Le rapport rendu par la Cour des comptes sur l’Ordre des médecins publié en décembre 2019 n’est pas tendre avec l’institution : sont notamment pointés une composition peu représentative sociologiquement de la profession en exercice ainsi que des désordres comptables et de gestion.

La Cour critique également ses prises de position politique qui évoquent celles d’une organisation syndicale au détriment de ses missions et principalement celles de faire respecter à la déontologie et de s’intéresser aux sujets d’intérêt général concernant la médecine. 

Ce rapport décrit certains dysfonctionnements de l’institution notamment concernant ses fonctions juridictionnelles. 

La distinction entre doléance et plainte

Il est notamment reproché l’absence de suivi des plaintes et de leurs suites au niveau national, la distinction faite par les conseils départementaux entre « doléance » et plainte serait infondée selon la Cour des comptes et conduirait à ne transmettre aux chambres disciplinaires qu’une minorité des signalements de patients. 

La Cour des comptes constate également l’augmentation des contentieux dont sont saisies les chambres disciplinaires ; les Chambres disciplinaires de première instance (CDPI) ont jugé en 2017 1 319 affaires et la Chambre disciplinaire nationale (CDN) près de 400.

L’augmentation des contentieux devant les chambres disciplinaires

Ainsi de  2012 à 2017, l’activité des CDPI a augmenté de 32 % et celle de la CDN de 23 %.

Les deux tiers des plaintes émanent de patients, 12 à 14 % émanent de médecins, près de 20 % de conseils départementaux de l’ordre, 1 % du CNOM ou d’ARS.

En appel, un quart seulement des recours émanent de patients et la moitié des médecins poursuivis.

La Cour des comptes estime que la justice ordinale n’a pas encore atteint un niveau de maturité et de professionnalisme suffisant au regard des pouvoirs de sanction redoutable qui lui sont conférés dont celui de suspendre ou de radier un médecin et qui requièrent un haut niveau d’exigence. 

Des décisions de qualité insuffisante, des risques de partialité

Elle relève une marge importante d’amélioration notamment en termes de qualité des décisions rendues en raison de la quasi absence d’instruction, du défaut d’l’harmonisation des sanctions pour des faits portant sur des griefs identiques, des risques de partialité et de conflit d’intérêts en méconnaissance de la charte déontologique des membres des juridictions diffusé par le Conseil national. 

La cour des comptes s’appuie notamment sur le nombre important de décisions annulées pour partialité en appel ; en 2017,  13 décisions rendues dans au moins huit juridictions ont été annulées par la chambre d’appel pour partialité de la composition de formation de jugement.

Par ailleurs, sur les 292 affaires examinées en 2017, seules 39 % ont été confirmées parla Chambre disciplinaire nationale (CDN).

La moitié des décisions annulées par la chambre disciplinaire nationale l’ont été pour vice de forme ou de procédure, en raison d’un manque d’impartialité de la composition de jugement ou en raison de la qualité même des jugements : insuffisance de motivation, non prise en compte de certains griefs, défaut d’analyse de la validité de la plainte. 

Des recommandations qui pourraient conduire à une augmentation des poursuites

Pour améliorer les missions juridictionnelles de l’Ordre des médecins par l’intermédiaire des chambres disciplinaires, la Cour des comptes émet certaines recommandations visant à modifier les dispositions du code de la santé public afin :

– d’encadrer juridiquement le traitement des « doléances » ;

– de rendre obligatoire le dépaysement du traitement de tout signalement concernant un élu de l’ordre jusqu’à la saisine de la chambre disciplinaire de première instance ;

– d’élargir les commissions de conciliation à des personnes tierces extérieures à l’Ordre pour traiter les cas de plaintes formulées par les usagers ;

– de permettre aux patients de porter plainte auprès de l’Ordre contre tout praticien, quel que soit son statut et notamment les hospitaliers, à l’exception des médecins exerçant une mission d’expertise ou de contrôle. 

Les recommandations de la Cour des comptes, si elles devaient être prises en compte, modifieraient substantiellement la gestion des plaintes par les conseils départementaux et le fonctionnement des chambres disciplinaires. 

Elles pourraient aboutir, du fait notamment de l’élargissement de la saisine aux médecins exerçant des missions de service public, à la qualification des doléances en plaintes et à l’ouverture de la composition des commissions de conciliation à des personnes tierces à un accroissement notable des mises en cause de médecins. 

Carole A. YOUNES

Avocate à la Cour