Quand le juge homologateur rappelle qu’il n’est pas une caisse enregistreuse.

 

On le sait, la CRPC comporte deux phases, qui rythment la demi-journée consacrée à cette procédure (ou journée, selon le tribunal concerné).

Par exemple, à Bobigny, en première partie de matinée, c’est le moment de l’entretien avec le Procureur. Les justiciables, accompagnés de leur avocat, défilent les uns après les autres dans la petite salle.

Ensuite, en fin de matinée, tout le monde se réunira dans la salle d’audience pour la phase d’homologation. Ou pas.

Retournons à la première phase.

Mon client et moi nous y sommes montrés particulièrement efficaces.

Il faut dire que nous avons eu un temps inhabituel pour nous exprimer (5 à 10 mn), dans cette procédure où, d’habitude, en 2 mn, le Procureur fait une brève morale, propose sa peine, entend un bref gémissement de l’avocat, parfois amende à la marge sa proposition, le plus souvent répond plutôt que c’est à prendre ou à laisser, en suite de quoi, après un regard échangé avec son client, l’avocat dit oui ou non.

Là, non, nous avons pu livrer de véritables explications. Il est vrai aussi que le dossier s’y prêtait. On n’était pas dans le vol de portable à l’arrachée ou l’infraction routière qui tient en 20 pages, mais dans une infraction « économique » d’une centaine de pages parfois techniques, ici importation de compléments alimentaires considérés comme médicaments sans avoir obtenu l’autorisation nécessaire. Un type de dossier qu’on retrouve plutôt en procédure « classique », afin d’avoir tout le temps d’en parler. Le Procureur présent à l’audience – et qui n’était manifestement pas celui qui avait décidé d’orienter quelques semaines auparavant ce dossier vers la CRPC – l’a bien compris, a trouvé le choix de son collègue précédent curieux, et a donc pris autant de temps que possible dans ce type d’audience qui n’en laisse pourtant pas beaucoup vu le nombre d’affaires à traiter.

Et il n’a pas seulement pris le temps, il a réellement traduit les circonstances particulières de ce dossier par une proposition fort clémente.

Mon client et moi sortons ravis de la petite salle. En attendant que la seconde commence, le temps que les autres dossiers après nous passent à leur tour devant le Procureur, nous allons nous désaltérer devant la machine à café, détendus. Trop détendus.

La seconde phase commence, la juge appelle notre dossier. Même tentative d’explications : « Alors voilà, Madame la Présidente, il s’agit d’un dossier un peu particulier »… Mais la juge coupe court à mon propos. Elle me dit avoir « sa jurisprudence » (et pas du tout la même que celle proposée par le Procureur) dans ce type d’infractions, qu’elle connaît « bien », m’assure-t-elle, me faisant donc comprendre qu’il va être inutile de se répandre en plaidoirie pour tenter de l’initier. Il aurait pourtant été intéressant, non pas de l’ « initier » à cette matière, mais au moins de lui expliquer les fameuses circonstances particulières de mon affaire. Peine perdue. Je tenterai bien à de lui signaler qu’elle fait preuve de moins de souplesse que le Procureur, ce qui est un comble, mais ce dernier trait d’humour désespéré ne l’émeut guère. Refus d’homologation.

Mon client, qui pensait être tiré d’affaire à bon compte, sort évidemment désemparé, même s’il a bien compris qu’aucun manquement de ma part n’est à déplorer. Lui qui, déjà bien occupé par ses soucis de santé, souhaitait être fixé et débarrassé de cette affaire, est bon pour attendre plusieurs mois avant d’être convoqué en audience classique, destin des dossiers qui n’ont pu être homologués en CRPC.

Mais sur le principe, il n’y a rien à dire, c’est l’illustration de ce que l’aboutissement d’une CRPC suppose l’accord de pas moins de quatre personnes : le client, son avocat, le Procureur, et… le juge homologateur, qui intervient en dernier. Très souvent, il rejoint l’accord donné par les trois autres, mais parfois, non.

 

[écrit le 21 octobre 2013]