Catherine Cathiard a été interviewée par l'Association Nationale des Experts-comptables et Commissaires aux comptes Stagiaires sur le statut de la société européenne (SE)

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http://anecs.anecs-cjec.org/Actualites/Grands-sujets-d-actualite/La-Societe-Europeenne-SE

19 décembre 2018  La Société Européenne (SE)

Catherine Cathiard est avocate aux Barreaux de Paris et de Luxembourg (cabinet Wildgen). Spécialiste du droit des sociétés et du droit européen des sociétés, elle a accompagné de nombreuses entreprises françaises et étrangères dans l’adoption du statut de Société Européenne (SE) et leurs réorganisations transfrontalières (1).

La Société Européenne (SE) est une forme de société commerciale qui peut être immatriculée dans n’importe lequel des États membres de l'Espace économique européen ("EEE"), régie par deux textes européens – un règlement n°2157/2001 relatif au statut de la société européenne et une directive n°2001/86/CE complétant le statut de la SE pour ce qui concerne l’implication des travailleurs, tous deux datés du 8 octobre 2001. Ce statut a été introduit dans le droit français par une loi de 2005 suivie par des décrets d’application publiés jusqu’en 2009. Il existe à ce jour plus de 3 000 SE immatriculées dans l’EEE dont par exemple Allianz en Allemagne, Airbus aux Pays-Bas, Christian Dior en France, 53 SE ont été immatriculées en France et d’autres sociétés françaises sont actuellement en cours de transformation en SE comme Décathlon par exemple (2).

Quels sont les principaux avantages de ce statut ?

Le statut de SE présente de nombreux avantages pour les entrepreneurs souhaitant se développer à l’international. Principalement, il repose sur un règlement européen qui est une législation globalement harmonisée pour l’Europe, stable – non soumise aux variations des législations nationales - traduite dans toutes les langues de l’EEE, ce qui en fait l’outil idéal pour renforcer la confiance des investisseurs financiers (et donc faciliter les levées de fonds), des clients, des fournisseurs ou encore favoriser les partenariats à l’international (et donc faciliter le développement et accroître la compétitivité).

La SE se présente également comme l’outil idéal pour :

»» améliorer l'image de l'entreprise offrant une dimension ou une culture européenne (élément important pour se développer sous forme de succursales dans plusieurs pays comme le démontre l’exemple de Limagrain, basée en Auvergne - agriculture, vente de semences - qui a choisi d’adopter le statut de SE pour se développer par le biais de succursales en Europe centrale et Europe de l’Est) ;

»» préparer une introduction en bourse (ou une cotation sur plusieurs places boursières) ;

»» aplanir les disparités nationales pour préparer le rapprochement avec des partenaires de nationalité différente pour améliorer la compétitivité (filiale ou holding commune) ; on peut citer comme exemple le partenariat opéré dans le domaine de l’ingénierie de l’environnement entre le français Burgeap (bureau d’études en environnement) et l’allemand Igip par le biais de la création dès 2009 d’une SE holding commune (Burgeap Igip SE) visant la mise en commun de leurs ressources et leur savoir-faire ; l’adoption du statut SE a permis d’accompagner utilement la croissance des effectifs tout en renforçant les capacités de développement de l’entreprise à l’international ;

»» transférer le siège dans un autre État membre en toute sécurité juridique sans changement de forme sociale et sans perte de la personnalité morale en bénéficiant de règles harmonisées et de la neutralité fiscale sous certaines conditions ;

»» bénéficier, selon l’Etat membre d’immatriculation, d’une plus grande liberté statutaire que sous la forme de société anonyme et optimiser son mode de gouvernance (citons les exemples de Viel et Compagnie SE en France pour pouvoir insérer dans les statuts des règles d’aménagement des relations entre actionnaires ou Puma SE en Allemagne pour pouvoir accéder à un mode de gouvernance moniste à conseil d’administration).

Pour vous, quels sont les secteurs d’activité ou structures qui devraient utiliser ce statut ?

