Catherine Cathiard a été interviewée(*) par Option Finance dans le cadre du développement du statut de la société européenne (SE). Option Finance - 27 mai 2019 - Anaïs Trebaul 

(*) avec Alexandra de la Martinière, secrétaire générale de Valtech SE).

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"Les entreprises redécouvrent la société européenne" - Option Finance - 27 mai 2019

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Dix-huit ans après sa création, le statut de société européenne reste méconnu et peu utilisé, seule une cinquantaine de groupes français l’ayant à ce jour adopté. Pourtant, ce statut présente plusieurs avantages, comme tendent à la montrer les annonces récentes de plusieurs entreprises ayant décidé de devenir des sociétés européennes.

Le statut de société européenne (SE) bénéficierait-il enfin d’un regain d’intérêt ? Après Faurecia, qui a adopté ce statut en décembre dernier, Plastic Omnium et Vivendi viennent en effet de voter, lors de leur assemblée générale, une résolution afin de devenir une société européenne.  Pourtant, peu d’entreprises avaient jusqu’à présent fait ce choix. Depuis sa création en 2001, ce «statut» concurrent des traditionnels SA, SARL, SAS et EURL a seulement séduit une cinquantaine d’entreprises en France, parmi lesquelles Atos, Schneider Electric, Eurazeo, Capgemini ou encore Getlink. 36 sont actuellement identifiées comme disposant de ce statut selon les chiffres de l’European Trade Union Institute (Etui).  

Certes, plusieurs facteurs tendent à expliquer un tel constat. D’abord, la France pâtirait d’un déficit de connaissance dans ce domaine. «Les conseils proposent rarement cette solution à leurs clients car tous ne maîtrisent probablement pas pleinement le sujet en pratique», estime Catherine Cathiard, avocate aux barreaux de Paris et de Luxembourg, director chez Wildgen.      Ensuite, toutes les entreprises ne peuvent pas y accéder. «Ce statut présente certaines contraintes : par exemple, dans les cas de transformation, de fusion ou de création d’une SE holding, il est uniquement accessible aux sociétés anonymes (SA) et aux sociétés anonymes à responsabilité limitée (SARL) ayant une personnalité morale préexistante, détaille Catherine Cathiard. De plus, la SE requiert un capital social minimum de 120 000 euros. Par ailleurs, pour se transformer en SE, la situation financière de l’entreprise doit être saine et ses capitaux propres doivent être d’un montant au moins équivalent au capital social augmenté des réserves non distribuables.» En outre, certains mettent en avant la lourdeur du formalisme documentaire pour aboutir au changement de statut nécessaire. «La transformation en société européenne nécessite l’intervention d’un commissaire à la transformation, prévient Alain de Rougé, avocat associé du cabinet BCTG Avocats. De plus, lors d’une opération de création de société européenne par voie de fusion-absorption par exemple, les entreprises doivent compléter un document concernant le projet de fusion différent de celui qu’elles auraient dû remplir si l’opération avait conservé un caractère national et plus complet.» Ces inconvénients sont d’autant plus perçus comme des freins que ce statut n’offre directement aucun avantage fiscal particulier. «Par principe, les dispositions fiscales visant les sociétés anonymes en France s’appliquent également aux sociétés européennes», confirme Agathe d’Aubigny, avocate chez CMS Francis Lefebvre Avocats.  

Une meilleure confiance des partenaires étrangers

Pourtant, si plusieurs entreprises ont récemment décidé d’adopter ce statut,  c’est bien parce qu’il offre en parallèle de multiples avantages. Ainsi, il est plus souple que celui de société anonyme (SA), dont il se rapproche le plus. «En droit français, d’une part, la tenue du conseil d’administration est simplifiée, puisqu’il n’y a pas besoin que la moitié des membres soit présente pour que la réunion puisse avoir lieu, souligne Catherine Cathiard. D’autre part, pour les sociétés cotées, le vote blanc ou nul n’est pas considéré comme un vote contre lors des assemblées générales, ce qui permet, pour certaines sociétés, de faire passer certaines décisions plus aisément. Il existe aussi la possibilité de créer facilement une société européenne filiale.» Ensuite, les entreprises se tournent souvent vers ce dispositif pour se développer à l’international. «Ce statut rassure les étrangers (entreprises, investisseurs, créanciers, banques) qui doivent travailler avec une société basée en Europe, assure Catherine Cathiard. En effet, le règlement européen de 2001 qui règlemente le statut des sociétés européennes est applicable dans tous les Etats membres de l’espace européen et est traduit dans toutes les langues des Etats membres, ce qui leur permet de bien connaître les spécificités de l’entreprise en question. De plus, contrairement aux législations nationales, ce règlement sera rarement modifié, ce qui est gage de stabilité et de sécurité juridiques. En France, certaines PME utilisent ce statut pour se développer à l’international hors de l’Europe pour renforcer leur image et leur crédibilité.»  

