Si en France les réunions publiques sont libres, en revanche les manifestations sur la voie publique, sources récurrentes d'inquiétude pour les responsables de l'ordre public, font l'objet d'une réglementation.

Longtemps défini par la loi du 30 juin 1881, puis par le décret-loi du 23 octobre 1935, le régime juridique des réunions sur la voie publique trouve place, depuis l'ordonnance du 12 mars 2012, dans le code de la sécurité intérieure (CSI). Il impose que tout cortège, défilé et rassemblement de personnes fasse l'objet d'une déclaration préalable (art. L.211-1 CSI). L'autorité investie des pouvoirs de police peut interdire la manifestation si des troubles à l'ordre public sont à craindre. Enfin, tout un arsenal de dispositions pénales vient réprimer la méconnaissance de la réglementation comme les débordements auxquels de telles manifestations peuvent donner lieu (art. L.211-12 CSI).

Quant à la garde à vue (GAV) est une mesure par laquelle une personne est retenue pendant une durée légalement déterminée, dans les locaux des services de police.

Le placement en garde à vue est encadré très précisément par le code de procédure pénale (CPP), en son article 62-2 :

« La garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, par laquelle une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs.

Cette mesure doit constituer l'unique moyen de parvenir à l'un au moins des objectifs suivants :

1° Permettre l'exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;

2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l'enquête ;

3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;

4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;

5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d'autres personnes susceptibles d'être ses coauteurs ou complices ;

6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit ».

C’est en fonction de la définition ci-dessus rappelée que se trouve déterminé le moment du placement en garde à vue.

Les jurisprudences du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l'Homme et de la Cour de cassation et les évolutions législatives qui s'en sont suivies ont été abondantes s’agissant du respect des droits des personnes placées en garde à vue pendant le déroulement de cette mesure.

Les décisions sont cependant bien plus rares s’agissant des conditions mêmes du placement en garde à vue.

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La loi du 14 avril 2011, celle du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012, et celle du 3 juin 2016 ont cependant permis de nombreuses avancées s’agissant du respect des droits des personnes gardées à vue.

Plusieurs garanties permettent en principe, grâce à cette loi, d’encadrer les possibilités de placer une personne sous ce régime.

L'article 62-2 CPP dispose que seule peut être placée en garde à vue la personne suspecte, à l’encontre de laquelle il existe « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ». Le témoin ne peut plus qu'être retenu le temps nécessaire à son audition. Remplaçant la notion antérieurement utilisée de « nécessités de l'enquête », cet article énumère de surcroît les finalités que doit permettre d'atteindre la mesure

L’article 63-1 CPP prévoit quant à lui une information immédiate de la personne gardée à vue par l'officier de police judiciaire (OPJ) portant sur l’infraction qui lui est reprochée : doivent être notifiés désormais non plus seulement la nature et la date présumée des faits, mais également la qualification, la date et le lieu présumés de l’infraction.

Ce même article prévoit également son information sur les motifs justifiant son placement en GAV tels que mentionnés aux 1° à 6° de l’article 62-2 du code de procédure pénale.

La loi n'exige toutefois  que la simple information de la personne sur les motifs prévus par cet article. Il n’est pas exigé que l’enquêteur fasse état des éléments factuels du dossier qui justifient selon lui l’application de tel ou tel motif.

Le placement en garde à vue semble donc bien encadré : la personne ainsi retenue l'est car elle est soupçonnée d'avoir commis une infraction punie d'une peine d'emprisonnement. La garde à vue n'a pas pour objet en effet de prévenir la commission d'une infraction.

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Il n'en va toutefois pas de même partout en Europe. Certains pays, tels l'Allemagne, la Belgique le Danemark ou la Suisse, connaissent ce que la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) qualifie de «garde à vue préventive», qui permet de placer une personne en GAV pour prévenir la commission imminente d'une infraction.

