En pleine crise sanitaire, Monsieur Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie et des Finances a déclaré, le 28 février 2020, que le Coronavirus était "un cas de force majeure pour les entreprises, salariés et employeurs"[1], en particulier dans les marchés publics de l’État, justifiant l’inapplication des pénalités en cas de retard d’exécution des prestations contractuelles.
A ce titre, le Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, prévoit notamment :
« I. Les établissements relevant des catégories mentionnées par le règlement pris en application de l'article R. 123-12 du Code de la construction et de l'habitation figurant ci-après ne peuvent plus accueillir du public jusqu'au 15 avril 2020 ».
Il est évident que de telles mesures sont de natures à rendre impossible l’exécution de certaines obligations contractuelles.
Dans ce contexte, le débiteur d’une obligation contractuelle peut être enclin à faire usage de la notion de force majeure pour tenter d’échapper à ses obligations contractuelles.
Rappelons que l’article 1218 du Code civil dispose que :
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.
Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »
Le premier réflexe à avoir est indiscutablement d’analyser les dispositions contractuelles du contrat en cause. En effet, il est important de rappeler que la force majeure en qualité de cause libératoire d’une obligation contractuelle peut être circonscrite, aménagée, ou tout simplement écartée dans le contrat ou encore voir ses effets considérablement affaiblis du fait de la volonté des parties.
En effet, à l’aune du principe du consensualisme présent en droit français, les parties peuvent décider que, même dans l’hypothèse de la survenance d’un cas de force majeure, les stipulations contractuelles doivent s’appliquer et notamment les frais et pénalités liés au dédit d’une partie.
Au regard de la crise sanitaire du Coronavirus en elle-même, la caractérisation du cas de force majeure peut également faire débat.
Au regard d’abord, des conditions légalement posées.
Ainsi que nous l’avons indiqué l’article 1218 du Code civil, reprend peu ou prou, en les élargissant les anciens critères de caractérisation du cas de force majeure que sont : l’imprévisibilité, l’irrésistibilité et l’extériorité.
Si l’extériorité ne fait pas trop de débat, il n’en va pas de même des conditions d’imprévisibilité et d’irrésistibilité.
L’imprévisibilité va être étroitement conditionnée par la temporalité de l’obligation et la date de conclusion du contrat.
En effet, il est important de rappeler à ce stade que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a déclaré, le 30 janvier 2020[2], que le Covid-19 constituait une urgence de santé publique de portée internationale.
A ce titre, tous les contrats conclus postérieurement à cette déclaration seront fatalement plus sujet à débat dans la reconnaissance du caractère imprévisible de la crise du Coronavirus et de ses conséquences comme cas de force majeure.
Il en est de même pour ceux conclus, particulièrement dans le domaine de l’évènementiel, après la promulgation des arrêtés du 09 mars 2020[3] et du 13 mars 2020[4] interdisant respectivement les regroupements de plus de 1 000 et 150 personnes.
L’irrésistibilité fait, à notre sens, encore plus débat. En effet, si l’épidémie en elle-même ne peut suffire à caractériser un cas de force majeure, les conséquences qu’elle entraîne ne sont pas toujours de nature à remplir le critère d’irrésistibilité.
Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux cas de jurisprudence, qui certes, diffèrent du cas présent au regard de son caractère inédit, mais permet de relativiser l’appréciation des Tribunaux en pareille matière.
Au sujet de la crise sanitaire relative au Chikungunya, la Cour d’appel de Basse Terre a pu juger que « s'agissant de la présence du virus Chikungunya, en dépit de ses caractéristiques […] et de sa prévalence dans l'arc antillais […], cet événement ne comporte pas les caractères de la force majeure au sens des dispositions de l’article 1148 du Code civil. En effet, cette épidémie ne peut être considérée comme ayant un caractère imprévisible et surtout irrésistible puisque dans tous les cas, cette maladie soulagée par des antalgiques est généralement surmontable (les intimés n'ayant pas fait état d'une fragilité médicale particulière) et que l'hôtel pouvait honorer sa prestation durant cette période »[5].
De la même manière, la Cour d’appel de Nancy a de même estimé que l’épidémie de Dengue ne revêtait pas les caractéristiques de la force majeure car notamment, « cette maladie a concerné environ 5 % de la population » qui ne « présentait pas de complications dans la majorité des cas »[6].
L’enseignement tiré de ces décisions, nous appelle à la plus grande prudence au regard notamment des mesures inédites, jamais prises, dans notre pays.
Naturellement, l’appréciation du caractère irrésistible devra se faire in concreto relativement au secteur d’activité, au type de contrat en cause et bien évidement aux dispositions contractuelles prévues.
Enfin, à supposer que les conséquences de la crise sanitaire du Covid-19 et les mesures prises comme constitutives d’un cas de force majeure, les effets de cette reconnaissance ne pourraient être ipso facto considérées comme libératoire des obligations contractuelles des parties au contrat.
En effet, et comme en dispose, l’article 1218 du Code civil, la force majeure suspend l’exécution du contrat empêchée par l’événement caractéristique d’un cas de force majeure.
Les obligations sont donc reportées et non annulées. Le contrat (et les obligations qui en découlent) ne seront annulées que si le retard pris dans l’exécution de ce dernier rend sans objet ou caduque la prestation.
Au regard de ce qui précède, la mise en jeu de la notion de force majeure est loin d’être acquise du seul fait de la crise sanitaire que nous traversons et de ses effets.
Néanmoins, d’autres dispositifs contractuels peuvent être utilement mis en avant par les parties au contrat pour réaménager leurs obligations contractuelles dans le cadre d’une négociation intelligente menée entre les parties.
En effet, résultant du nouvel article 1195 du Code civil, celui-ci dispose : « si un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent demander d’un commun accord au Juge de procéder à l’adaptation du contrat. À défaut, une partie peut demander au Juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».
A l’instar de l’analyse de la force majeure, le premier réflexe doit nous conduire à analyser le contrat en ce qu’il peut spécifiquement écarter l’application d’un tel dispositif.
Pour l’ensemble des contrats conclu après le 30 septembre 2016, cette notion semble bien plus aisée à appliquer au cas d’espèce. En effet, tant la condition relative au « changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat » que celle faisant référence « à l’exécution devenue excessivement onéreuse pour une partie ».
A la différence de la force majeure l’imprévision ne rend pas l’exécution de l’obligation impossible mais seulement plus difficile.
Dans ce cas de figure, la partie s’estimant lésée par le changement imprévisible de circonstances peut demander une renégociation contractuelle à son partenaire dans un premier temps. En cas de refus de l’autre partie, les parties peuvent décider de la résolution du contrat ou saisir le juge conjointement au moyen d’une requête prévue à l’article 57-1 du Code de procédure civile.
En cas d’impossibilité de trouver un consensus, l’une des parties peut saisir le Juge.
En ce qu’il instaure un arsenal progressif de mesures de règlement des litiges dans le cadre d’une négociation contractuelle, ce dispositif nous semble particulièrement adapté à la crise sanitaire actuelle dans laquelle bien des incertitudes demeurent.
[1] Déclaration de Monsieur Bruno Le Maire du 28 février 2020
[2] Déclaration conjointe MOT OMS, 27 févr. 2020.
[3] Arrêté du 9 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 (JORF n°0059 du 10 mars 2020 texte n° 16)
[4] Arrêté du 13 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 (JORF n°0063 du 14 mars 2020 texte n° 27)
[5] CA Basse-Terre, 17 décembre 2018, RG n°17/00739
[6] CA Nancy, 22 novembre 2010, RG n° 09/00003
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