Titre : L'Indemnité d'Éviction dans les Baux Commerciaux en France :
Protéger les Droits du Locataire
Introduction
Le bail commercial en France est régi par des règles spécifiques visant à protéger les intérêts des locataires, en particulier dans le cadre de l'indemnité d'éviction.
Cet article est concentré sur les aspects clés de cette indemnité, avec mise en lumière du principe de légitimité de l’indemnisation du locataire commercial, en cas de perte de son bail commercial que ce soit sur l’initiative du bailleur ou au nom de l’intérêt général.
Son pendant est le caractère irrévocable de cette perte, notamment en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique.
L’ensemble se trouve articulé autour du principe de la réparation intégrale du dommage découlant de cette perte.
Cette réparation est organisée par l’Article L145-14 du Code de commerce selon les termes ci après :
Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. »
1. Légitimité de l'Indemnisation du Locataire
a) Lorsque le bailleur décide de ne pas renouveler le bail
Comme l’indique l’article L145-14 du code de commerce, il s’agit d’une décision, unilatérale prise par le seul bailleur, par laquelle il exerce le pouvoir de disposer de son bien immeuble en tant que propriétaire pour des motifs qu’il n’a pas à expliciter mais qu’il doit être en état et capacité de justifier.
En France, la légitimité de l'indemnisation du locataire en cas de perte du bail est fondamentale parce que le non renouvellement entraine une perte irrévocable..
Cette protection repose sur la reconnaissance du caractère essentiel du droit au bail comme élément clé du fonds de commerce et de l'activité du locataire commercial.
En vertu de la loi, le locataire a droit à une indemnité d'éviction lorsque le bailleur décide de ne pas renouveler le bail commercial.
Cette indemnité vise à compenser la perte économique résultant de la cessation de l'activité commerciale dans les locaux loués.
b) Lorsque le bailleur justifie de motifs légitimes et graves
Ces motifs peuvent tenir à l’état de l’immeuble ou de l’immeuble mitoyen, insalubrité ou dangerosité qui empêchent tout maintien d’exploitation de manière durable et définitive
Le locataire lui-même peut au cours du bail et à son occasion avoir contrevenu à ses obligations contractuelles, notamment à travers des travaux non autorisés, une ou des sous locations consenties à des tiers alors qu’elle était prohibée, ou et sous réserve d’agrément préalable, non exploitation avérée, multiplication des fermetures administratives pour motifs sanitaires ou de sécurité publique, dangerosité….
La liste n’est pas exhaustive
Au même titre, le bailleur peut alors, être lui aussi légitime dans son refus de verser ou de proposer une indemnité d’éviction au locataire s’il justifie et prouve les manquements graves et répétés aux obligations contractuelles du bail ou les faits délictuels répétés dont le bail est la cause ou l’occasion qui justifient que la perte définitive du bail ne soit pas indemnisée.
2. Caractère Irrévocable de la Perte au nom de l’intérêt général : Cas de l'Expropriation
L’ordonnance d’expropriation entraine la résiliation de tous les contrats en cours. Le bail commercial résilié, l’exploitant perd donc son fonds de commerce puisque qu’à compter du prononcé de l’ordonnance il ne peut ni le vendre ni le démembrer
Le code de l’expropriation organise la procédure d’indemnisation sous condition sine qua non que la « victime » se manifeste et n’attende pas qu’on vienne la chercher
Selon l‘article R311-5 du code de l’expropriation ci-dessous il serait pensable que les capacités d’investigation de l’autorité expropriante suffisent, cependant il n’en est rien:
« Les notifications des offres sont faites à chacun des intéressés susceptibles d'obtenir une indemnisation.
Elles précisent, en les distinguant, l'indemnité principale, le cas échéant, les offres en nature et chacune des indemnités accessoires ainsi que, lorsque l'expropriant est tenu au relogement, la commune dans laquelle est situé le local offert. Les notifications invitent, en outre, les personnes auxquelles elles sont faites à faire connaître par écrit à l'expropriant, dans un délai d'un mois à dater de la notification, soit leur acceptation des offres, soit le montant détaillé de leurs demandes. Elles reproduisent en caractères apparents les dispositions de l'article R. 311-9.
Elles indiquent également que toute demande d'emprise totale est adressée au juge dans le même délai.
La réponse de chaque intéressé contient ses noms, prénoms, domicile, date et lieu de naissance, ainsi que le titre pour lequel il est susceptible de bénéficier d'une indemnité et, pour chaque personne morale, toutes indications propres à l'identifier. »
L’éviction revêt un caractère irrévocable, notamment dans le cas d'une expropriation pour cause d'utilité publique, où au nom de l’intérêt général, il est mis un terme aux contrats de bail commercial.
Lorsque les pouvoirs publics exproprient un bien, y compris un local commercial, le locataire a droit à une indemnisation équitable. La négociation peut tourner court et la nécessité de saisir le juge de l’expropriation pour contester « l’offre » reçue doit se faire dans le mois de la réception de l’offre, selon les formes de l’article R311-9 du code de l’expropriation (ci –dessous)
« A défaut d'accord dans le délai d'un mois à compter soit de la notification des offres de l'expropriant effectuée conformément aux articles R. 311-4 et R. 311-5, soit de la notification du mémoire prévue à l'article R. 311-6, soit de la mise en demeure prévue à l'article R. 311-7, le juge peut être saisi par la partie la plus diligente.