Mais la CEDH veille à ce que cette pratique soit très encadrée. Dans un arrêt fort commenté (CEDH, 5e sect., 7 mars 2013, Ostendorf c. Allemagne, n° 15598/08), elle avait été saisie du cas d'un hooligan connu des autorités allemandes, qui avait été arrêté alors qu’il s’apprêtait à assister, avec une quarantaine de personnes, à une rencontre opposant son équipe favorite à celle de Francfort. Il avait été placé en garde à vue pendant quatre heures, au motif qu’il était le chef d’un groupe de hooligans prêts à avoir recours à la violence, puis avait été libéré une heure avant la fin du match de football

La CEDH a considéré qu’un placement préventif en garde à vue n’est pas compatible avec le droit à la sûreté mais admet une telle mesure en cas de méconnaissance d’une obligation imposée par la police. En l’espèce, la police avait imposé au requérant de ne pas quitter le groupe de supporters avec lesquels il était venu à Francfort afin de prévenir tout acte de violence entre groupes opposés de hooligans. Or, le requérant avait tenté de se soustraire à sa surveillance.

Sur le principe cependant, la CEDH rappelle que le droit à la sûreté prévu par l’article 5 de la Convention européenne protège la liberté physique de la personne contre toute privation de liberté injustifiée, y compris les plus brèves, et que cette privation de liberté doit avoir pour finalité la conduite devant l'autorité judiciaire compétente.

Une telle « garde à vue préventive » n'existe pas dans notre droit positif.

Il existe certes des mesures de restriction de la liberté d'aller et de venir, telles celles prévues par le code du sport, soit à titre de peine complémentaire, soit à titre de mesure administrative, qui ont pour but de prévenir la commission d'une infraction.

Ainsi, une personne qui s'est rendue coupable d'une infraction dans une enceinte sportive peut-elle se voir condamner, à titre de peine complémentaire, à une interdiction de pénétrer ou de se rendre aux abords d'une enceinte sportive. Le tribunal peut astreindre cette personne à répondre, au moment des manifestations sportives, aux convocations de toute autorité ou de toute personne qu'il désigne (art. L332-11 du code du sport), à peine de 2 ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.

De même, dans certains cas qu'il énumère, l'article L332-16 du même code autorise-t-il le préfet à imposer à une personne de répondre au moment d'une manifestation sportive, à la convocation de toute autorité ou de toute personne qu'il désigne, à peine d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende.

La personne peut ainsi être convoquée dans un commissariat ou une brigade de gendarmerie avant le match, avec l'obligation d'y demeurer jusqu'à la fin de celui-ci.

Elle n'est cependant pas placée sous le régime de la garde à vue stricto sensu.

 

Il n'existe en tout état de cause rien de similaire en matière de manifestation sur la voie publique, même si l'article L.211-13 du code de la sécurité intérieure prévoit que les personnes qui se sont rendues coupables de certaines infractions à l'occasion de manifestations sur la voie publique puissent se voir infliger, par la juridiction de jugement, la peine complémentaire d'interdiction de participer à l'avenir à de telles manifestations pendant un temps donné, à peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Mais la loi ne prévoit aucune possibilité, comme c'est le cas pour les manifestations sportives, de convoquer dans un commissariat une personne afin de l'empêcher de se rendre à une manifestation.

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Notre droit positif impose donc, pour justifier de la privation de liberté, que les conditions de l’article 62-2 du code de procédure pénale soient remplies.

Il peut arriver cependant qu’une personne soit placée en garde à vue alors qu’il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu'elle aurait commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement.

Tel a été apparemment le cas de « Mademoiselle », venue participer à une manifestation sur la voie publique, à sa connaissance régulièrement déclarée et non interdite, en parallèle à un meeting tenu par un candidat aux élections présidentielles.

Elle est arrivée seule sur le lieu prévu pour la manifestation, a fait connaissance avec quelques autres jeunes gens venus pour la même raison qu'elle, et partagé avec eux un morceau de fromage, avant même le début de la manifestation.

Elle a alors fait l'objet, ainsi que ceux avec lesquels elle se trouvait, d'un contrôle de police –  plus précisément d'un contrôle d’identité – et, alors qu’elle avait présenté sa pièce d’identité et n’était en possession que d’un sac à dos contenant les effets personnels destinés à son bref séjour en ville, et que ses compagnons n’avaient pas plus de velléité qu’elle d'en découdre avec qui que ce soit, les voilà tous embarqués et placés en garde à vue.

