A partir du moment où l’IDEL n’entend pas travailler seul, que ce soit ponctuellement ou régulièrement, il lui appartient de contractualiser son mode d’exercice. Une fois l’obligation de rédiger un contrat entendue, se pose celle de déterminer quel contrat répond le mieux aux attentes des parties.

A. La rédaction d’un contrat quel que soit le mode d’exercice choisi

Dans le cadre du remplacement, l’article R.4312-85 du Code de la Santé Publique prévoit :

« Au-delà d’une durée de vingt-quatre heures, ou en cas de remplacement d’une durée inférieure à vingt-quatre heures mais répété, un contrat de remplacement doit être établi par écrit entre les deux parties et être communiqué au conseil départemental de l’ordre. »

S’agissant de la collaboration libérale, l’article 18 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 prévoit en son III :

« Le contrat de collaboration libérale doit être conclu dans le respect des règles régissant la profession.
Ce contrat doit, à peine de nullité, être établi par écrit et préciser :

  1. Sa durée, indéterminée ou déterminée, en mentionnant dans ce cas son terme et, le cas échéant, les conditions de son renouvellement ;
  2. Les modalités de la rémunération,
  3. Les conditions d’exercice de l’activité, et notamment les conditions dans lesquelles le collaborateur peut satisfaire les besoins de sa clientèle personnelle ;
  4. Les conditions et les modalités de sa rupture, dont un délai de préavis. »

Enfin l’association, qu’elle se fasse par le biais d’un contrat d’exercice en commun ou par la création d’une société, répond doit répondre aux exigences de l’article R. 4312-73 du Code de la Santé Publique :

« Toute association ou société à objet professionnel fait l’objet d’un contrat écrit. »

La rédaction d’un contrat écrit est donc une obligation légale, et ce dans toutes les formes d’exercice à partir du moment où l’IDEL ne travaille pas exclusivement seul. Chaque contrat doit en outre être communiqué au Conseil Départemental de l’Ordre dont dépendent les parties (sur les conséquences de cette absence d’envoi nous vous invitons à lire notre article « La qualification judiciaire de l’exercice en groupe »).

Dès lors à la question pourquoi faire un contrat, la première réponse est : Parce que c’est une obligation légale, au même titre par exemple que ne pas rouler à plus de 130 km sur l’autoroute. Mais telle n’est pas la seule raison pour laquelle le contrat doit s’envisager.

En effet le contrat permet de concilier les attentes et les contraintes de chacune des parties dans un cadre flexible. Un contrat bien rédigé peut constituer un outil de travail précieux, permettant de déterminer un cadre de travail souple, optimisant dès lors l’organisation du cabinet et les relations entre ses membres.

La rédaction d’un contrat ne signifie pas nécessairement qu’il existe un manque de confiance entre les parties ! Au contraire le contrat vient « poser les règles du jeu » dès le départ, en permettant à chaque partie de prendre pleinement conscience de ses droits et obligations, facilitant dès lors leur respect dans le cadre de l’exercice quotidien. En amont également, il permet souvent d’amener les futur(e)s collègues à se poser des questions auxquelles ils/elles n’auraient pas spécialement pensé (que se passe-t-il si l’un d’entre nous décède ou se trouve en invalidité ? par exemple).

Le contrat est en outre un outil personnalisable qui permet de concilier les attentes et les contraintes individuelles de chacune des parties, non seulement à un instant T, mais également dans l’avenir. Il faut avoir à l’esprit que la vie n’est pas totalement linéaire et prévisible, et un bon contrat va être suffisamment complet pour envisager toutes les hypothèses, mais suffisamment souple pour y répondre.

Ainsi le contrat est un outil de sécurité et de prévisibilité, tant au jour de sa rupture qu’en cours d’exécution.

En cas de séparation par exemple : quid de la répartition de la patientèle ? Quid de la réinstallation de l’une des IDEL à proximité ? Quid de son éventuel remplacement ? Il faut souligner que l’hypothèse de la séparation n’implique pas nécessairement que celle-ci résulte d’une mésentente ou d’un litige. En effet, l’un ou l’une des parties peut un jour avoir à suivre son conjoint promu sur une autre région, ou tout simplement prendre sa retraite ! Dans ce cadre il faudra bien gérer la séparation, et le fait d’y avoir réfléchi et de l’avoir prévu dès le début de l’exercice commun sera un atout précieux, et, loin d’envenimer la situation, le contrat aura au contraire permis de la gérer sereinement.

