Par trois arrêts, le Conseil d’Etat précise les conséquences que doit tirer le juge de l’exécution de l’annulation d’une décision de préemption.

CE, 28 septembre 2020, Ville de Paris, n°436978 (publié au Lebon)

CE, 28 septembre 2020,  M. C… B…, n°430951 (mentionné au Lebon)

CE, 28 septembre 2020, Commune de Montagny-les-Beaune, n°432063 (mentionné au Lebon)

Aux termes de l’article L.213-11-1 du Code de l’urbanisme introduit par la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové :

« Lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption propose aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel l'acquisition du bien en priorité. 

 

Le prix proposé vise à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle. A défaut d'accord amiable, le prix est fixé par la juridiction compétente en matière d'expropriation, conformément aux règles mentionnées à l'article L. 213-4. 

 

A défaut d'acceptation dans le délai de trois mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle devenue définitive, les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel sont réputés avoir renoncé à l'acquisition. 

 

Dans le cas où les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel ont renoncé expressément ou tacitement à l'acquisition dans les conditions mentionnées aux trois premiers alinéas du présent article, le titulaire du droit de préemption propose également l'acquisition à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien, lorsque son nom était inscrit dans la déclaration mentionnée à l'article L. 213-2 ».

 

Le Conseil d’Etat précise, dans les trois arrêts commentés, les modalités d’application du droit de rétrocession en cas d’annulation de la décision de préemption.

Le rétablissement de la situation initiale ne doit pas porter une atteinte excessive à l’intérêt général

Dans l’affaire n°436978, la Ville de Paris s’est pourvue en cassation contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris qui lui avait enjoint, à la suite de l’annulation d’une décision de préemption, de proposer l’acquisition du bien à l’ancienne propriétaire ou, en cas de renonciation expresse ou tacite de cette dernière, à l’acquéreur évincé.

Le Conseil d’Etat annule l’arrêt pour défaut de motif impérieux d’intérêt général justifiant une telle injonction. Il rappelle qu’il « appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens par l’ancien propriétaire ou par l’acquéreur évincé et après avoir mis en cause l’autre partie à la vente initialement projetée, d’exercer les pouvoirs qu’il tient des articles L.911-1 et suivants du code de justice administrative afin d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, les mesures qu’implique l’annulation, par le juge de l’excès de pouvoir, d’une décision de préemption, sous réserve de la compétence du juge judiciaire, en cas de désaccord sur le prix auquel l’acquisition du bien doit être proposée, pour fixer ce prix. A ce titre, il lui appartient, après avoir vérifié, au regard de l’ensemble des intérêts en présence, que le rétablissement de la situation initiale ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, de prescrire au titulaire du droit de préemption qui a acquis le bien illégalement préempté, s’il ne l’a pas entre-temps cédé à un tiers, de prendre toute mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée et, en particulier, de proposer à l’ancien propriétaire puis, le cas échéant, à l’acquéreur évincé d’acquérir le bien , à un prix visant à rétablir, sans enrichissement injustifié de l’une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l’exercice du droit de préemption a fait obstacle ».

Le Conseil d’Etat rétablit ainsi l’exception relative à « l’atteinte excessive l’intérêt général »  qu’il avait posée dans son arrêt « Bour » (CE Sect.  26 février 2003, n°251558) et que n’avait pas repris le législateur dans les dispositions susvisées de l’article L.213-11-1 du code de l’urbanisme.

En l’espèce, il a jugé que la revente du bien illégalement préempté à la société requérante, qui remettrait en cause la création de logements sociaux, porterait une atteinte excessive à l’intérêt général qui ne serait pas justifiée par l’intérêt qui s’attache à la disparition des effets de la décision annulée.

Dans l’affaire n°430951, le Conseil d’Etat fait application de la même exception relative à l’atteinte excessive à l’intérêt général à l’obligation de rétrocession du bien illégalement préempté.

Il juge que « compte tenu de la nécessité de la préservation des milieux naturels et de la sauvegarde du patrimoine historique local, et alors que les décisions de préemption avaient été annulées au seul motif qu’elles étaient insuffisamment motivées en droit et que les pièces du dossier n’établissaient pas la réalité de l’intention du requérant d’ouvrir le site au public, qu’une cession de ces terrains à M. C…B… porterait une atteinte excessive à l’intérêt général qui s’attachait à leur protection et à leur mise en valeur par le Département de la Loire-Atlantique dans le cadre d’une politique d’ensemble de gestion des espaces naturels protégés ».

L’acquéreur évincé peut demander au juge d’enjoindre à l’administration de lui proposer l’acquisition du bien

Enfin, dans l’affaire n°432063, le Conseil d’Etat précise que le juge, saisi de conclusions en ce sens par l’acquéreur évincé, peut enjoindre à la collectivité titulaire du droit de préemption, suite à l’annulation de la décision de préempter et en cas de renonciation de l’ancien propriétaire, de lui proposer l’acquisition du bien nonobstant le fait que son nom ne figure pas sur la déclaration d’intention d’aliéner.

En effet, les dispositions de l’article L.213-11-1 du code de l’urbanisme qui font obligation au titulaire du droit de préemption, en cas de renonciation de l’ancien propriétaire à l’acquisition du bien ayant fait l’objet d’une décision de préemption annulée après le transfert de propriété, de proposer cette acquisition à la personne qui avait l’intention d’acquérir le bien lorsque son nom a été mentionné dans la déclaration d’intention d’aliéner, « définissent ainsi les mesures qu’il incombe à la collectivité titulaire du droit de préemption de prendre de sa propre initiative à la suite de la décision du juge administratif. Elles n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que le juge, saisi de conclusions en ce sens par l’acquéreur évincé, alors même que son nom ne figure pas sur ce document, enjoigne à cette collectivité de lui proposer l’acquisition du bien ».