des prestations de service. C'est donc tout le territoire de l'Union Européenne qui doit être considéré, lorsqu'on évoque la question du marché territorial.
En l'occurrence, restreindre le marché au seul territoire français n'est pas pertinent, dès lors que les marchandises circulent librement sans droits ni taxes dans l'ensemble du Marché Commun de l'Union Européenne.
Dès lors, instaurer une taxe nouvelle qui ne frapperait que les opérateurs économiques intervenant sur le territoire français, aurait créé une distorsion de concurrence inversée, un désavantage compétitif pour l'activité économique réalisée en France, au profit des pays de l'UE qui n'instaureraient pas cette taxe carbone.
Certains politiques des Verts considèrent que ce désavantage compétitif n'est pas important au regard de l'avantage compétitif à long terme dont bénéficieraient les entreprises françaises qui se seraient adaptées à cette contrainte avant les autres.
Cette position s'appuie sur une certaine logique. De fait, les entreprises françaises et européennes se sont globalement mieux adaptées à un monde où le volume d'énergie était limité, que celles américaines. Les motoristes français, Peugeot en tête, sont parvenus à développer des moteurs très performants ayant un niveau de consommation historiquement très bas. On pourrait en tirer comme conséquence que les constructeurs américains ont été pénalisés.
Or, la réalité est inverse : certes les motoristes ont eu un temps d'avance. Mais ils n'en ont pas tiré profit, et c'est au contraire les constructeurs américains qui s'adaptent aujourd'hui plus vite que les constructeurs français, intégrant des technologies propres dans leurs véhicules, (piles à combustibles, hybride...), au point que malgré la crise, ils proposent aujourd'hui sur le marché européen des véhicules ayant un niveau de consommation très proche des concurrents français.
En définitive, l'avantage concurrentiel qu'avaient les constructeurs automobiles européens ne leur a pas permis de prendre des parts de marché, ou d'en conserver. Pourquoi ? Tout simplement parce que cet avantage concurrentiel ne fonctionnait que sur le marché européen. Hors Europe, le prix du carburant n'était pas un frein au développement de l'industrie automobile.
Dans la même logique, il est facile de prévoir et d'anticipé le long-terme de l'industrie française : L'avantage compétitif qui pourrait être apporté à long terme aux industriels français en raison de leur adaptation plus rapide aux technologies « propres » sera totalement gommé par le désavantage compétitif qui leur serait imposé à court et moyen terme, et qui, pénalisant leur coûts de production, diminue leur marge nette, leur rentabilité et donc leur capacité à prendre des parts de marché. Le risque est donc d'entraîner des champions qui n'auront plus de clients...
Il est donc indispensable de soumettre tout le territoire économique considéré aux mêmes règles. C'est la raison première de la déclaration de Nicolas SARKOZY, et en toute logique, il faut reconnaître que cette justification, toute politique qu'elle soit, s'appuie sur une réalité économique et juridique.
Il reste donc aux parlementaires européens à exercer leur pouvoir d'initiative parlementaire, et à proposer l'instauration de cette taxe au niveau communautaire, de manière uniforme sur tout le territoire de l'UE.
L'UE étant le plus grand territoire économique mondial, la mise en place de la taxe carbone sur ce territoire aurait un effet d'entraînement sur les pays amenés à commercer avec nous. L'instauration de cette taxe pouvant, de fait, s'appliquer aux importations en provenance de l'étranger ou aux prestations de service fournies à l'étranger et facturées en Europe.
Le Droit Européen permet des avancées redoutables en matière de droit de l'Environnement et de droit Economique. Il suffit de le mettre en oeuvre. Il est étonnant de voir à quel point les politiques français et les industriels français le méconnaissent à ce point.
Lorsque j'étais étudiant, nos professeurs avaient pour coutume de nous marteler que le Traité de Rome devait devenir notre livre de chevet. C'est une vérité que peu de responsables politiques semblent avoir compris. Mais le droit Européen est devenu du droit interne, au même titre que notre Code Civil ou notre Code de Commerce. Ne pas le prendre en considération, c'est s'exposer à des réactions violentes de ses partenaires européens, qui au rebours des français, ont intégré depuis longtemps que le Droit est une arme avant d'être un bouclier...
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