L’avocat appelé à l'assister en garde à vue est informé que « Mademoiselle » aurait semble-t-il commis l’infraction de participation à un groupement en vue de commettre des violences, infraction prévue et réprimée par l'article 222-14-2 du code pénal, qui prohibe le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de manière temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaire contre les personnes ou de destructions de biens.

Le placement en garde à vue a été en outre prolongé, au motif que les explications de l’un des contre-manifestants n'étaient pas suffisamment claires, puis « Mademoiselle » a été remise en liberté, sans autre forme de procès, et sans que rien ne lui soit finalement reproché, dès la prolongation de GAV notifiée.

A ses dires, les enquêteurs lui auraient, tout au long de sa garde à vue, qui était pour elle une première, répété qu’elle n’avait rien à faire là et qu’elle allait ressortir tout de suite, puisqu’il n’y avait rien à lui reprocher.

L’avocat appelé à l'assister en garde à vue n'a pas pu vérifier quelles raisons plausibles avaient été avancées pour justifier la mesure, ni en quoi elle était l'unique moyen d'atteindre l'un des buts énumérés à l'article 62-2 CPP, puisqu'à ce stade de la procédure, le procès-verbal mentionnant les motifs justifiant le placement en garde à vue n'est pas joint au dossier, et qu'en tout état de cause, non seulement il ne fait pas état de ces raisons plausibles, mais encore il n'est pas au nombre des documents auxquels l'avocat peut avoir accès. (art.63-4-1 CPP).

L’avocat doit en outre faire la part des choses entre les éléments succincts qu'il a pu consulter et les déclarations de la personne gardée à vue, qui a souvent une analyse très personnelle de sa situation.

Mais, avec toute la prudence requise, on peut néanmoins légitimement s’interroger sur ce cas, heureusement isolé, de ce qui semble fort s'apparenter à un placement en garde à vue de façon quelque peu préventive.

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Des contrôles existent cependant, de nature à prévenir de telles situations.

La décision de placement en GAV relève de la seule décision et de la seule responsabilité de l'OPJ, sauf s'il agit sur instruction du procureur de la République. Mais cette mesure est placée sous le contrôle de ce magistrat, qui apprécie au vu du compte-rendu le plus souvent téléphonique qui lui en est fait, si la mesure est justifiée, si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l'enquête et proportionnés à la gravité des faits que la personne est soupçonnée d'avoir commis ou tenté de commettre, et qui assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue (art.62-3 CPP).

L'OPJ doit en conséquence, aux termes de l'article 63 CPP, informer le procureur de la République du placement en GAV d'une personne, et ce dès le début de la mesure, et lui spécifier les motifs la justifiant, en application de l'article 62-2 CPP. Il doit également aviser ce magistrat de la qualification des faits qu'il a notifiée.

Le procureur de la République peut lui ordonner de lui présenter immédiatement la personne, ou de lever la garde à vue si les éléments portés à sa connaissance ne lui paraissent pas justifier la mesure.

C'est encore ce magistrat, et lui seul, qui, comme en l'espèce, au terme du délai de 24 heures, peut prolonger la GAV, le cas échéant après s'être fait présenter la personne.

Enfin, à l'issue de l'enquête, l'article 64 CPP impose à l'OPJ d'établir un procès-verbal mentionnant les motifs ayant justifié le placement en GAV, conformément aux 1° à 6° de l'article 62-2 CPP.

Il y aura donc une trace écrite en procédure de ces motifs, ce qui permettra un second contrôle de la garde à vue, cette fois a  posteriori, effectué par un juge, s'il est saisi de la procédure, qui vérifiera que la mesure remplit les exigences de l’article 62-2 CPP, et à défaut en tirera les conséquences en annulant la mesure et les actes subséquents qui lui sont directement liés.

La Cour de cassation a ainsi d’ores et déjà eu à se prononcer à diverses reprises sur la question, et encore récemment, sur le contrôle de la nécessité de la garde à vue effectuée dans le cadre d’une enquête déjà en cours (Cass. crim. 18 novembre 2014, n°14-81332).

