Un conseil si vous êtes défendeur : soulevez n'importe quoi en incident de procédure, vous n'aurez rien à perdre, le Juge de la mise en état français est vraiment bon prince (pour rester poli).
Oui, parce qu'il ne s'étonne même pas que le défendeur puisse faire ainsi perdre un an à son adversaire, sans aucune sanction au bout (même pas d'article 700). Il ne se demande manifestement pas si ses jugements en matière familiale finissent par être vides de sens quand les enfants ont le temps de grandir et d'être parents, ou les parents de mourir, avant que la décision ne soit rendue.
Bon, j'exagère un peu, mais cette espèce m'a beaucoup énervé.
Deux époux sont divorcés, mais ne s'entendent pas sur le sort du bien immobilier commun, dans lequel est restée Madame.
A vrai dire, elle ne s'entendra jamais avec aucune proposition, elle veut juste rester le plus longtemps possible dedans, et elle a choisi le bon pays pour ça (on aura compris que mon client, c'est Monsieur).
Déjà, on le sait, en divorce contentieux, le juge français s'épargne le travail de la liquidation-partage. Admettons que cela présente l'avantage d'obtenir le jugement de divorce plus vite, qui constitue une certaine libération. Mais quand ensuite, on doit s'infliger une liquidation-partage contentieuse, c'est un chemin de croix supplémentaire.
En plus, je passe sur le fait que Madame est sous régime de protection, qu'il faut donc assigner aussi le curateur, qui lui même va mettre longtemps à se constituer (non pas, pour le coup, enfin je pense, par intention dilatoire comme sa protégée, mais juste parce qu'il est comme d'habitude dépassé par sa tâche), et que bien sûr le juge va attendre longtemps, en lui laissant une, deux, trois, quatre chances de se constituer, car c'est bien connu, c'est tellement important d'avoir à la procédure le point de vue de ces gens investis d'une mission d'intérêt général, qui seuls donnent un avis censé, contrairement aux parties privées...
Je passe aussi sur le fait que si on va jusqu'à la licitation, le bien sera vendue une misère, encore plus que d'habitude, car l'acheteur sait très bien que dans notre beau pays, il ne parviendra pas à faire expulser Madame avant 2050.
Dans l'immédiat, j'essaie donc déjà d'obtenir un jugement de licitation. J'ai assigné le 26/12/12, l'ordonnance commentée le mentionne. Ce qu'elle ne mentionne pas, c'est le moment où l'adversaire a soulevé l'incident de procédure, parce que ça permettrait de calculer le temps qu'à mis cette blague à prendre fin, mais moi je peux le dire, c'était le 23/01/14; cela a donc mis à peu près 10 mois pour que l'ordonnance soit rendue, et ce n'est pas tout : celle-ci renvoyant à une mise en état 26/02/15, en réalité, au total, ça fait 13 mois de perdus !
En fait, si j'oublie ma colère quelques instants, je devrais déjà être bien content d'avoir obtenu cette décision.
Cela ne se retrouve pas dans les motifs de l'ordonnance, mais le titre de mon assignation avait le malheur d'indiquer "devant le TGI de Bobigny". Alors qu'il fallait écrire "devant le JAF". Et l'adversaire avait produit une ordonnance du TGI Paris qui avait sanctionné un cas de figure comparable sous les latitudes intra muros.
Mais malgré mon titre, l'affaire avait été distribuée à la bonne chambre, le JAF liquidatif. J'ai produit... "l'ordonnance de roulement" du TGI de Bobigny pour le prouver, je ne savais pas qu'elle me servirait un jour comme pièce à conviction (d'habitude, je la jette sans la regarder, je m'en vitupère désormais, bien entendu) ! J'ai sorti un sombre article L 213-3 du COJ, que l'ordonnance a repris. Et enfin, accessoirement, fait valoir que le dispositif de mon assignation mentionnait le JAF, le titre apparaissant alors comme une pure erreur matérielle.
Mais ma demande au titre de l'article 700 pour voir sanctionner cette petite tentative adverse pointilliste sinon pernicieuse, comme d'habitude, elle est rejetée. C'est à où je ne suis pas d'accord. Mon adversaire a joué (à l'idiot), il a perdu (enfin pas tout, puisqu'il a gagné 10 mois de répit), mon client m'a payé pour se défendre contre ça, et le juge, encore une fois, ne veut pas entendre parler d'article 700 "en matière familiale". Pourtant, elle ne saurait être une immunité absolue contre tous les délires procéduraux.
Postérité de cet article :
A noter que dans une autre affaire, je me suis "vengé" (contré un adversaire qui ne m'avait rien demandé), en soulevant à mon tour, et en plus avec succès au bout, cet argument franchement dilatoire (cf actu du 05/06/18). Qu'il est bon de jouer au débile devant les tribunaux français !
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