Au cœur de l’actualité : la sculpture réalisée en 1988 par Jeff Koons, intitulée « Fait d’hiver » et exposée au Centre Georges Pompidou en 2014.

6 ans de procédure et deux décisions plus tard, Jeff Koons est condamné pour avoir sans autorisation représenté et reproduit une photographie réalisée par Franck Davidovici pour une campagne publicitaire pour la marque de prêt à porter NAF NAF en 1985.

Les juges de première instance avait fait droit aux demandes du photographe Franck Davidovici dans leur décision du Tribunal de Grande Instance de Paris du 8 novembre 2018 en considérant ;

« qu’en reproduisant “substantiellement” ce visuel, Jeff Koons ne peut prétendre avoir voulu susciter “un débat touchant à l’intérêt général”, ou même un débat concernant l’art, qui justifierait l’appropriation qu’il a faite d’une œuvre protégée.
Au contraire, tout laisse à croire en l’occurrence que la reprise de la photographie repose sur des considérations personnelles et propres à Jeff Koons, lui ayant permis de se servir de la composition de la photographie, qui, ainsi que le relève à juste titre le demandeur, comportait déjà un caractère surprenant et fantaisiste, et ce, en faisant l’économie d’un travail créatif, ce qui ne pouvait se faire sans l’autorisation de l’auteur de l’œuvre “première”
 ».

Les juges avaient alors considéré que la représentation de la sculpture litigieuse lors de l’exposition rétrospective au CENTRE POMPIDOU, sa reproduction dans les ouvrages édités et commercialisés ainsi que sur le site www.jeffkoons.com constituaient des actes de contrefaçon et condamnaient les auteurs pour le préjudice subi par M. Franck Davidovici de la manière suivante :

  • 110 000 euros pour l’atteinte au droit patrimonial et droit moral causée par l’exposition rétrospective
  • 25 000 euros pour l’atteinte au droit patrimonial et droit moral causée par l’édition du catalogue de l’exposition rétrospective
  • 2000 euros pour l’atteinte au droit patrimonial et droit moral causée par l’édition de l’ouvrage « Entretiens avec Norman Rosenthal »
  • 11 000 euros l’atteinte au droit patrimonial et droit moral causée par la reproduction de la sculpture sur le site administré par Jeff Koons
  • 70 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

 La Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 23 février 2021 (n° 19/09059) confirme la décision du Tribunal de Grande Instance de Paris et rappelle que  « la contrefaçon de droits d’auteur s’apprécie au regard des ressemblances entre les oeuvres en présence et que les ressemblances sont ici prédominantes par rapport aux différences relevées, la sculpture de Jeff KOONS reprenant la combinaison des caractéristiques originales de la photographie “Fait d’hiver” »

La Cour d’appel rejette l’exception de parodie invoquée et le bénéfice de la liberté d’expression de l’artiste revendiquée par Jeff Koons au visa de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Sur l’exception de parodie, la Cour d’appel rappelle les dispositions de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle « Lorsque l’oeuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : (…) 4° La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre (…)” et l’arrêt du 3 septembre 2014 rendu par la CJUE qui précise que “la parodie a pour caractéristiques essentielles, d’une part, d’évoquer une oeuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci et, d’autre part, de constituer une manifestation d’humour ou une raillerie” (C6201/13, Deckmyn).

Trois conditions cumulatives se dégagent de cette décision :

  • L’œuvre seconde doit évoquer une œuvre existante

Or, en l’espèce aucune référence à l’œuvre préexistante n’est démontrée : En l’absence de de toute référence ou de tout commentaire de sa part, Jeff Koons ne démontre pas, son intention, au moment de la création de cette œuvre ou postérieurement, notamment lors des faits incriminés, d’évoquer la photographie ’Fait d’hiver’ préexistante.

  • L’œuvre seconde ne doit pas risquer d’être confondue avec l’œuvre première.

Les différences entre l’œuvre première et l’œuvre seconde ne sont pas perceptibles : La sculpture reprend substantiellement les éléments originaux de la photographie originelle ’Fait d’hiver’, notamment sa composition, sans y faire aucune référence, ce qui ne permet pas de percevoir le caractère transformatif revendiqué de la démarche créatrice de l’artiste.

  • L’œuvre seconde doit constituer une manifestation d’humour ou une raillerie

L’œuvre seconde n’est pas perçue comme une manifestation d’humour ou de moquerie.

Aucun élément ne laisse à penser que l’œuvre de Jeff Koons se rattache sous une forme parodique à la photographie litigieuse.

Sur la liberté d’expression, la Cour d’appel de Paris rappelle que l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacre le droit à l’information du public et la liberté d’expression, notamment artistique. Toutefois, ce droit doit s’exercer dans le respect du droit de propriété dont découle le droit d’auteur.

En l’espèce, la limitation à la liberté d’expression de Jeff KOONS est prévue par l’article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle qui condamne toute adaptation ou transformation d’une oeuvre sans le consentement de son auteur.

La Cour d’appel précise « qu’aucune circonstance ne justifie que Jeff KOONS, qui occupe lui-même une toute première place sur le marché de l’art, se soit abstenu de rechercher qui était l’auteur de la photographie dont il entendait s’inspirer, afin d’obtenir son autorisation, le cas échéant, en acquérant les droits d’exploitation ».

La Cour d’appel condamne in solidum M. Jeff KOONS, la société JEFF KOONS, le CENTRE POMPIDOU, ce dernier dans la limite de 20 % des sommes allouées (40 % en première instance), à payer à M. Franck DAVIDOVICI à titre de dommages et intérêts :

  • 110 000 euros pour l’atteinte au droit patrimonial et 40 000 euros pour l’atteinte au droit moral, causées par l’exposition rétrospective
  • 25 000 euros pour l’atteinte au droit patrimonial et 15 000 euros pour l’atteinte au droit moral, causées par l’édition du catalogue de l’exposition rétrospective
  • 8 000 euros pour l’atteinte au droit patrimonial et 6000 euros pour l’atteinte au droit moral causées par la reproduction de la sculpture sur le site administré par Jeff Koons

La Cour d’appel condamne ainsi plus fortement Jeff KOONS.

Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 23 février 2021 n° 19/09059