Dans le cadre d’une procédure de divorce dit contentieux, un époux peut obtenir de son conjoint réparation de son préjudice d’abstinence contrainte ! Ni trop, ni trop peu. La jurisprudence vient périodiquement rappeler, dans des rédactions savoureuses, les frontières du devoir conjugal.

Dans un arrêt du 3 mai 2011, la Cour d’appel d’Aix confirme le jugement d’un Juge aux affaires familiales qui avait accordé à l’épouse des dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1382 du Code civil d’un montant de 10 000 euros, en reprochant au mari une absence de relations sexuelles pendant plusieurs années, après 23 ans de mariage…

On ne peut reprocher à la motivation du juge d’être inexistante. L’arrêt précise en effet « que la quasi absence de relations sexuelles pendant plusieurs années, certes avec des reprises ponctuelles, a contribué à la dégradation des rapports entre époux. Il s’avère, en effet, que les attentes de l’épouse étaient légitimes dans la mesure où les rapports sexuels entre époux sont notamment l’expression de l’affection qu’ils se portent mutuellement, tandis qu’ils s’inscrivent dans la continuité des devoirs découlant du mariage ».

Le mari a bien tenté de se justifier en invoquant des « problèmes de santé et une fatigue chronique générée par ses horaires de travail », mais en vain, il n’en justifiait pas au point d’être jugé comme étant « dans l’incapacité totale d’avoir des relations intimes avec son épouse ». Bref, la fatigue, la routine, la migraine, ça ne suffit plus !

Cette décision judiciaire ne fait pas l’unanimité.

Emmanuèle Pierroux, Avocate au barreau de Paris Docteur en droit, en a écrit, dans la Gazette du Palais du 24 novembre 2011, P. 9, une critique très fournie, dont voici quelques bons mots :

« Bien sûr, nous eûmes des orages. Vingt ans d’amour, c’est l’amour fol. Mille fois, tu pris ton bagage. Mille fois, je pris mon envol ». Si l’arrêt commenté avait existé, les vieux amants de Brel auraient-ils saisi un juge et sollicité, l’un l’autre, l’indemnisation de leurs périodes d’abstinence sexuelle conjugale ? On aimerait sourire, sinon rire, mais il faut en convenir, selon la cour d’appel d’Aix-en-Provence, il incombe au juge de déterminer le préjudice réparable, consécutif à cette abstinence, faute par omission (…)

Quant à la sanction de l’abstinence sexuelle entre époux, jugée fautive, elle demeure, elle aussi, entourée d’un halo de mystère.

Elle ne saurait, bien entendu, prendre la forme d’une réparation en nature !  Comment un juge pourrait-il sérieusement ordonner l’exécution forcée du devoir conjugal ?

 

[écrit le 23 décembre 2011]