Interdiction de gérer : application immédiate de la loi Macron de 2015 aux procédures en cours, celle-ci étant jugée moins sévère pour le dirigeant
La loi n° 2015-990 du 6 août 2015, dite loi Macron a assoupli le régime de l’interdiction de gérer en cas de retard ou d’omission de la déclaration de cessation des paiements par le dirigeant.
Par l'ajout de l'adverbe « sciemment » aux dispositions de l’article 653-8 du Code de Commerce, la sanction de l'interdiction de gérer ne peut plus frapper le débiteur ou le dirigeant simplement négligent, qui aurait laissé s'écouler le délai de quarante-cinq jours. Dans sa version antérieure à la loi Macron, ce texte n’exigeait pas d’intention.
La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de juger que la loi Macron qui entrait en vigueur le 8 août 2015 ne s'appliquait pas aux procédures en cours (Cass. com. 14-6-2017 n° 15-27.851 F-D : BRDA 14/17 inf. 10 ; Memento sociétés commerciales 2018, n°91810).
Par un arrêt en date du 24 mai 2018 (F-P+B+I, n° 17-18.918), la Cour de Cassation a manifestement opéré un revirement puisqu’elle vient de censurer un arrêt de la Cour d’Appel de Versailles qui n’a pas appliqué à une procédure initiée en 2013 les dispositions de l’article L653-8 du Code de Commerce issues de la loi Macron.
La censure de la Haute juridiction, au visa de l’article 8 de la déclaration des droits de l’Homme et de l’article L653-8 du Code de commerce issu de la loi Macron, est sans équivoque :
« En statuant ainsi, alors qu'en ce qu'elle exige dorénavant, pour l'application de la sanction de l'interdiction de gérer, que l'omission de la demande d'ouverture d'une procédure collective dans les quarante-cinq jours de la cessation des paiements soit faite sciemment, la loi du 6 août 2015 a modifié, dans un sens moins sévère, les conditions de la sanction de sorte que cette loi devait être appliquée à la situation de M. X..., la cour d'appel a violé le principe et le texte susvisés ; »
La Cour de Cassation applique donc le principe constitutionnel de nécessité des peines énoncé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et dont découle la règle de l’application immédiate de la loi pénale plus douce.
Pour la Haute Juridiction, l’interdiction de gérer présente le caractère d’une sanction, ce qu’avaient exclu les juges d’appel estimant qu’une interdiction de gérer ne pouvait s’analyser en une sanction pénale.
La portée de cet arrêt doit toutefois être relativisée dans la mesure où l’interdiction de gérer est généralement prononcée en considération de plusieurs fautes du dirigeant, qui ne consistera pas uniquement dans la tardiveté ou l’omission du dépôt de bilan (pour d’autres exemples de manquements cf. articles L653-3 à L653-8 du Code de Commerce).
Cela étant, la cassation totale de l’arrêt a été prononcée bien qu’en l’espèce plusieurs fautes aient été mises en évidence contre le dirigeant.
Certains commentateurs y voient à juste titre l’application du principe de proportionnalité, selon lequel, il n'est pas possible de considérer que la peine est proportionnée, justifiée dans son quantum, si l'un des manquements tombe[1].
L’année 2018 a d’ailleurs été l’occasion pour la Cour de Cassation de censurer à plusieurs reprises certaines juridictions du fond en rappelant le principe de proportionnalité[2].
Les Mandataires judiciaires et le Ministère public auraient donc tort d’invoquer abusivement le non-respect du dépôt de bilan dans le délai de 45 jours contre le dirigeant poursuivi.
[1] Recueil Dalloz 2010 p.7, Faillite personnelle : pluralité de griefs et proportionnalité de la sanction, Alain Lienhard ; sur ce principe, v. Com. 1er déc. 2009, n° 08-17.187, D. 2010. 7 , obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2010. 256, note N. Morelli
[2] CF. Cass com 24 janvier 2018 n°16-23649, Cass com 28 février 2018, 16-27.591 et Cass com 11 avril 2018 n°16-21886
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