Le père résidant au Canada et n’ayant pas vu son enfant depuis 2 ans peut tout de même obtenir un jugement l’autorisant à le voir pendant les vacances, dès lors qu’il ne s’est pas désintéressé de la question.

 

Pour une fois, je n’ai pas vu le client en vrai. Jamais. Même pas à l’audience.

Il faut dire qu’il habite à plus de 5.000 km de là, à Montréal.

Je n’allais tout de même pas le faire venir pour ce rendez-vous de « premier contact » à mon bureau, que j’affectionne particulièrement.

Pour l’audience, en revanche, j’avais insisté, mais en vain. La bonne nouvelle pour les lecteurs du monde entier (qui, je n’en doute pas un seul instant, sont très nombreux), c’est que donc, oui, c’est possible d’y être représenté par un avocat, et que ça se finisse bien. Même si je persiste à considérer qu’il a un peu joué avec le feu, car s’il se disait prêt à venir au moins une fois par an voir son enfant ces prochaines années, il pouvait au moins venir une fois aussi aux fins d’obtenir le jugement qui allait lui permettre tout ça.

Donc, je ne l’ai eu qu’au téléphone et par mail. Ce qui ne nous a pas empêchés de communiquer abondamment par ces biais, sans doute pour pallier, justement, l’impossibilité de se rencontrer.

Et il en a fallu, des explications, pour recadrer le débat, qui était parti sur la base de deux romans de plusieurs dizaines de pages déposés par chacun des deux parents, dont 90%, comme souvent, était constitué de propos complètement hors sujet sur les difficultés conjugales passées, et dont les demandes finales relatives à l’enfant (le seul débat qui nous intéresse) étaient, bien évidemment, extrêmes. Ainsi, mon client demandait rien moins que le transfert ispo facto de la résidence de l’enfant vers ses contrées enneigées, alors que le petit avait 5 ans, et n’avait pas vu son père depuis 2 ans (quelques obstacles étant apparemment mis par la mère). Quant à Madame, on s’en doute, elle demandait à ce que Monsieur reste là bas, sur cet autre continent, et n’ai ni contact avec ni mot à dire sur son enfant.

Ce qui m’a un peu étonné, ce que même lorsqu’elle s’est adjoint les services d’une avocate, ses demandes n’ont pas changé. Elle sollicitait donc toujours l’exercice exclusif de l’autorité parentale, mesure tout de même assez marquée (et finalement non accueillie). En voyant cela, je craignais une de ces audiences familiales où l’avocate adverse est vigoureuse au point qu’on jurerait la voir confondre sa propre cause avec celle de ses clients – avouons qu’on en croise beaucoup, des comme ça, les affaires familiales n’étant pas toujours le réceptacle des avocats les plus élaborés. Bonne surprise, malgré le grand écart entre nos demandes, les rapports ont été confraternels, ce qui devrait toujours être le cas, entre professionnels.

Il faut dire que de mon côté, j’avais dû apaiser – un peu – les craintes adverses, en remplissant mon office de modération auprès de mon client. C’est ainsi que dans mon dernier écrit, il admettait la résidence principale de l’enfant auprès de la mère, ce qui faisait déjà une différence énorme avec ses demandes initiales. Du coup, la partie adverse a admis au cours des débats que le père puisse voire son enfant. Elle a aussi du sentir que le juge le lui aurait accordé, car nous avions bien préparé  notre argumentaire, prouvant que, durant ces deux dernières années, mon client ne s’était pas désintéressé de la question.

Restait à définir dans quelle mesure. Il demandait à bénéficier d’une option ambitieuse entre venir voir l’enfant en France, le faire venir au Canada chez lui, ou encore en Guadeloupe chez ses grands parents, rien moins donc qu’une option entre 3 pays pour les vacances. Le projet n’était pas inintéressant dans l’absolu, mais sans doute un peu prématuré dans son ampleur. Surtout auprès d’un juge apparemment un peu effrayé par l’étranger et les voyages. On est tout de même en France, le pays du bon vivre, du camembert… et de l’immobilisme économique, ai-je fait remarquer au juge, en lui priant de considérer la différence de perspective qu’offre le Canada, et la chance d’y habituer un enfant, ne serait-ce que pendant quelques vacances. Ce sera pour une autre fois, le père étant invité à venir faire d’abord ses preuves estivales en France. On peut comprendre aussi la logique progressive, et l'essentiel est acquis: il va enfin revoir son enfant.

 

[écrit le 6 février 2014]