En cours de contrat également, nombre de situations peuvent se présenter, et cela même lorsque l’on connait ses collègues depuis des années ! Par exemple, quid de l’indélicatesse de l’un des membres du groupement envers les autres ou envers les patients ? Comment exclure ou sanctionner un membre du groupement dans les règles, et sans générer de risque pour les IDEL restants ? En l’absence de règles, c’est bien souvent une situation d’anarchie préjudiciable à tous qui verra le jour, tandis que le contrat aura envisagé ces hypothèses pour en permettre la résolution rapide et claire.

Et concrètement, sans contrat je risque quoi ?
A défaut de contrat, les parties n’ont pour règles que les dispositions légales applicables, lesquelles sont particulièrement générales, et supposent généralement le recours à la voie judiciaire, donc des frais et des délais bien souvent décourageants, et finalement peu efficaces.

Par exemple, votre collègue vous « met dehors » du jour au lendemain, que se passe-t-il pour les patients ? S’ils ne vous suivent pas, vous risquez fort de vous trouver démuni du jour au lendemain ! Peut également se poser la question du local, étant rappelé qu’il est obligatoire de disposer d’un cabinet conforme. Dans ces hypothèses, même un jugement qui vous donnerait raison des années plus tard ne règlerait pas les conséquences dommageables que vous aurez subies.

D’autre part, travailler en groupe sans contrat implique que les règles de fonctionnement et de partage soient déterminées par les modalités concrètes de votre exercice quotidien. De ce point de vue, l’application des règles juridiques peut se retourner contre vous ! (Sur ce point, nous vous invitons à lire notre article sur la qualification judiciaire de l’exercice en groupe).

En somme, le contrat s’apparente à une assurance : il est possible que l’on n’en ait jamais besoin, mais le jour où la maison brûle, on est bienheureux de l’avoir souscrite !

 

B. Choisir son mode d’exercice

Le but du contrat est de répondre aux attentes des parties exerçant en groupe. Cela suppose, avant même d’en personnaliser le contenu, de déterminer le mode d’exercice en groupe.

La profession d’IDEL offre trois modes d’exercice en groupe : le remplacement, la collaboration et l’association.

  • Le remplacement

Un infirmier libéral remplaçant est un infirmier qui travaille en lieux et place d’un infirmier libéral installépour une période déterminée, correspondant à l’indisponibilité (maternité, paternité, maladie, congés, formations etc.) du ou de la remplacé(e).

Le remplacement est ponctuel. Il dure le temps de l’indisponibilité du remplacé. Ainsi lorsque le besoin de faire appel à un collègue est régulier, par exemple pour un partage du planning 15 jours chacun, ou 10 jours / 10 jours entre titulaires et 10 jours pour le remplaçant chaque mois, il faudra s’orienter vers un autre mode d’exercice.

Le remplaçant est un professionnel libéral indépendantIl peut avoir son propre cabinet, ou exercer exclusivement en qualité de remplaçant autorisé par le Conseil Départemental de l’Ordre. Il est à souligner que même lorsque le remplaçant est un infirmier installé et conventionné, le remplacement s’effectue dans les conditions légales du remplacement, notamment en termes de facturation. Ainsi, le remplaçant, même s’il dispose de sa propre CSP, ne peut pas l’utiliser lors du remplacement et devra recourir aux feuilles de soins du remplacé.

Le remplaçant, en tant que professionnel libéral indépendant est responsable de ses actes (et assuré au titre de sa responsabilité civile professionnelle) et ne peut être soumis à aucun lien de subordination.

Enfin rappelons que le remplacé et le remplaçant ne peuvent pas travailler en même temps et le remplacé doit s’abstenir de toute activité professionnelle durant son remplacement. C’est pourquoi, lorsque l’activité devient trop lourde pour tenir le planning seul chaque mois, il est temps de s’orienter vers un autre mode d’exercice.

  • La collaboration libérale

La collaboration est un contrat par lequel un praticien met à la disposition d’un confrère, moyennant une redevance (correspondant à un pourcentage de son chiffre d’affaires mensuel), les moyens d’exercice de la profession (définis dans le contrat).

Le collaborateur est un professionnel indépendant, assumant les mêmes charges que le titulaire (Urssaf, assurance, CARPIMKO…) et installé au même titre. Il ne peut ainsi être soumis à aucun lien de subordination. Il s’agit d’un critère primordial dont le non-respect peut avoir des conséquences extrêmement lourdes (voir sur ce point notre article sur la qualification judiciaire de l’exercice en groupe).

