Quand déposer une simple requête en augmentation de pension alimentaire devant le Juge aux affaires familiales d'Evry devient plus compliqué qu'un divorce entier.
Et d'un seul coup, je perds mon calme devant ce Juge, et "j'ose" lui parler d'un "déni de justice" (dans ma tête, je pensais à pire, carrément à forfaiture).
Direct, il ferme le dossier, et dit : si c'est comme ça, je déclare votre requête irrecevable. Circulez, il n'y a plus rien à voir, il ne l'ouvrira jamais, mon dossier.
De toute façon, je suis sûr que c'était cramé, il allait radier.
Même si on ne saura jamais vraiment. C'est d'ailleurs ce qui lui donne une arme supplémentaire contre moi : laisser planer le mystère devant ma cliente, afin que je passe pour le responsable ultime de ce cinéma, et qu'elle retourne contre moi la rage qui la prend, elle qui attend ce jugement depuis si longtemps, et qui contemple sur le siège d'à côté son ex époux ravi d'échapper à une augmentation de pension substantielle, et son avocat, quasiment hilare, qui pousse la comédie jusqu'à dire : vous avez raison, Monsieur le juge, c'est important la médiation.
A vrai dire, et bien sûr, sans jamais n'avoir passé la moindre minute à lire une seule de la centaine de pages du dossier, mais seulement les deux pages de "tentatives" de médiation avortées (c'est sûr que c'est plus court), le juge avait déjà son idée sur ma cliente, persuadé qu'elle ne jouait pas le "jeu" de la médiation; il avait déjà renvoyé deux fois pour ça.
Oui, le tribunal d'Evry s'est converti à ce "jeu" : si vous ne vous rendez pas chez un médiateur (ET jouez le jeu devant lui, voir ci-après) avant de voir le Juge aux affaires familiales pour modifier la résidence de l'enfant ou la pension, il ne prend pas votre affaire. On le sait : ce contentieux est numériquement important. Il existe pourtant d'autres moyens, pour le traiter, que de tenter de l'évacuer ; par exemple en recrutant davantage de juges (idée incroyable). Or, Evry est un tribunal "pilote" (avec 10 autres en France) dans cette "expérience"... j'ai envie de dire de "destockage" facile, si elle est pratiquée comme dans mon affaire.
Bien sûr, l'article 7 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, dans sa sagesse, a prévu des exceptions à cette obligation de médiation préalable, avec une grande marge d'appréciation pour le juge, puisque, hormis l'hypothèse (indiscutable) de violences, explicitement prévue par le 3° de cet article, un "motif légitime", prévu par le 2°, peut épargner aux parties ces diligences amiables préalables, et c'est une notion on ne peut plus vague.
Il est vrai que parmi ces motifs "légitimes", on ne pense pas spontanément à un conflit purement financier, fût-il profondément enkysté, comme l'était mon affaire.
Sauf que. S'il vous plaît. Attendez un instant.
Depuis ma requête, entre les renvois habilement obtenus par l'adversaire (sans aucun souci, il est défendeur... position traditionnellement confortable, etc), et ceux "accordés" du bout des lèvres, cette fois à ma cliente, pour qu'elle se livre "enfin" à une vraie tentative de médiation (voir ci-après), cela faisait un an et demi que j'attendais un jugement. Cela commençait quand même à faire beaucoup. A "exploser le stats", comme on dit.
Et que, surtout, ces 18 mois suivaient une période d'environ 12 autres passés à s'échanger des dizaines de courriers avec l'avocat adverse pour tenter réellement une issue amiable à ce conflit (dont des courriers officiels, que je produisais donc devant le juge, MAIS... il faut ouvrir le dossier pour les lire, eeeh oui, c'est lourd la couverture d'un dossier de cette taille là).
Voilà ce que je plaidais : l'exception d'une affaire mille fois travaillée auparavant, infiniment plus que ce que ces pauvres médiateurs peuvent bien tenter dans le cadre d'une seule réunion imposée par ce formalisme absurde, qui ressemble un peu à l'obligation de soins psychologiques en pénal. Pour moi, c'était un motif "légitime" pour ne pas renvoyer ce dossier une nouvelle fois dans une médiation qui ne pourrait rien apporter de plus, sauf à vider de sens l'esprit de cette loi.
Mais esprit es-tu là ? Non, il n'y en plus beaucoup, je crois. Rien à faire, le juge estime que malgré les dizaines d'heures de travail passées par les avocat à s'arracher les cheveux sur les chiffres (car en plus le dossier était compliqué, et je vous en épargne l'exposé), et facturées à leurs clients, ça ne remplacera pas une heure passée devant un inconnu qui ne connaît rien à cette affaire, et aurait besoin de deux jours entiers pour la comprendre. N'importe quoi.
Et attendez ! Le mieux, c'est que ma cliente y est allée, devant ce médiateur, qui ne sert à rien. Deux fois ! Mais le problème, c'est qu'elle y est allée seule.
