En matière de contentieux sociaux, la clôture de l'instruction a lieu après que les parties ou leurs mandataires ont formulé leurs observations orales, ou, si ces parties sont absentes ou ne sont pas représentées, après appel de leur affaire à l'audience.
La procédure en matière de contentieux de l'aide sociale[1] est régie par les dispositions dérogatoires des articles R. 772-5 et suivants du Code de justice administrative lesquelles visent à assouplir les règles de la procédure écrite et en particulier celles relatives à la clôture de l'instruction prévue à l’article R.613-2 du Code de justice administrative.
Une allocataire du RSA. s’est pourvue en cassation contre le jugement rendu par le tribunal administratif de Cergy pontoise qui était saisi d’une demande d’annulation d’une décision de fin de droit prise par la caisse d’allocations familiales des Hauts-de-Seine.
Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait rejeté la requête après avoir dit à tort que le mémoire produit la veille de l'audience serait tardif.
Au visa de l'article R. 772-9 du Code de justice administrative relatives à la clôture de l'instruction et le Conseil d'Etat a annulé le jugement rendu qui avait conclu au rejet de la requête après avoir visé sans l’analyser un mémoire contenant des moyens nouveaux et avoir précisé qu’il aurait été produit postérieurement à la clôture d’instruction.
I- La règle de droit commun prévue à l'article R. 613-2 du Code de justice administrative est que l'instruction est close à la date fixée par une ordonnance de clôture d'instruction ou, à défaut, trois jours francs avant la date de l'audience.
La conséquence est que les mémoires produits après la date de clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication sauf réouverture de l'instruction. (R. 613-3 du CJA)
Mais conformément au principe selon lequel devant les juridictions administratives, le juge dirige l’instruction, il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance des mémoires tardifs avant de rendre sa décision et donc de les viser sans les analyser (CE 27 juillet 2005, 258164, mentionné aux tables, CE, Sect., 27 février 2004, 252988, publié au recueil)
Le tribunal est toutefois tenu d’analyser les mémoires contenant soit l’exposé d’une circonstance de fait dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction écrite et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d’une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d’office (Conseil d’Etat, Section, 27 février 2004, Préfet des Pyrénées-Orientales, n° 252988, rec. p. 93), ces éléments devant être susceptibles d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire (CE, Sect., 5 décembre 2014, Lassus, n° 340943).
II- En matière de contentieux sociaux régis par les articles R. 772-5 et suivants du CJA, l'article R. 772-9 du même Code déroge à ces règles contraignantes en décalant la clôture de l'instruction « soit après que les parties ou leurs mandataires ont formulé leurs observations orales, soit, si ces parties sont absentes ou ne sont pas représentées, après appel de leur affaire à l'audience ».
Le Conseil d'Etat précise que les contentieux sociaux sont entièrement régis par ces dispositions dérogatoires de sorte que les règles de droit commun selon lesquelles l'instruction est close à la date fixée par une ordonnance de clôture ou trois jours francs avant l'audience ne sont pas applicables.
En effet, « eu égard aux spécificités de l'office du juge en matière de contentieux sociaux, l'article R. 772-9 vise à assouplir les contraintes de la procédure écrite en ouvrant la possibilité à ce juge de poursuivre à l'audience la procédure contradictoire. »
Selon la formule consacrée par la décision de Section du 16 décembre 2016[2], « il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention dans la reconnaissance du droit à cette allocation ou à cette aide qu'à sa qualité de juge de plein contentieux (…) d'examiner les droits de l'intéressé sur lesquels l'administration s'est prononcée » puis « d'annuler ou de réformer, s'il y a lieu, cette décision en fixant alors lui-même les droits de l'intéressé, pour la période en litige, à la date à laquelle il statue ou, s'il ne peut y procéder, de renvoyer l'intéressé devant l'administration afin qu'elle procède à cette fixation sur la base des motifs de son jugement ».
Ainsi, « le juge doit se faire administrateur pour ouvrir des droits, à la demande de l'intéressé »[3] au regard des éléments qui lui sont transmis jusqu'au jour de l'audience.
Par la décision commentée, le Conseil d'Etat a censuré le jugement rendu par le tribunal administratif de Cergy, qui était saisi de la détermination des droits au RSA de l'intéressée, car s'il visait le mémoire produit la veille de l'audience, il a refusé d'en tenir compte au motif erroné qu'il aurait été enregistré postérieurement à la clôture d'instruction.
III - S'il était patent que le tribunal administratif de Cergy-pontoise n'avait pas fait application des bonnes dispositions, restait à savoir si cette irrégularité était de nature à justifier une annulation du jugement dans la mesure où celui-ci comportait le visa du mémoire produit et que l'on aurait pu en déduire que le juge l'avait nécessairement pris en compte.
Mais selon une jurisprudence ancienne et constante, «les règles générales de procédure » imposent à toute juridiction administrative d'analyser les conclusions et moyens présentés par les parties (CE, 26 mars 2003, Reniers, n° 227667, T. p. 939 ; CE, 13 juillet 1963, Sieur Cassel, n° 55697, p. 467 ; CE, 15 juin 1987, Grezes, n° 71212, T. p. 807). Cette règle permet de vérifier que le juge a pris en compte l'ensemble des moyens qui lui ont été soumis.
En conséquence, après avoir énoncé que le tribunal devait prendre en considération tant les éléments de fait invoqués oralement à l'audience qui conditionnent l'attribution de la prestation ou de l'allocation ou la reconnaissance du droit, objet de la requête, que « tous les mémoires enregistrés jusqu'à la clôture d'instruction », le Conseil d'Etat rappelle que le tribunal était tenu, outre de le viser[4], de « prendre en compte[5] ce mémoire qui … contenait des moyens nouveaux » et ce « quelque soit leur incidence sur l'issue du litige »[6].
Autrement dit, le Conseil d'Etat assimile l'hypothèse de censure de la décision qui ne vise ni ne prend en compte un mémoire produit avant la clôture d'instruction et comportant un moyen nouveau, même inopérant[7], à celle, en l'espèce, où la juridiction vise un tel mémoire mais ne fait pas apparaître l'analyse du moyen nouveau dans les visas.
[1] L'article R, 772-5 du Code de justice administrative vise « les requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi »
[2] CE, 389642, 16 décembre 2016 et CE, 347114 du 27 juillet 2012
[3] Ccl., Jean LESSI sous CE, 389642, 16 décembre 2016
[4] Si en revanche le mémoire produit n'apporte aucun élément nouveau le défaut de visa de ce mémoire n'entraîne pas l'irrégularité de la décision rendue (CE 2 juin 2006, n° 263423, Casagrande, Lebon T).
[5] Autrement dit analyser les moyens nouveaux
[6] Voir à propos d'un mémoire comportant un moyen nouveau non visé et auquel il n'a pas été répondu dans les motifs de la décision alors même qu'il serait inopérant. (CE, 12 mai 2017 mentionné aux tables N° 391109)
[7] CE, 12 mai 2017 mentionné au tables N° 391109 ; CE, 18 juin 1969, 69666, publié au recueil Lebon 321 ; AJDA 2017. 1024
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