Il est acquis depuis des années que l’utilisation de systèmes de vidéo-surveillance, au sein de l’entreprise, est possible, sous réserve de l’information des salariés et des instances représentatives du personnel, entre autres.

A l’origine, cette vidéo-surveillance avait pour objet d’assurer la sécurité des biens et des personnes au sein de l’entreprise.

L’employeur n’étant jamais à court d’idées pour sanctionner ses salariés, s’est développé le recours au visionnage de la vidéo-surveillance pour prouver les griefs faits dans le cadre d’une procédure de licenciement.

Depuis une décision du 2 février 2011, dans laquelle la Cour de Cassation a ainsi accepté que l’employeur s’éloigne de la première finalité de la vidéo-surveillance et y ait recours pour prouver la faute du salarié, il est devenu courant de trouver, dans le cadre d’une procédure prud’homale, des images extraites de vidéo-surveillance.

En théorie, cette utilisation est encadrée par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (notamment ses articles 116 à 120) qui conditionne l’utilisation de ces vidéo-surveillance à l’information du salarié de :

  • l'identité du responsable du traitement et, le cas échéant, de celle de son représentant ;
  • la finalité poursuivie par le traitement auquel les données sont destinées ;
  • la durée de conservation des catégories de données traitées ou, en cas d'impossibilité, des critères utilisés permettant de déterminer cette durée.
  • la communication, sous une forme accessible, des données à caractère personnel qui la concernent ainsi que de toute information disponible quant à l'origine de celles-ci ; »

En pratique, l’utilisation de ce mode de preuve est source de profondes inégalités entre l’employeur et le salarié.

En effet, ces obligations légales, assorties d’aucune sanction, ne contraignent pas véritablement l’employeur à extraire, conserver et transmettre les images de vidéo-surveillance au stade de la procédure disciplinaire, pendant lequel la jurisprudence peine à caractériser une violation des droits de la défense (I). Cette absence d’extraction et de transmission, en pratique systématique au stade juridictionnel quand elles sont de nature à exonérer le salarié, doit alors devenir un véritable moyen de nullité du licenciement (II).

 

1.    La non-transmission de la vidéo-surveillance au salarié dans le cadre de la procédure disciplinaire :

En pratique, et c’est là que le bât blesse, l’employeur est seul maître sur le visionnage, l'extraction et la conservation des images de vidéo-surveillance.

Bien que la CNIL recommande, en cas d’enclenchement d’éventuelles procédures disciplinaires ou pénales, « les images sont alors extraites du dispositif (après consignation de cette opération dans un cahier spécifique) et conservées pour la durée de la procédure. », même le salarié qui penserait à en faire la demande, à l’oral ou à l’écrit, se trouverait bien démuni pour contraindre son employeur à conserver ces images et les lui transmettre.

A cette fin, si on pourrait imaginer, en théorie, que le salarié ait recours à une demande de mesures conservatoires par le biais d’une procédure en référé, sur le fondement des articles 834 et suivants du Code de procédure civile, le recours à cette procédure se heurte, en pratique, à, au moins, deux difficultés :

  • une difficulté technique liée à l’articulation entre les deux délais suivants :
    • le délai de conservation des images inférieur à 30 jours (délai impératif, en ce qui concerne les systèmes de vidéo-surveillance sur la voie publique ou dans des établissements accueillant du public et délai recommandé en ce qui concerne ceux dans les établissements privés – toujours respecté, en pratique) ;
    • le délai pour engager une procédure disciplinaire est de 2 mois après les faits reprochés.

Dans le cas où la vidéo serait de nature à défendre les intérêts du salarié, le non-alignement de ces deux délais permet à l’employeur d’attendre l’échéance du premier pour engager la procédure disciplinaire dans le respect du second, sans même qu’il soit possible au salarié de solliciter l’extraction des images, qui auront déjà été effacées.

  • une difficulté systémique liée au fait que les informations sur la durée de la conservation des images de vidéo-surveillance et la possibilité d'extraction sont, en tout état de cause, rarement communiquées aux salariés ou dans des conditions ne leur permettant pas d’en comprendre la portée et l’utilité. Elles ne sont jamais rappelées au salarié au moment de l’enclenchement de la procédure disciplinaire. Le salarié non-assisté d’un professionnel n’aura, naturellement, pas le réflexe de lancer une telle procédure.

Face à cette inégalité des armes déjà latente au stade de la procédure disciplinaire, l’employeur tentera toujours de se retrancher derrière l’interprétation restrictive traditionnelle de la Cour de Cassation, selon laquelle l’absence de transmission des éléments de preuve retenus contre le salarié constituerait une irrégularité de forme, sanctionnée par le versement d’un mois de salaire au demandeur ou, au mieux, rendrait le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

C’est largement critiquable, d’une part, car cela empêche à ce stade toute défense utile du salarié et, d’autre part, car vu les délais susmentionnés, la non-extraction des images au stade de la procédure de licenciement aura pour effet automatique l’effacement des images et, donc, l’impossibilité de les produire et d’en débattre au stade juridictionnel.