C'est là que les interprétations divergent. Ma cliente soutient que le médiateur lui a donné le choix entre le voir toute seule ou en compagnie de son ex époux (sans blague, elle a préféré la première hypothèse?!) sans lui expliquer les conséquences d'un tel choix devant le juge, tandis que ce dernier estime qu'elle a choisi en connaissance de cause de s'épargner l'effort d'une tentative sincère.
Donc non seulement, vous devez aller en médiation, mais en plus, y aller à deux, ou en tout cas accepter cette augure à l'avance (et dans ce cas, en effet, si c'est l'autre qui ne vient pas, on ne peut plus rien vous reprocher), sur un dossier avec des chiffres très compliqués, que tout les monde (les époux, les avocats) connaît déjà par coeur, sauf le médiateur. Mais qu'est-ce qu'il va pouvoir apporter, bon sang ?!
Je n'ai rien contre la médiation en elle-même. Cela fait des années que je pratique les accords avec des confrères, et j'encourage leur développement. De là à dire que le juge doit disparaître en toute occasion... Désolé, mais il y a des fois où on n'arrive pas à se mettre d'accord. C'est pour ça qu'il existe depuis toujours.
Bien sûr, une fois revenu à mon cabinet, totalement dépité, je ne vais pas moins m'atteler immédiatement à la rédaction d'une nouvelle requête devant ce tribunal, que les règles de compétence territoriale m'imposent de solliciter de nouveau... Je ne vais quand même pas dire à ma cliente de déménager (sa résidence est le critère de compétence à raison des enfants domiciliés chez elle, en application du célèbre article 1070 CPC)...
Mais nous voici repartis pour des mois d'attente avant une nouvelle audience... Qui sera précédée d'une nouvelle tentative obligatoire devant le médiateur... Et pendant ce temps là, le père, qui paye une pension issue d'un temps où il gagnait beaucoup moins, et s'occupait bien plus des enfants, se félicite de cette lubie de la médiation pour tous.
Echelle de ludique (1) à technique (5) : 2
Postérité de cet article (10/01/2020) :
A noter que l'expérience, prévue pour s'achever le 31 décembre 2019 dans les 11 tribunaux "pilotes" avant de peut-être se généraliser, a été prolongée d'un an, jusqu'au 31 décembre 2020 (il est vrai que sa mise en route avait été retardée par le temps nécessaire à la conclusion des protocoles juridiction-barreau-médiateurs). Faut-il avant tout se réjouir de ce que l'expérience continue, ou bien qu'elle reste encore cantonnée à ces seuls tribunaux ?
La prorogation a été réalisée par l'article 242 de la loi de finances pour 2020 - tout un symbole; serait-il donc avant tout question d'argent ? Bien sûr, la commission des lois avait rendu un avis élogieux sur le fond, mais chacun se fera son avis sur son indépendance vis à vis des impératifs de gestion. Selon elle, en effet, les tribunaux concernés ont constaté une diminution des saisies contentieuses; s'est-elle demandée si c'est parce que les gens s'aiment mieux comme par miracle, ou parce que ce parcours du combattant les a écoeurés ? J'aime bien cette phrase : la présidente du TGI de Pontoise a indiqué que dans son ressort, "35 % des personnes qui vont en médiation ne se présentent plus devant le juge, sans que l'on en connaisse la raison". Les magistrats (si c'est juste les chefs de juridiction, évidemment, on comprend le point de vue gestionnaire) "et les médiateurs familiaux" (mais que leur demande-t-on leur avis sur ce point puisqu'ils ne sont pas présents à l'audience ?) iraient jusqu'à être d'avis "qu'au moment de l'audience, les relations entre les parties... sont apaisées", ça c'est le mot magique. La Fédération nationale de la médiation et des espaces familiaux estime même que cette expérience "permet de diffuser la culture de la médiation auprès de nouveaux publics" - on veut bien croire que cela l'intéresse.
Plus sérieusement, l'avis note la nécessité "d'harmoniser la procédure d'irrecevabilité des requêtes, qui fait l'objet de traitements différents selon les tribunaux". Il note à titre d'exemple que le TGI de Pontoise s'est borné à "une approche purement "administrative" de la recevabilité", se contentant de ne barrer la route qu'aux requêtes accompagnées d'aucune attestation de médiation - ainsi, dans mon affaire, j'aurais pu avoir mon jugement; tandis que celui d'Evry, laissant manifestement au juge une marge d'appréciation supplémentaire sur la qualité de l'attestation, a "connu un taux d'irrecevabilité de 20 %". "En matière de médiation à distance", note l'avis, "certains TGI l'acceptent, d'autres pas".
Je suis polémique, mais pas idiot non plus. Je sais bien que je ne peux pas prétendre à un point de vue général, à partir d'une seule affaire, la mienne, et encore une fois, je n'ai évidemment rien contre la médiation en soi. Je pense juste que face à ces constats un peu trop unanimes, il est bon de faire entendre parfois une voix dissonante qui vient du terrain.
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