Le collaborateur va exercer sur la patientèle du titulaire, au besoin (et contrairement au remplacement) en même temps. En revanche il n’a aucun « droit » sur celle-ci et devra abandonner ses activités auprès des patients du titulaire, sans droit à contrepartie, en cas de rupture du contrat (que ce soit à l’initiative du titulaire ou du collaborateur). Il conserve en revanche le droit, et tel est d’ailleurs le propre de la collaboration, de développer sa patientèle propre, critère là encore essentiel car il conditionne souvent la qualification de la collaboration. Il est ainsi primordial de rédiger avec soin et compétence les clauses du contrat de collaboration, notamment relatives aux conditions de ce développement.

Le contrat de collaboration peut être à durée déterminée, ou indéterminée, selon les attentes et les ambitions des parties. Contrairement à une idée assez répandue, le contrat à durée indéterminée n’est pas plus risqué pour le titulaire que le contrat à durée déterminée, et s’avère même plus souple ! Il faut en effet éviter l’amalgame avec le contrat de travail, dont la nature indéterminée est plus engageante pour l’employeur, notamment en cas de rupture. Mais, le contrat de collaboration libérale ne relève pas du droit du travail, en sorte que sa rupture répond aux règles générales du droit des contrats. Ainsi, et contrairement au contrat de travail ou au contrat à durée déterminée, il n’y a pas par exemple d’obligation de motiver la rupture. Seul un délai de préavis raisonnable devra être respecté. C’est ainsi que le contrat à durée indéterminée s’avère finalement plus facile à rompre !

En tout état de cause, le choix d’un contrat à durée déterminée ou indéterminée doit se faire en considération de plusieurs critères, tant de la part du collaborateur que du titulaire.

  • L’association

L’association implique une organisation commune, et la mutualisation de moyens, notamment la patientèle. Cette mise en commun peut également s’étendre aux honoraires. Nous distinguerons alors les deux hypothèses :

  • La mise en commun de moyens et frais, sans mise en commun d’honoraires peut se faire par le biais d’une société (Société Civile de Moyens), ou simplement par la signature d’un contrat d’exercice en commun sans création d’une personne morale distincte.
  • La mise en commun des moyens, frais et honoraires suppose la création d’une société dite d’exercice, à savoir la Société d’Exercice Libéral ou la Société Civile Professionnelle.

Les professionnels de santé disposent également de structures pluri-professionnelles d’exercice (maison de santé, Société Interprofessionnelle de Soins Ambulatoires, Equipes de soins primaires…) qui ne seront pas, compte-tenu de leurs spécificités, abordées dans cet article.

► La Société Civile de Moyens (SCM)

La SCM est définie par l’article 36 de la loi du 29 novembre 1966 :

« Nonobstant toutes dispositions législatives ou réglementaires contraires, les personnes physiques ou morales exerçant des professions libérales et notamment les officiers publics et ministériels, peuvent constituer entre elles des sociétés civiles ayant pour objet exclusif de faciliter à chacun de leurs membres l’exercice de son activité.

A cet effet, les associés mettent en commun les moyens utiles à l’exercice de leurs professions, sans que la société puisse elle-même exercer celle-ci. »

Ainsi, la SCM n’exerce pas elle-même la profession (même si elle règlera, sa propre cotisation ordinale…). Elle joue un rôle d’auxiliaire, permettant à ses membres de mettre en commun « les moyens utiles à l’exercice de leur profession » : locaux, matériels, secrétariat, services comptables ou informatiques… Pour financer ces moyens, les associés versent des redevances à la SCM au titre des dépenses communes. La création de la société n’a pas d’influence sur la situation juridique de ses membres : pas de partage des bénéfices ni de clientèle commune. Chacun conserve donc une totale indépendance au niveau des honoraires et seule la contribution aux frais communs lie ses membres. En revanche, la SCM – qui n’est finalement que le « pot commun » – ne permet pas d’organiser les modalités de son exercice (planning, congés, remplacements…etc).

► Le contrat d’exercice en commun

Le contrat d’exercice en commun permet de mettre en commun certaines dépenses professionnelles (loyer, eau, électricité, élimination des déchets, logiciel…) tandis que chacun des membres continue d’exercer sa profession individuellement et de percevoir directement ses honoraires. Il est ainsi plus complet que la SCM puisqu’il permet d’organiser l’exercice professionnel sans pour autant partager les recettes.

Ce contrat présente ainsi de réels avantages, et permet de construire une organisation véritablement sur-mesure, sans pour autant présenter la lourdeur administrative d’une société et le coût d’une gestion (frais de création, de comptabilité…etc).