Or, la Cour de Cassation considère qu’est une irrégularité de forme l’absence de transmission d’éléments au stade de la procédure disciplinaire dès lors qu’ils pourront être transmis et débattus lors de la procédure judiciaire :

« que la décision que l'employeur peut être amené à prendre ultérieurement ou les éléments dont il dispose pour la fonder ont vocation, le cas échéant, à être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement ; que dès lors le respect des droits de la défense n'impose pas que le salarié ait accès au dossier avant l'entretien préalable ; qu'enfin, le principe du droit à un procès équitable ne s'applique pas au stade non juridictionnel de l'entretien préalable ; »

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 27 février 2013, 12-23.213, Publié au bulletin

 

2.   La nullité du licenciement fondé sur des images de vidéo-surveillance non versées aux débats :

La Cour de Cassation a également eu l’occasion de juger que l’égalité des armes prévue à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme était un principe fondamental dont la violation entraînait la nullité de l’acte pris en violation de ce principe.

Cour de cassation, Chambre sociale, 9 octobre 2013, n°12-17.882, Publié au bulletin

En pratique, lorsqu’une procédure en contestation du licenciement sera initiée par le salarié licencié pour faits prétendument constatés sur la vidéo-surveillance, de deux choses l’une :

  • soit les faits ont effectivement été constatés sur la vidéo-surveillance et elle aura été extraite et conservée par l’employeur et sera probablement versée aux débats devant le Conseil de Prud’hommes ;
  • soit la vidéo-surveillance était loin d’être claire, voire aurait permis d’exonérer le salarié des griefs faits à son égard, et aucune extraction et conservation n’aura été faite, ou une extraction et conservation seulement partielles (captures d’écran incomplètes, par exemple).

Dans ce deuxième cas, au cours de la procédure prud’homale, même avec une sommation de communiquer la vidéo surveillance intégrale des faits formulée par le salarié, l’employeur pourra se retrancher derrière l’argument magique évoqué ci-dessus : l'effacement des images dans un délai d'un mois.

Le principe de l’égalité des armes recommande de maintenir un juste équilibre entre les parties, non respecté en l’espèce, entre :

  • les armes de l’employeur (le contrôle de la conservation de la vidéo-surveillance) ;
  • les armes du salarié (l’absence de moyen de contraindre l'extraction, la conservation et la transmission de la vidéo-surveillance).

Le salarié est donc mis dans l’impossibilité de se défendre.

Sur ce seul fondement, la nullité du licenciement est encourue.

En outre, la notion d’égalité des armes est étroitement liée à celle du principe du contradictoire, les deux étant inhérentes à la troisième notion de procès équitable (CEDH Regner c. République Tchèque).

Dans les cas où l’employeur a prétendument fondé la décision de licencier sur le visionnage d’images de vidéo-surveillance et le mentionne au courrier de notification du licenciement et/ou produit une version partielle de ces images devant le juge, il nous semble possible d’argumenter que le contradictoire n’a pas été respecté, dès lors que le salarié n’aurait pas eu accès à cette vidéo-surveillance.

Il nous paraît, dès lors, nécessaire de solliciter la nullité d’un licenciement intervenu sur le fondement d’images de vidéo-surveillance consultées par une seule des parties au litige et non intégralement produites aux débats devant les juridictions prud’homale et d’appel.

En tout état de cause, et vus les éléments ci-dessus exposés, il nous paraît également nécessaire, afin de mieux équilibrer et garantir les droits des parties, de repenser l’encadrement de l’utilisation de ces images de vidéo-surveillance, pour l’instant entièrement dévolu à l’employeur, peut-être en faisant jouer un rôle au Comité social et économique.

 

Quelques recommandations à l’attention des salariés :

Si l’établissement dans lequel vous travaillez est sous vidéo-surveillance et que votre employeur vous reproche des faits que vous contestez, voici quelques recommandations :

  • Demandez par écrit (idéalement, par courrier recommandé), sous quel délai la demande d’extraction doit être faite ;
  • Demandez par écrit (idéalement, par courrier recommandé), le plus tôt possible, que l’intégralité des images soient extraites et conservées ;
  • Demandez par écrit (idéalement, par courrier recommandé), le plus tôt possible, que l’intégralité des images vous soient communiquées ;
  • Faites-vous accompagner à l’entretien préalable et assurez-vous que votre demande d’extraction soit actée au compte-rendu ;
  • Après réception de votre courrier de notification du licenciement, écrivez, dans un délai maximal de 15 jours, à votre employeur que vous contestez les faits reprochés et que vous sollicitez communication de l’intégralité des images de vidéo-surveillance ;
  • Conservez une copie de l’ensemble de ces demandes écrites.

 

Si vous souhaitez plus d’information, prenez attache avec mon cabinet qui saura vous assister dans tout litige vous opposant à votre employeur.