Le statut de SE n'est pas réservé aux grandes entreprises et s'avère parfaitement adapté à toutes les entreprises qui développent un projet au-delà d'un seul État membre de l'EEE ou hors de l’EEE. Citons l’exemple de Périmatic, une PME implantée dans la région de Saint-Nazaire qui crée, développe et commercialise depuis 1999 des systèmes tactiles pour points de vente et dont 80 % de l’assemblage des terminaux est réalisé avec un partenaire à Taïwan ; le statut de SE, qu’elle a adopté en 2011, l’a aidé à se développer et à nouer des partenariats en Asie.

Tous les secteurs d’activité sont concernés.

Les relations sociales étant au coeur de la vie des entreprises, comment les Sociétés Européennes arrivent elles à surmonter les différences culturelles de leurs salariés ?

Adopter le statut de SE est un moyen de doter l’entreprise d'un outil de dialogue social impliquant tous les collaborateurs européens. Le volet social attaché à la création de la SE – qui consiste à mettre en place, au profit des salariés européens du groupe, des droits d’information voire de consultation sur les affaires à caractère transnational (et dans certains cas de participation à l’organe d’administration ou de  surveillance de la SE) - s'est révélé un instrument efficace de la politique de relations sociales. Les différences culturelles présentes lors des négociations puis au sein de l’organe de représentation de ces salariés européens susceptible d’être mis en place y sont un atout qui, notamment, favorise la négociation et nivèle les revendications. Réaliser le volet social attaché à la création de la SE évite à l’entreprise de devoir mettre en place ultérieurement un comité d’entreprise européen lorsque le nombre de salariés s’accroît (3).

Quels seront les impacts de la sortie du Royaume-Uni (Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord) de l’UE sur les Sociétés Européennes implantées dans ce pays ?

Si le Brexit conduit à couper les entreprises du Royaume-Uni de l’application des textes européens, les SE qui y sont immatriculées devront probablement se transformer en Plc (équivalent de

notre société anonyme). Dans le cadre du Brexit, la SE peut être utilisée pour transférer le siège d’entreprises du Royaume-Uni en Europe ou pour implanter dans l’EEE la plateforme

européenne d’un groupe. Ceci vient d’être réalisé par la société de réassurance Portman Insurance SE qui a pris le statut de SE au Royaume-Uni puis a transféré son siège en France fin 2017.

Quel sera l’avenir de la Société Européenne ?

La SE est un outil trop souvent méconnu ; pourtant le nombre de SE ne cesse de croître en France et dans l’EEE. Je suis confiante dans l’avenir de la SE et oeuvre à la diffusion de la connaissance de ce statut notamment par des présentations au sein des entreprises (4).

(1) Elle est l’auteur de la seconde édition du livre "La pratique du droit européen des sociétés - Structures européennes et réorganisations transfrontalières", Editions Joly, Pratique des affaires, 2017, préfacé par M. Thierry Breton (PDG d’ATOS SE et ancien Ministre), en collaboration avec M. le professeur Didier Poracchia, M. Arnaud Lecourt et des avocats fiscalistes.

(2) La liste des SE immatriculées dans l’EEE est disponible sur le site http://ecdb.worker-participation.eu/news.php.

(3) Les règles, issues d’une directive européenne, concernant le comité d’entreprise européen s’appliquent aux entreprises de dimension communautaire qui emploient au moins 1.000 salariés dans l’EEE et qui comportent au moins un établissement employant 150 salariés et plus dans au moins deux de ces Etats. V. notamment Teyssié B. « Droit et pratique du comité d’entreprise européen », Droit & Professionnels, LexisNexis, 2012.

(4) Pour approfondir le sujet, v. "La pratique du droit européen des sociétés - Structures européennes et réorganisations transfrontalières", préc. ; Menjucq M. « Droit international et européen des sociétés », 5è édition, précis Domat, LGDJ 2018 ; Jurisclasseur Societé Européenne (Societas Europaea), Sociétés Formulaire, Fascicules C-5 et C-6 ; Site internet de la Commission européenne sur la SE :

http://ec.europa.eu/internal_market/company/societas-europaea/index_fr.htm