LE PACTE D'ACTIONNAIRES

 

En sus des statuts qui définissent les rapports de la société avec les tiers et entre les associés, les actionnaires peuvent décider d'organiser de manière contractuelle leur relation entre eux et à l'égard de la société et des tiers pour des sujets qu'ils considèrent comme majeurs, stratégiques ou fonctionnels.

 

Défini comme un acte juridique extra statutaire il s'impose et oblige ses signataires et toute violation des termes ou conditions du pacte d'actionnaires entraînera des conséquences qui peuvent être organisées dans le pacte d'actionnaires.

 

Le pacte d’actionnaires n’est pas l’apanage des grands groupes et des coalitions de petits porteurs. Il prospère dans les PME, les sociétés familiales, celles constituées entre camarades d’école réunis autour d’un projet, etc…

 

 

L'intérêt d'y recourir?

 

Lorsque les actionnaires d'une société associés autour d'un projet soit technologique, soit de services, soit industriel investissent ensemble des capitaux, des recherches scientifiques ou technologiques, des brevets, des marques et/ou des licences, ils doivent pouvoir compter les uns sur les autres pour assurer la pérennité soit du produit, soit du cadre juridique  qu’est la société qui l’exploite, soit de leurs propres parités dans la société, face au marché, aux nouveaux investisseurs, au risque d'absorption, fusions-acquisitions, voire aux risques de liquidation judiciaire.

 

1. Planifier des apports en compte-courant

Face aux procédures de redressement et de liquidation judiciaire la loi s'applique dans toute sa rigueur  à l'égard de la société.

 

Le pacte a  dans ce cas  vocation à mettre en place et organiser des solutions correctives en périodes de baisse d'activité pour renflouer la société, la stabiliser et  pérenniser l'exploitation lorsque le marché fléchit, afin de préserver la notoriété de la marque développée ou du produit.

 

Le pacte est souvent contemporain de la signature des statuts, généralement établis à partir d’une  étude de marché, un business plan et un modèle économique, au moins théorique.

 

Il est concevable de ce fait au vu du projet économique et de l'évaluation de son coût, d'organiser la planification des apports en compte-courant au fur et à mesure de la montée en production ou au contraire parce qu’apparaissent les indices d'un plafonnement d'activité.

 

La mise en place d'un calendrier d'investissement individuel et personnel au profit de la société, organisé collectivement de manière simultanée et concomitante, permet à chacun de mesurer son engagement et de définir des axes prioritaires.

 

A titre d'exemple il peut être décidé que seuls les détenteurs d'actions de plus de 20 % du capital social apporteront en capital soit à travers une augmentation de capital soit à travers un apport en compte courant (solutions les plus choisies) lorsque la marge brute réduira de  plus de 5 % au cours d'un trimestre ou d'un semestre.

 

La clause du pacte ne se substitue pas à la nécessité pour la direction de la société dans cette illustration de renégocier les prix de ses approvisionnements ou de chercher de nouveaux fournisseurs subsidiaires ou complémentaires.

 

Le pacte et toutes ses clauses sont confidentiels et ne s'imposent qu'aux seuls signataires.

 

Par ailleurs, chaque actionnaire n'est pas tenu de participer au pacte si celui-ci contient un seuil d'admissibilité supérieur ou égal à un certain nombre d'actions détenues au capital social de la société.

 

 

2. Survivre à l'arrivée de nouveaux actionnaires

 

L'arrivée de nouveaux actionnaires au capital de la société résulte soit de la prospérité de société soit des difficultés qu'elle rencontre, la  contraignant  à rechercher des apports financiers ou technologiques extérieurs.

 

Le groupe des associés (fondateurs et/ou intégrés) est souvent titulaire et concepteur des brevets et marques, logiciels et méthodes utilisés dans l'activité de la société et  n'entend pas être dilué avant de disparaître après l'arrivée de nouveaux actionnaires.

 

Le pacte prévoira alors une clause de non dilution de capital, le plus souvent.

 

Cette clause a pour objet de maintenir la répartition du nombre et du pourcentage  d'actions détenues entre les associés signataires du pacte pour les assurer soit d’une majorité soit d’une minorité de blocage après intégration des nouveaux actionnaires.

 

En échange  de la faculté d’opposer  ce « front commun » au nouveaux entrants,   les signataires se contraignent réciproquement, de leur plein gré, à acquérir toute nouvelle action  à créer ou /et mise en vente à travers une augmentation de capital ou sur transmission ou/ et sur  apports d'actifs, au prorata de leurs actions détenues dans la société.

 

Ainsi  la répartition initiale entre les signataires et d’autres associés en place ne sera pas diluée après l'intégration de nouveaux actionnaires.

 

En pratique, on observe  que les associés  sont souvent  concepteurs des brevets, méthodes, savoir-faire, marques et modèles exploités par la société.

 

Il s’avère fréquemment qu’ils ont  pris soin de les déposer à leur nom  et ont choisi de les mettre  à disposition au démarrage, à titre gratuit et  provisoire, pour une durée limitée au profit de la société, pourront  alors convertir ce « prêt » en licences rémunérées dont le montant annuel ou total pourra être étalonné sur un certain nombre d'actions qui viendront augmenter celles détenues, après avoir été scrutées par le commissaire aux apports.

 

 

3. Assurer une stabilité de la gouvernance

 

La direction d'une entreprise implique d'avoir une vision sur le long terme, le moyen terme de court terme en même temps et de manière simultanée sans être désorienté. Cela n'est jamais facile.