Des opérations transfrontalières simplifiées

Enfin, l’adoption de ce statut est aussi utilisée pour faciliter certaines opérations transfrontalières, telles qu’une fusion, un apport partiel d’actifs ou un transfert de siège. «Si la liberté d’établissement au sein de l’UE permet aux entreprises de déménager leur siège où elles le souhaitent, certains Etats européens font obstacle à ce que des sociétés étrangères ayant un statut juridique propre à leur pays d’origine viennent transférer leur siège dans leur pays, considérant que la continuité de la personnalité morale de l’entreprise n’est pas assurée», indique Agathe d’Aubigny. Or le statut de société européenne permet justement de contourner cette situation. «Les pays de l’Union européenne ne peuvent pas refuser l’implantation dans leur Etat d’une société européenne puisque la possibilité d’immatriculation ou de transfert transfrontalier de son siège d’un Etat membre à l’autre fait partie intégrante de son statut, confirme Catherine Cathiard. Ainsi, en France, 12 sociétés européennes ont transféré leur siège de l’étranger (Pierre & Vacances, Portman Insurance…), et 9 ont transféré leur siège vers l’étranger (Eurofins Scientific, Valtech…).» De ce fait, ce transfert de siège permet aussi aux entreprises de bénéficier de la fiscalité d’un autre Etat membre. De plus, les justificatifs à présenter lors d’opérations transfrontalières sont moins nombreux puisque pour obtenir ce statut, les sociétés doivent remplir des critères très stricts. «Par exemple, lorsqu’une société n’ayant pas le statut de société européenne veut mener à bien un tel projet, une présomption de fraude fiscale ou de “montage artificiel” peut potentiellement peser sur elle, ce qui l’amène à devoir prouver qu’un tel grief est infondé, illustre Catherine Cathiard. Les sociétés européennes ne subissent pas cette présomption en raison notamment du fait qu’elles sont tenues de conserver leur siège statutaire et leur administration dans le même Etat membre.» De quoi simplifier les démarches de groupes investissant beaucoup à l’étranger. «Nous avions adopté le statut de société européenne pour deux holdings de l’activité Tourism property de Pierre & Vacances, spécialisées dans les opérations immobilières touristiques, explique Thierry Hellin, ex-directeur général du groupe et actuel président de Beauréale Investments. Comme nous investissions dans de nombreux pays, ce statut simplifiait considérablement nos opérations.» Des avantages que les entreprises semblent toutefois prendre peu à peu en considération. Après Plastic Omnium et Vivendi, c’est le groupe technologique Claranova qui proposera cet été à ses actionnaires de devenir à son tour une société européenne.  

Un accord avec les salariés nécessaire

Si la mise en place du statut de société européenne peut paraître rigide pour certains aspects, d’autres points sont en revanche plus souples. En effet, la mise en place de ce statut se veut garante des droits des salariés, sans pour autant apporter de contraintes supplémentaires à l’entreprise. «Le statut de société européenne indique que ces dernières doivent préserver les droits des salariés et leur offrir au minimum un droit à l’information sur le développement international du groupe, qui vient compléter les droits nationaux, souligne Catherine Cathiard, avocate aux barreaux de Paris et de Luxembourg, director chez Wildgen. Toutefois, les entreprises ont parfois l’impression qu’il s’agit de contraintes qui seront lourdes et longues à mettre en place, alors qu’en pratique, la direction et les salariés trouvent facilement un consensus, dès lors que les droits attachés au statut de la société européenne ont été clairement présentés en amont de l’ouverture des négociations avec les salariés.»

3 questions à Alexandra de la Martinière, secrétaire générale de Valtech

En 2014, Valtech, agence de marketing digital, s’est transformée en société européenne (SE). Pourquoi avoir fait ce choix ?