Les parties sont tenues de constituer avocat. L'Etat, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics peuvent se faire assister ou représenter par un fonctionnaire ou un agent de leur administration.
Le mémoire de saisine est adressé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au greffe de la juridiction du ressort dans lequel sont situés les biens à exproprier. Il est accompagné de deux copies. »
Cette indemnisation est calculée en fonction de la valeur du fonds de commerce, du préjudice subi et des investissements réalisés par le locataire, voire du coût des licenciements à prononcer en cas d’impossibilité à retrouver des locaux suffisants.
Ainsi, même face à une expropriation, le locataire est protégé et peut compter sur une réparation financière voulue adéquate par les pouvoirs publics.
3. Réparation Intégrale du Dommage, y Compris les Frais de Réinstallation et de Perte de Chiffre d'Affaires Spécifique
L'un des principes fondamentaux de l'indemnité d'éviction dans les baux commerciaux en France est la réparation intégrale du dommage, qui englobe également les frais de réinstallation et de déménagement, ainsi que la perte de chiffre d'affaires spécifique liée à l'activité du locataire.
Les indemnités d’éviction pour cause d’expropriation pour leur part couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.
On devrait y ajouter le préjudice de perte doit être personnel sans pouvoir être délégué (cas exclu du propriétaire d’un fonds de commerce donné en location gérance qui demande une indemnité à partir des données comptables de son locataire gérant).
Une demande au titre d'une indemnité pour trouble commercial, vise à réparer le préjudice résultant de l'interruption d'activité, qui couvre la période et les pertes ou dépenses à compter du déménagement jusqu’à la réinstallation, ou faute de l'installation, résultant de l'arrêt d'exploitation et que la cessation de l'exploitation cause un préjudice spécifique dit de trouble commercial distinct de celui causé par la perte du fonds : l’un couvre les affres du changement, l’autre la perte irrévocable.
Il est essentiel de noter que l'indemnisation du propriétaire des murs par l'expropriant, bien qu'elle soit réputée être au prix du marché, demeure souvent en deçà de la valeur du bail commercial ou du fonds perdu par le locataire.
Le bail commercial, sur une période de 9 ans ou plus en cas de renouvellement, représente bien plus qu'un simple espace physique. Il est le pilier de l'activité spécifique du locataire, que ce soit la vente de diamants ou la vente de primeurs.
Ainsi, c'est cette spécificité unique de l'activité qui est indemnisée au titre de la perte du fonds.
L'indemnité d'éviction pour perte du fonds, issue du non renouvellement du bail qu’elle soit versée par le Bailleur ou résulte d’une décision du juge de l’expropriation, vise à compenser la perte de ce chiffre d'affaires spécifique qui résulte de la perte du bail commercial.
Elle vise à garantir que le locataire puisse se réinstaller dans des conditions équivalentes et recouvrer le plein exercice de son savoir faire et de ses compétences, tout en prenant en compte la valeur économique réelle de son entreprise.
Conclusion
L'indemnité d'éviction dans les baux commerciaux en France, en plus de couvrir les frais de réinstallation et de déménagement, prend en compte la spécificité de l'activité du locataire.
Elle vise à réparer intégralement le préjudice subi, y compris la perte de chiffre d'affaires spécifique résultant de la perte du bail commercial.
Ainsi, elle assure une compensation équitable qui permet au locataire de poursuivre son activité dans des conditions similaires à celles qu'il avait avant la perte de son bail.
Tout d'abord, les baux commerciaux constituent la clé de voute souvent invisible des entreprises et des activités commerciales, qu'il s'agisse de petites boutiques locales ou de grandes entreprises nationales.
Ces contrats de location déterminent non seulement l'emplacement physique des entreprises, mais ils sont également inextricablement liés à la pérennité et à la stabilité de ces entreprises.
Cela permet aux locataires de se développer et de prospérer dans un environnement commercial prévisible, tout en garantissant aux propriétaires des biens une sécurité et une rentabilité raisonnables de leur investissement immobilier.
Ces cadres légaux et contractuels soutiennent la vitalité économique et la diversité des entreprises. Ils encouragent les entrepreneurs à prendre des risques et à investir dans leurs entreprises et s’avèrent essentiels pour soutenir la croissance économique, protéger les droits des entrepreneurs et maintenir un environnement commercial dynamique et équitable.
Au même nom de l’équité et de l’intérêt général nous constatons également chaque jour à l’occasion de transactions commerciales la place que prend la règle d’urbanisme dans la vie économique.
A l’occasion d’une cession de fonds de commerce, la déclaration d’intention d’aliéner déposée en mairie permet aux collectivités de s’assurer que le projet envisagé ne vient pas modifier la configuration et le devenir d’une zone de préemption renforcée. La liberté d’entreprendre se plie à l’intérêt général
Un projet de construction d’immeubles collectifs à travers le dossier de permis de construire se doit dans certaines zones définies par le PLUI s’attacher à ne point rompre le maillage habitat –commerces-services- loisirs) et l’équilibre d’un quartier soumis à une forte pression foncière (et surtout à la multiplication des demandes de changement de destination).
A titre de contre exemple une zone artisanale interdira certaines activités et en favorisera d’autres. L’entrepreneur devra alors avant tout projet choisir avec soin le lieu d’exploitation
La liberté d’entreprendre alors se conjugue avec l’intérêt général. Ces thèmes feront l’objet d’un prochain article.
Marseille le 04 juin 2024 - Laure TRAPÉ Avocat
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