Elle retient que la juridiction de contrôle a la faculté, dans l’exercice de ce contrôle, de relever un autre critère que celui ou ceux mentionnés par l’officier de police judiciaire pour justifier la mesure de placement en garde à vue (Cass. crim. 28 mars 2017, n° 16-85018).

La Cour adopte ainsi une vision la plus réaliste possible de la procédure, à la recherche d’un équilibre entre les droits de la défense et les nécessités du fonctionnement du service public de la justice.

Ce contrôle a posteriori de la GAV ne s’exerce cependant, en pratique, que lorsque celle-ci a été effectivement suivie de la mise en mouvement de l'action publique : il n’existe pas lorsqu’elle se solde par une simple remise en liberté et le classement du dossier pour absence d'infraction ou pour un motif d'opportunité.

De quel recours peut donc alors disposer une personne qui aurait été abusivement placée en garde à vue, lorsque la procédure n'a pas de suite ?

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Il est certes toujours possible d'envisager un dépôt de plainte pour séquestration arbitraire, ce que la Chambre criminelle a admis par un arrêt du 22 juillet 1959 (Bull. Crim. N°366), ayant toutefois connu peu de postérité.

Il serait sans doute plus expédient de prévoir que l'OPJ précise à la personne gardée à vue, au moment de la notification de ses droits, quelle est ou quelles sont la ou les raisons plausibles dont il dispose de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre l'infraction qu'il vient de lui faire connaître.

Cette précision devrait également figurer dans le procès-verbal qu'il dresse aux termes de l'article 64 CPP, où il mentionne déjà les motifs justifiant le placement en GAV, conformément aux 1°à 6° de l'article 62-2 CPP.

Ce procès-verbal devrait en outre figurer en procédure au moment où l'avocat vient assister le gardé à vue, et lui être communicable.

Si dans l'immense majorité des cas - et heureusement - le placement en garde à vue est justifié au regard des textes, il est important de garantir qu’il le soit dans tous les cas, en permettant à la personne placée en garde à vue, et à son avocat, de faire, dès ce stade de la procédure, toute observation et toute réserve sur sa régularité.

Autre voie possible, un parallèle intéressant peut être fait avec le recours, particulièrement encadré celui-ci, contre les décisions de placement en détention provisoire au cours d'une procédure terminée par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive. Une action en réparation de la détention subie est alors ouverte à la personne placée à tort en détention provisoire.

Dans le cas de la garde à vue, si l’on peut évidemment comprendre qu’il ne soit pas possible d'obtenir une indemnisation après une garde à vue même si aucune charge n'a finalement été retenue, dès lors que les conditions de l’article 62 du Code de procédure pénale étaient initialement remplies, en revanche ne peut-on pas la concevoir lorsque ces conditions faisaient manifestement défaut ?

La CEDH n'a-t-elle pas d’ailleurs ouvert la voie, dans une procédure pourtant infiniment plus grave, en accordant une indemnisation aux pirates interpelés pour les détournements des navires français Le Ponant et Le Carré d’As, en avril et septembre 2008, estimant leur placement en garde à vue injustifié après les jours passés en mer aux mains de l’armée française (CEDH, 4 déc. 2014, Ali Samatar et autres c. France, req. nos 17110/10 et 17301/10 ; CEDH, 4 déc. 2014, Hassan et autres c. France, req. nos 46695/10 et 54588/10) ?

Une sanction, sans doute plus symbolique qu'autre chose, compte tenu du montant des indemnisations versées pour des détentions, auxquelles on ne saurait comparer le placement en garde à vue, serait ainsi apportée à une forme d'abus de pouvoir ayant néanmoins abouti à une mesure de contrainte exécutée dans des conditions quelquefois difficiles à admettre, surtout lorsqu'en son for intérieur, le gardé à vue sait qu'il n'a rien à se reprocher.

Une telle possibilité éviterait de voir se développer un véritable sentiment d’injustice, comme dans le cas de «Mademoiselle», et de ressentiment à l'égard des institutions censées protéger l’honnête citoyen.