 

Pour assurer ce qu'on appelle la stabilité de gouvernance l'engagement de tous les associés doit être certain, actif, durable  et réciproque.

 

La clause dite de stabilité de gouvernance a pour objectif de modéliser les verrous des actions d'influence susceptibles d’être  exercées, soit contre un groupe d'associés, soit  par un groupe d’associés  sur la direction ou  un associé minoritaire ou un groupe majoritaire, afin d'emporter sa conviction et son adhésion à un projet non fédérateur ou une solution de faible portée apparente mais aux conséquences négatives d'ores et déjà mesurables.

 

Cela ne peut être analysé comme un abus de majorité ou un abus de minorité dans la mesure où cette clause a vocation pour les associés signataires non pas à empêcher l'approbation d'une résolution inscrite à l'ordre du jour mais à motiver le refus de son approbation avec entrée en vigueur à la date de l'assemblée concernée avec une exigence de report soit pour étude complémentaire avant remise au vote des actionnaires.

 

Les coalitions de plusieurs minorités constituant une majorité au regard d'un objectif pertinent  aboutissant à un report de résolution pour étude complémentaire, ne peuvent alors être perçues que comme un approfondissement nécessaire d'un sujet insuffisamment préparé, dont les effets non mesurables pourraient à défaut d'étude complémentaire être néfastes  à l’intérêt  de l'entreprise.

 

Paradoxalement les fondateurs ou associés intégrés ne détiennent pas le privilège de la capacité d'établir entre actionnaires, un pacte d'associés.

 

Les associés nouvellement intégrés ont également la possibilité de souscrire entre  eux un autre pacte d'actionnaires au vu de leurs propres objectifs qui peuvent être sur le court et moyen terme le renversement de la direction et de la gouvernance.

 

 

4. Se réserver une porte de sortie honorable

 

Il est donc possible qu'à terme les associés fondateurs ne parviennent pas à maintenir ensemble le pourcentage  initial de répartition d’actions tel qu'il se trouvait à la constitution de la société ou  que la surface financière  des nouveaux associés amène de nouvelles augmentations de capital auxquelles ne peuvent plus répondre les capacités financières des associés signataires du pacte.

 

Il est  alors fréquemment convenu une clause de sortie conjointe impliquant qu'à l'arrivée d'un seuil à leur choix de 51 % ou 33 % d’actions détenues au capital social de la société ,  ils offriront ensemble en même temps l'intégralité de leurs actions à la vente aux associés en place et ou ensuite à des tiers ou à des titulaires d'actions dans les filiales détenues par la société.

 

Ceci impliquera en cas d'apports d'actifs incorporels, soit la reprise de ces actifs, soit le rachat par la société de la propriété de ces actifs incorporels, soit la reconduction de la licence à un prix proportionnel à la valeur de la chose, calculée sur les trois dernières années.

 

Il peut être convenu également au contraire une sortie en rafale où chaque actionnaire membre du pacte d'associés cédera ses parts aux associés en place à des conditions de prix stables fixes ou variables étalonnées sur la valeur de la société, sur une  période de plusieurs mois ou de plusieurs années.

 

La volonté d'être associé indépendamment du pacte des actionnaires étant organisée par les statuts et impliquant la loyauté dans les cessions,  il est bien évidemment recommandé que le pacte d'actionnaires, notamment à travers la sortie conjointe et sortie en rafales, n'entraîne pas la dégradation des conditions de fonctionnement de la société dont l’exécution du pacte serait la seule cause.

 

Si tel était le cas les associés, quittant la société,  sauf en cas de cession forcée ou exclusion abusive, deviendraient alors auteurs d'une faute engageant leur responsabilité envers la société, au motif d’entrave au bon fonctionnement de celle-ci : et ceci quand bien même le pacte d'actionnaires est confidentiel.

 

 

5. Le  secret et la non-agression

 

Au temps de l'adhésion au pacte d'actionnaires comme à l'issue (démission, cession, exclusion) les associés signataires du pacte s'engagent à respecter la confidentialité du pacte qui est en fait une véritable « clause de secret » en s'interdisant de révéler aux autres associés des faits, informations, statistiques, projets, avant-contrat, prospect etc. négociés, obtenus ou exécutés dont ils pourraient avoir eu connaissance au cours de leur adhésion.

 

Souvent assimilés sous le concept de non-concurrence, la non sollicitation, la non - agression et la non révélation de secrets de fabrique et de savoir-faire, figurent  comme une obligation devant être respectée par les associés ayant été signataires d’un pacte d'actionnaires et qui selon les circonstances ont cédé leurs actions, ont été exclu ou appartiennent désormais à une entreprise, un être moral, distinct de la société d'origine du fait d'une scission d'entreprise.

 

Cette clause de secret de non-agression a l'avantage de limiter les réactions et le nombre  des adversaires face à une transgression éventuelle : la société qui ne pourra qu'en être victime et les membres restant du pacte d'actionnaires qui exerceront l'action individuelle en violation contractuelle contre le transgressif.

 

 

En conclusion, par- delà la structure générale des statuts, le pacte d'actionnaires crée entre les associés signataires une multitude de liens de soutien, de renforcement à l'occasion de la prise de décision, notamment en assemblée. Le pacte  peut organiser des missions de médiation contractuelle afin d'éviter ou apaiser les dissensions entre associés soit à l'extérieur du pacte soit à  l'intérieur du pacte dans la perspective d'assurer la pérennité de l'entreprise.

 

Laure TRAPÉ    

Avocat au Barreau