Jurisprudence : Conseil d’Etat, 11 mars 2022, Commune de Saint-Pierre d’Alvey, n°454076

Texte : Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat

 

Le Conseil d’Etat a récemment eu l’occasion de rappeler que l’installation d’une statue monumentale de la Vierge Marie dans un emplacement public se heurte à l’interdiction consacrée par l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat [1] [2].

 

I. Le principe général d’interdiction d’élever ou d’apposer un signe ou un emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit

 

Une interdiction générale et stricte :

L’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 précitée interdit d’élever ou d’apposer des signes ou emblèmes religieux sur les monuments publics et dans les emplacements publics [1]. Sa méconnaissance est sanctionnée pénalement [3].

Cette règle a pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes et d’éviter qu’une personne publique manifeste la reconnaissance d’un culte ou sa préférence pour une religion [4]. Pour rappel, le principe de la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes découle du principe constitutionnel de laïcité [5] [7].

Cet article impose également aux collectivités, à l’Etat ou à leurs établissements publics d’agir lorsque des personnes privées implantent des signes ou emblèmes religieux dans les emplacements publics.

En effet, aucune tolérance n’est admise par le juge administratif qui considère que les autorités publiques ont alors l’obligation de faire retirer le signe ou emblème religieux installé en méconnaissance de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 précitée [2] [4].

 

La notion d’emblème et signe religieux :

La qualification du caractère religieux d’un emblème ou signe ne pose généralement pas de difficulté.

Cependant, il est admis qu’un emblème ou signe perde son caractère religieux lorsqu’il présente un caractère culturel, artistique ou festif. Ce caractère culturel, artistique ou festif s’apprécie alors au regard du contexte, des conditions particulières d’installation de l’élément en cause, de l’existence ou de l’absence d’usages locaux et du lieu de cette installation [5] [6].

De plus, l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 précité s’applique à tout emblème ou signe religieux même s’il a été entièrement financé par des fonds privés [2] ou si son installation a vocation à rester temporaire [5].

Enfin, l’interdiction ne couvre pas les signes et emblèmes qui existaient déjà lors de son adoption [8].

 

La notion de monument et d’emplacement publics :

Par monument public, on entend tout édifice public, ouvert ou non au public, à l’intérieur comme à l’extérieur, et autre que les édifices servant au culte ou les musées.

Par emplacement public, on entend toute propriété publique. Ainsi, cette notion recouvre même les dépendances du domaine privé [9].

 

II. Les exceptions à l’interdiction d’élever ou d’apposer un signe ou un emblème religieux sur quelque emplacement public que ce soit

 

Par exception, l’article 28 de la loi du 09 décembre 1905 autorise que des signes ou emblèmes religieux soient érigés sur [1] :

  • Des édifices servant au culte ;
  • Des terrains de sépulture dans les cimetières ;
  • Des monuments funéraires ;
  • Dans des musées ou expositions.

Il s’agit d’une liste exhaustive et limitative. Elle est interprétée strictement [2].

 

Par exemple, un monument élevé à la mémoire des morts de la première guerre mondiale comportant une croix portant l’inscription « Dieu – Patrie » peut être édifié sur une place publique [10].

 

III. La solution logique du 11 mars 2022 du Conseil d’Etat à propos d’une statue monumentale de la Vierge Marie

 

En 2014, des particuliers ont édifié une statue monumentale de la Vierge Marie (d’une hauteur de 3,60 mètres), sur des fonds privés et l’ont érigée au sommet du Mont-Châtel situé sur le territoire de la commune de Saint-Pierre d’Alvey.

Des habitants ont alors demandé au maire de la commune de retirer cette statue religieuse estimant que son installation méconnaissait les règles prescrites par la loi du 9 décembre 1905 précitée. Devant le refus du maire, ils ont alors saisi le Tribunal administratif de Grenoble. L’affaire a été portée jusqu’au Conseil d’Etat [2].

 

Par un arrêt en date du 11 mars 2022 [2], le Conseil d’Etat a jugé que l’implantation d’une statue de la Vierge Marie sur le Mont-Châtel était contraire à l’interdiction générale d’élever ou d’apposer un signe ou un emblème religieux sur quelque emplacement public que ce soit.

De plus, et pour la première fois, le juge administratif a précisé qu’une dépendance du domaine privé d’une commune peut constituer un emplacement public au sens de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 précitée.

En outre, il a refusé de considérer que le Mont-Châtel puisse être regardé comme un édifice servant au culte bien que comportant déjà une ancienne croix et accueillant des processions religieuses. Par suite, la commune de Saint-Pierre d’Alvey n’a pu faire jouer l’exception prévue à l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905.

 

Le 17 mai 2022, par Maëlle Meurdra, Avocate au Barreau de Rennes

Tél. : 06 21 87 13 23

Mél. : cabinet@meurdra-avocat.fr

Site internet : meurdra-avocat.fr

 


[1] Article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : « Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »

[2] Conseil d’Etat, 11 mars 2022, Commune de Saint-Pierre d’Alvey, n°454076, conclusions Romain Victor

[3] Article 29 de la loi du 9 décembre 1905 précitée

[4] Conseil d’Etat, 25 octobre 2017, Commune de Ploërmel, n°396990 : à propos de l’installation d’une arche ornementée d’une croix sur une statue monumentale du Pape Jean-Paul II

[5] Conseil d’Etat, Ass., 9 novembre 2016, Commune de Melun, n°395122, conclusions. Aurélie Bretonneau : à propos d’une crèche de Noël ; Conseil d’Etat, Ass., 9 novembre 2016, Fédération de la libre pensée de Vendée, n°395223, concl. Aurélie Bretonneau : à propos d’une crèche de Noël

[6] En revanche, il ne suffit pas que le monument présente un intérêt économique et touristique pour la commune pour s’affranchir de l’interdiction posée par l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 précitée (Conseil d’Etat, 25 octobre 2017, Commune de Ploërmel, n°396990).

[7] Article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 ; Décision n°2012-297 QPC du Conseil constitutionnel du 21 février 2013 ; Conseil d’Etat, 16 mars 2005, Ministre de l’Outre-Mer, n°265560

[8] L’article 28 de la loi du 9 décembre 1907 précitée ne s’appliquant que pour l’avenir, il n’interdit pas la réfection ou la restauration d’un signe ou emblème religieux installé avant 1905 et endommagé depuis (Conseil d’Etat, 12 janvier 1912, Commune de Montaut, n°38934).

[9] Par ailleurs, la décision du refus d’un maire de déplacer un signe ou un emblème religieux de l’emplacement public duquel il a été implanté relève de la compétence des juridictions de l’ordre administratif alors même que cet emplacement constituerait une dépendance du domaine privé communale (Conseil d’Etat, 11 mars 2022, Commune de Saint-Pierre d’Alvey, n°454076).

[10] Cour administrative d’appel de Lyon, 16 mars 2010, n°07LY02583

En revanche, il ne permet pas la réfection de statue de la Vierge Marie réalisée et installée après la promulgation de la loi du 9 décembre 1905 et endommagée par un accident de la circulation en  2020 (Tribunal administratif de Poitiers, 3 mars 2022, n°2100952).