Un mémoire de réclamation doit comporter l’énoncé d’un différend et les chefs de la contestation
CE 27 sept. 2021, Commune de Bobigny, n° 442455 (mentionné aux tables du Lebon)
Le Conseil d’État précise que le mémoire du titulaire d’un marché public de travaux ne peut être considéré comme une réclamation que si, d’une part, il comporte l’énoncé d’un différend et si, d’autre part, il expose les chefs de la contestation de façon précise et détaillée.
Par un marché de travaux du 24 juin 2015 portant sur la restructuration d’une maison de la culture, la commune de Bobigny a confié la réalisation de réseaux scénographiques à la société Amica pour un montant de 1 139 620,98 €.
A la suite de retards et d’autres difficultés intervenues durant l’exécution des travaux, la société Amica a, par un courrier du 9 juin 2017, adressé une demande de rémunération complémentaire à la commune. La société Amica a ensuite contesté le décompte général du marché qui lui a été notifié par la commune. A la suite du silence gardé par la commune, la société Amica a saisi le tribunal administratif de Montreuil afin de condamner la commune de Bobigny au versement d’une somme de 1 263 441,85 €, en plus des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts.
Par un arrêt du 15 juin 2020, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel formé par la société Amica contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Montreuil a initialement rejeté sa demande.
Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi en cassation, s’appuie sur les dispositions de l’article 50 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux) aux termes desquelles: « Si un différend survient entre le titulaire et le maître d’œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d’œuvre. / Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de trente jours à compter de la notification du décompte général. / Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte générale et qui n’ont pas fait l’objet d’un règlement définitif ».
La Haute juridiction en dégage alors deux critères cumulatifs pour qualifier de « réclamation», au sens de l’article 50 précité du CCAG Travaux, le mémoire du titulaire d’un marché public de travaux : ce mémoire doit comporter « l’énoncé d’un différend » mais aussi « les chefs de la contestation [décrits de façon précise et détaillée], en indiquant, d’une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d’autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées ».
Le Conseil d’État reste ainsi dans la ligne de sa jurisprudence, ayant eu l’occasion, vingt ans auparavant, de considérer que « tout mémoire qui est remis par l’entreprise au maître d’œuvre à la suite d’un différend entre ceux-ci et qui indique les montants des sommes dont l’entreprise demande le paiement et expose les motifs de cette demande, présente le caractère d’un mémoire de réclamation » (CE 28 déc. 2001, n° 216642, Société Rufa, Lebon).
La Haute Assemblée précise désormais que le mémoire de réclamation doit expressément mentionner, en plus des chefs de la contestation décrits de manière précise et chiffrée, l’existence d’un différend entre le titulaire du marché litigieux et l’acheteur public. Dès lors, n’est pas une réclamation un mémoire qui est « insuffisamment motivé » et « n’expose aucun des chefs de sa contestation avec une précision suffisante ».
Par ailleurs, si le titulaire du marché peut faire figurer d’autres éléments et justifications qu’il estime nécessaires dans des documents annexés au mémoire, pour autant « [ce mémoire] ne peut pas être regardé comme une réclamation lorsque le titulaire se borne à se référer à un document antérieurement transmis au représentant du pouvoir adjudicateur ou au maître d’œuvre sans le joindre à son mémoire ».
Il a été effectivement admis par le Conseil d’État, concernant la contestation du décompte général dans le cadre d’un marché public de travaux, que pour délimiter les contours de la réclamation de l’entrepreneur, il revient de se référer « au seul mémoire adressé à la personne responsable du marché» ; aussi, les éléments adressés au maître d’œuvre ne sont pas pris en compte s’ils n’ont pas été adressés à l’acheteur public. Dès lors, en l’absence de l’indication dans le mémoire adressé à l’acheteur public « du montant de la somme dont le paiement était réclamé (...) pour chacun des abattements contestés », l’entrepreneur « [doit être regardé] comme ayant implicitement accepté le décompte général » (CE 5 oct. 2005, n° 266368, SNC Quillery Centre, Lebon).
Il ressort de l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Versailles que la société requérante a refusé de signer le projet de décompte général adressé par la commune, en particulier en ce qu’il ne tient pas compte « de sa demande de rémunération complémentaire (...), de l’ordre de service n° 6, ainsi que des écarts de montants entre les situations validées par la maîtrise d’œuvre et les règlements perçus ».
Or, la cour constate que ni le courrier adressé à la commune, ni le projet de décompte général établi par la société requérante n’expose de façon « précise et détaillée » les chefs de la contestation, en particulier « l’ordre de service n° 6 » et les « écarts de montants entre les situations validées par la maîtrise d’œuvre et les règlements perçus ». De plus, le mémoire ne contient pas non plus « les motifs de la demande », en particulier « les bases de calcul des sommes réclamées et les justifications nécessaires correspondant à ces montants ».
Le Conseil d’État en conclut que la cour administrative d’appel, qui n’a pas dénaturé les pièces du dossier, n’a commis aucune erreur de droit, et rejette le pourvoi formé par la société Amica.
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