Valtech réalisait 68 % de son chiffre d’affaires au sein de l’UE. Dans ce cadre, la transformation en SE nous offrait plusieurs avantages (socle de dispositions homogènes reconnues au sein de l’UE, souplesse d’organisation en facilitant notamment la création de succursales, atout pour répondre à des appels d’offres, affirmation de l’envergure européenne du groupe à l’égard des partenaires internationaux). Toutefois, l’événement déclencheur de cette transformation en SE a avant tout été notre souhait de filialiser notre activité française. En effet, nous avions d’importants déficits fiscaux reportables en France, que nous aurions perdus lors de cette filialisation, si Valtech, par la suite, décidait de déplacer son siège social hors de France. Après avoir contacté à plusieurs reprises l’administration fiscale via nos conseils, afin de trouver une solution pour éviter cette situation et sans retour de leur part, la seule façon de filialiser notre activité sans perdre ces déficits et garder notre liberté de mouvement, était de transférer la holding de notre groupe. Cependant, en tant que société cotée et sans passer par une fusion, le transfert de siège est quasiment impossible, puisqu’il nécessite un accord de tous les actionnaires. Nous avons donc choisi de nous transformer en société européenne afin de simplifier le transfert de notre siège. En octobre 2015, nous avons donc transféré notre siège au Luxembourg, un an après avoir adopté ce statut.

Comment s’est déroulée cette transformation ?

Le passage du statut de société anonyme (SA) à SE est long, puisque cela nous a pris environ cinq mois. En janvier 2014, nous avons d’abord dû faire approuver cette décision en conseil d’administration. Ensuite, un mois avant l’assemblée générale, nous avons dû publier le projet de transformation dans un journal d’annonces légales et au BALO. Nous avons en parallèle sollicité auprès du tribunal de commerce l’intervention de commissaires à la transformation, afin d’auditer notre structure. En outre, nous avons constitué un groupe de négociation spécial avec les salariés qui représentaient chaque filiale européenne afin de discuter du projet. Enfin, en avril, l’adoption de ce statut a été votée lors de notre assemblée générale.

Plus de quatre ans après avoir adopté ce statut, quel bilan en tirez-vous ?

Pour des questions organisationnelles, nous n’avons finalement pas procédé à la filialisation de notre activité française. En revanche, ce statut nous a permis de déménager facilement de nouveau notre siège. Ayant une forte croissance outre-Manche, et avec le souhait de privilégier un environnement anglo-saxon, en novembre 2016, nous avons en effet transféré notre siège au Royaume-Uni. Par ailleurs, au quotidien, nous n’avons pas d’audit supplémentaire ni d’obligation spécifique à mener. La seule contrainte que nous avons constatée est qu’au Royaume-Uni, toutes les démarches que nous effectuons auprès du greffe en tant que SE doivent être menées par courrier, et non par voie électronique comme dans le cas d’une société anonyme. Enfin, en cas de «hard Brexit», le statut de société européenne tombera. Nous envisageons donc de reprendre le statut de société anonyme, sans exclure un nouveau transfert, mais qui ne pourra vraisemblablement pas se faire alors sans doute comme nous l’avions réalisé précédemment.

Une utilisation qui répond aux problématiques locales

  • L’European Trade Union Institute (Etui) dénombre actuellement plus de 3 000 sociétés européennes à travers l’Union européenne. Si relativement peu d’entreprises françaises ont été séduites par ce statut, d’autres pays ont en revanche été nettement plus conquis, à commencer par l’Allemagne, qui est le pays moteur dans la mise en place de ce statut. Il y a ainsi environ 500 sociétés européennes outre-Rhin. Parmi les objectifs recherchés par ces entreprises, plusieurs y auraient recours pour des questions de gouvernance. «Outre-Rhin, les entreprises disposent seulement d’un système dualiste (directoire et conseil de surveillance séparés) et n’ont pas la possibilité de bénéficier d’un système moniste (conseil d’administration comme seul organe d’administration), ce qui est possible avec le statut de société européenne qui offre les deux possibilités», relève Alain de Rougé, avocat associé du cabinet BCTG Avocats.
  • En outre, la République tchèque est aussi l’un des pays où les entreprises sont les plus nombreuses à adopter ce statut. Porté notamment par un droit tchèque beaucoup plus complexe que le droit français, le statut de société européenne est utilisé par près de 2 000 sociétés européennes en République tchèque. Même les petits commerçants (bouchers, boulangers…) y ont recours.
  • Par ailleurs, il y a actuellement 53 sociétés européennes basées au Royaume-Uni. Or en cas de «Hard Brexit», celles-ci ne pourraient plus conserver leur statut.
  • Enfin, on compte 29 sociétés européennes au Luxembourg, seulement 11 en Irlande, 5 en Suède, 3 en Italie, 2 en Espagne.