S’il est classique de trouver dans un bail commercial une clause obligeant le preneur à être garant du paiement des loyers avec le cessionnaire, tel n’est pas encore le cas de la clause de solidarité inversée obligeant le cessionnaire à régler les arriérés de loyers dus par le cédant au moment de la cession.

Cette clause, quoique moins connue des praticiens et donc moins répandue, tend à se développer de manière significative si bien que la Cour de Cassation a déjà eu l’occasion de se prononcer sur ses conditions d’application.

C’est désormais au tour du législateur de se pencher sur son cas, puisque l’article 19 du projet de loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) en neutralise les effets en matière de procédure collective.

I. Rappel des dispositions applicables à une clause de solidarité « classique » (cédant-cessionnaire)

D’après l’article L641-12 al.5 du Code de commerce, applicable en présence d’une clause de solidarité classique, « toute clause imposant au cédant des dispositions solidaires avec le cessionnaire est réputée non écrite », de sorte que le cédant en liquidation judiciaire n’a pas à garantir le bailleur contre un éventuel passif de loyers qui serait généré ensuite par le cessionnaire, Force est de reconnaître que ce régime dérogatoire présente un intérêt pratique limité compte tenu de l'insolvabilité avérée du cédant placée en liquidation judiciaire.

Toutefois, cette règle s’applique également aux procédures de sauvegarde ou de redressement judiciaire (C. com. art. L622-15 et L631-22, al. 1), y compris par voie de plan de cession de l’entreprise[1].

La solution proposée par le législateur mérite d’être approuvée puisqu’il se conçoit difficilement qu’un locataire, déjà en proie à des difficultés financières, soit amené à supporter un passif éventuel dont il ne serait pas à l’origine. Ce serait particulièrement contreproductif notamment en matière de procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire.

A noter que cette clause ne s’applique qu’aux relations entre le cédant et le cessionnaire. Dès lors, si le cessionnaire in bonis cède à son tour le bail, il sera garant vis-à-vis du bailleur des loyers impayés de son propre successeur[2].

II.  Projet de loi Pacte : Alignement du régime des clauses de solidarité inversée (cessionnaire-cédant) sur celui des clauses de solidarité classique

S’agissant de la clause de solidarité inversée, la Cour de Cassation a déjà jugé que les dispositions de l’article L641-12 du Code de Commerce ne s’appliquent pas à la clause qui rend l’acquéreur du bail garant avec le locataire, des loyers dus au titre du bail à la date de la cession[3].

D’après la Haute Juridiction, le bailleur peut ainsi se prévaloir de la clause de solidarité inversée à l’encontre du cessionnaire malgré la liquidation judiciaire du cédant.

L’article 19 du projet de loi Pacte revient sur cette jurisprudence en modifiant les dispositions de l’article L642-7 du Code de commerce. Sera ainsi réputée non écrite toute clause d’un contrat de bail imposant au cessionnaire des dispositions solidaires avec le cédant[4].

L’article L642-7 du Code de Commerce est insérée à une section intitulée « de la cession de l’entreprise » dans le titre IV du livre VI, lui-même intitulé « de la liquidation judiciaire et du rétablissement personnel ». Cette modification semble donc concerner uniquement la cession du bail intervenant dans le cadre d’un plan de cession, lequel peut naturellement être adopté en cas de liquidation judiciaire mais également en cas de procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire. 

Il s’ensuit qu’une cession isolée de droit au bail au cours de la liquidation judiciaire ne devrait pas permettre au cessionnaire de contourner la clause de solidarité inversée, y compris après l’entrée en vigueur de la loi Pacte, une telle cession se situant en dehors d’un plan de cession de l’entreprise.

Par ailleurs, le projet de loi sera sans effet sur le dépôt de garantie qui devra toujours être reconstitué par le cessionnaire, en pratique entre les mains de l’administrateur judiciaire.

Sauf à rédiger habilement le périmètre de l’offre de rachat ou à négocier en amont avec le bailleur les arriérés de loyer, un passif élevé de loyers pouvait constituer un frein à la reprise d’une entreprise en difficulté. Ce ne devrait plus être le cas avec l’entrée en vigueur de la loi Pacte, ce qui est indiscutablement une bonne nouvelle pour le maintien de l’activité et des emplois.

Cette solution s’imposait d’autant plus qu’une créance de loyer bénéficie déjà du privilège du bailleur énoncé à l’article 2332, 1°) du Code civil.

Enfin, l’article 19 du projet de loi Pacte ne sera pas applicable aux procédures en cours mais uniquement aux procédures ouvertes à compter de son entrée en vigueur.

Dans tous les cas, les candidats au rachat d’une entreprise à la barre du Tribunal suivront avec intérêt l’examen du projet de loi Pacte, notamment lorsque le droit au bail constituera le principal élément d’actif du débiteur, ce qui est généralement le cas[5].

 


[1] CA Versailles, 13e ch., 12 mars 2015, aff. Sirius, n°14/02599 et n° 14/03274

[2] Cass. com. 15 novembre 2017 n°16-19.131 F-PB

[3] Cass. com. 27 septembre 2011 n°10-23.539 FS-PB : RJDA 4/12 n° 424

[4] http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/pl1088.asp

[5] cf. Étude d’impact du projet de loi, pages 236 et suivantes, https://www.ifppc.fr/ressources/documents/1/5e802d0-1333-Etude-d-impact-loi-PACTE-18.pdf