► La Société Civile Professionnelle (SCP)

Aux termes de l’article R. 4381-25 du Code de la Santé Publique :

« Les sociétés régies par la présente section ont pour objet l’exercice en commun de la profession d’infirmier ou d’infirmière ou de masseur-kinésithérapeute.

Ces sociétés reçoivent la dénomination de sociétés civiles professionnelles d’infirmiers ou d’infirmières ou de masseurs-kinésithérapeutes.

La responsabilité de chaque associé à l’égard de la personne qui se confie à lui demeure personnelle et entière, sans préjudice de l’application de l’article 16 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles. »

L’article 16 de la loi du 29 novembre 1966 prévoit quant à lui que :

« Chaque associé répond sur l’ensemble de son patrimoine des actes professionnels qu’il accomplit.

La société est solidairement responsable avec lui des conséquences dommageables de ces actes.

La société ou les associés doivent contracter une assurance de responsabilité civile professionnelle dans les conditions prévues par le décret particulier à chaque profession. »

Il ressort de ces dispositions que la SCP a une personnalité juridique propre. La clientèle lui appartient, elle encaisse les honoraires et règle les dettes. Les bénéfices sont ensuite reversés aux associés sous forme de dividendes.

Néanmoins la responsabilité professionnelle demeure propre à chaque associé.

Les associés de SCP sont tenus des dettes sociales de manière indéfinie (sur leur patrimoine personnel à hauteur de leur participation dans le capital) et conjointe (chaque associé est poursuivi distinctement).

► La Société d’Exercice Libéral

La société d’exercice libéral peut être constituée entre plusieurs associés, ou par un professionnel unique, auquel cas il s’agira d’une entreprise unipersonnelle. Elle prend différentes formes : Société d’Exercice Libéral à Responsabilité Limitée (SELARL / SELARLU), Société d’Exercice Libéral par Actions Simplifiée (SELAS), Société d’Exercice Libéral A Forme Anonyme (SELAFA), Société d’Exercice Libéral en Commandite par Actions (SELCA).

Ses principaux avantages, notamment en comparaison avec la SCM, sont les suivants :

  • Sur le plan fiscal et social, les cotisations seront basées sur la rémunération réellement perçue par le professionnel de santé et non sur le résultat net. La SEL peut alors permettre une économie substantielle (les avantages fiscaux et comptables doivent faire l’objet d’une analyse préalable détaillée, les éléments présentés dans le présent article se limitant à présenter les avantages « possibles », mais non sans la réserve d’une étude au cas par cas qui nous apparaît absolument indispensable).
  • L’exercice par le biais d’une SEL entraîne par ailleurs la séparation des patrimoines privés et professionnels, protectrice des biens personnels de l’IDEL. La SEL peut même être un outil de constitution d’’un patrimoine privé issu de la cession de la patientèle à la société.
  • Enfin, la SEL autorise l’apport de capitaux extérieurs sous certaines limites (25% s’agissant de la profession d’infirmière), même si cet avantage nous apparaît très marginal s’agissant de l’activité d’infirmier/infirmière.
  • Le salariat entre infirmiers / infirmières ?

Le Code de Déontologie adopté le 28 novembre 2016 est venu supprimer l’article R. 4312-48 du CSP, lequel prohibait le salariat entre IDEL. C’est désormais l’article R. 4312-59 du Code de la Santé Publique qui prévoit :

« Le mode d’exercice de l’infirmier est salarié ou libéral. Il peut également être mixte. »

Sur le principe, le salariat est donc possible. En pratique toutefois, il ne nous apparaît pas possible (voire même opportun) qu’un IDEL emploie un ou une autre IDEL. En effet, au-delà du coût financier que représente un salarié (exacerbé par le fait que la profession implique des horaires de nuit, un travail dominical…) qui pourrait s’avérer prohibitif, un certain nombre d’obstacles demeurent. Par exemple, quid du zonage infirmier ? Comment facturer les soins à la CPAM dans la mesure où la CPS est strictement personnelle ? Quel cadre juridique pour entourer l’amplitude horaire à laquelle peuvent être soumis les IDEL ? En l’état de notre système juridique et des modalités concrètes d’exercice de la profession, le salariat entre infirmiers nous semble impossible à mettre en œuvre.

Dans la dernière partie de ce guide, nous aborderons la question du régime matrimonial à choisir pour protéger votre activité, en particulier en cas de divorce.