De prime abord, partons du postulat qu’il existe une homologie entre ces deux branches du droit concernant la notion d'insuffisance professionnelle.

En effet, sur le contenu de cette notion il apparait une symbiose entre le droit civil et le droit administratif. (Voir notre article village de la justice ; l’attrait des dispositions du droit du travail)

Pour examiner notre sujet il conviendra d'étudier dans un premier temps les jurisprudences en droit social (I) pour ensuite aborder de droit de la fonction public (II)

 

  1. Les jurisprudences en droit social :

 

Au préalable, il convient de rappeler que depuis la Loi du 13 juillet 1973 le licenciement doit respecter une procédure et être fondé sur un motif réel et sérieux et qui doit être accompagné d'un préavis et du versement d’indemnités (article L 1232-1 du code du travail)

 Le licenciement d’un salarié pour insuffisance professionnelle se définit généralement comme l’incapacité objective et durable d'un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification.

Le salarié ne remplissant pas de manière satisfaisante les missions confiées par l’employeur dans le cadre de son contrat de travail.

 Il s'agit donc d'un licenciement non disciplinaire dépendant du pouvoir de l’employeur de sorte que l'insuffisance doit être particulièrement justifiée par des éléments objectifs et solides (ex : Cass soc 3 oct. 2000 N 98-42.522)

En d’autres termes, les motifs exposés par l’employeur a l’égard du salarié doivent  constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Si c’est le cas, le salarié a droit :

  • Au respect de la durée de préavis

 

  • Au bénéfice de l’indemnité légale et conventionnelle de licenciement.

 

 

  • L’allocation de chômage

 

Néanmoins, en vue de limiter l’arbitraire de l’employeur dans cette matière le juge civil est intervenu.

En effet, le pouvoir de direction et contrôle de l'employeur ne signifie pas pour autant un arbitraire dans les motifs de licenciement d'un salarié.

Comme nous l’avons dit plus haut, il doit exister des motifs précis et objectif caractérisant l'incapacité pour le salarié de remplir sa prestation de travail relevant de sa qualification

« Mais attendu que la cour d'appel a exactement décidé que l'employeur, qui faisait effectuer à la salariée des tâches ne relevant pas de sa qualification et étrangères à l'activité pour laquelle elle avait été embauchée, ne pouvait lui reprocher les erreurs commises dans son travail ; qu'il s'ensuit que le moyen n'est pas fondé … (Cass soc 2 février 1999 n°96 44-340)

 

Par ailleurs, pour examiner les motifs de licenciement d'un salarié, le juge doit prendre en considération un faisceau d'indices (notamment l’évaluation professionnelle, l’ancienneté …)

Précisons que l’employeur doit avoir respecté, comme l’employeur public, son obligation d'adaptation du salarié à l'évolution de son poste de travail (C. trav., art. L. 6321-1), il s’agit d’un devoir d’adaptation et de reclassement du salarié.

 

  1. Le droit de la fonction publique :

 

 La perte d'emploi d’un agent public contractuel ou titulaire, peut résulter d’une insuffisance professionnelle, si et seulement si le fonctionnaire n'a pas le droit à une pension de retraite avec jouissance immédiate.

 

Pour ce qui concerne les stagiaires, ils peuvent être licenciés pour insuffisance professionnelle à la seule condition qu'ils aient effectué au moins la moitié de leur stage et s’ils ne sont pas titulaires dans un autre corps ou cadres d'emploi.

 En outre, certaines garanties s’appliquent aux stagiaires comme aux fonctionnaires : c'est ainsi que le licenciement pour insuffisance professionnelle ou pour faute de l'agent stagiaire est subordonné à l'avis de la CAP

A présent, il convient de préciser l’acception exacte de l’insuffisance professionnelle donnée par la jurisprudence administrative.

Elle se caractérise par le fait que l’agent est dans l’incapacité de remplir les tâches qui lui sont confiés ce qui à pour conséquence de perturber le bon fonctionnement du service.

Ainsi, pour donner un exemple topique, le licenciement pour l’incompétence notoire d’une infirmière :

« (….) il résulte de l'instruction, et notamment des appréciations portées sur la requérante par les différents responsables des services dans lesquels elle a travaillé depuis 1992, que Mlle X... n'était pas apte à assumer les responsabilités afférentes à sa qualité d'infirmière et que son insuffisance professionnelle justifiait au fond la mesure prise à son encontre ( CAA Bordeaux 29 novembre 2001 98BX01165)

 

Récemment, le Conseil d’Etat est intervenu en vue d’ affiner la définition de cette notion :

 

« (…) Le licenciement pour insuffisance professionnelle d'un agent public ne peut être fondé que sur des éléments révélant l'inaptitude de l'agent à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé s'agissant d'un agent contractuel ou correspondant à son grade s'agissant d'un fonctionnaire et non sur une carence ponctuelle dans l'exercice de ces fonctions (CE 20 juillet 2021n° 441096)

 

De même, le licenciement  doit tenir compte du comportement professionnel de l'agent, pouvant se matérialisé par des faits anciens :

Considérant que le moyen de la requête tiré de ce que, contrairement à ce qui a été jugé par le tribunal administratif, le comportement professionnel de M. Y.… pris dans son ensemble pouvait légalement justifier son licenciement pour insuffisance professionnelle  ….(CAA Nancy, 18 décembre 1997, n° 97NC00244, CHS Novillars).

 

Tout ceci devant permettre d'établir son inaptitude à exercer les fonctions correspondant à son grade ; (CAA Nancy, 17 mars 2005, n° 00NC00810, V P. c/ Cne Nogent-sur-Seine :).

 

Au niveau procédural, rappelons avec vigueur, qu’à l'instar du droit privé, cette procédure n’est pas une sanction disciplinaire (CE 8 mars 1974 N°8628, CE 7 sept 2000 N°198071)

De sorte qu’elle ne doit pas être motivée par une faute disciplinaire (CE, 19 janv. 1979, Min. santé c/ Paumier :), ni par l'inaptitude physique ou l'état de santé du fonctionnaire (CE, 2 mars 1951, B : - CE, sect., 25 févr. 1972, F ).

Par ailleurs, l’article L. 553-2 du code général de la fonction publique énonce que :

" Le licenciement d'un fonctionnaire pour insuffisance professionnelle est prononcé après observation de la procédure prévue en matière disciplinaire " (CE  3 MAI 2023 466103)

 

C’est à dire concrètement permettre à l’agent d’avoir accès à son dossier administratif tout en recueillant l’avis du conseil de discipline.

En outre, l'agent public (titulaire ou contractuel) licencié pour insuffisance professionnelle peut prétendre au versement d'une indemnité de licenciement.  

Enfin, pour parachever ce panorama de jurisprudences administrative, il convient d’aborder l’épineuse question de la confrontation entre l’insuffisance professionnelle et la situation de handicap.

Précisons d’emblée que ce licenciement ne peut intervenir pour un motif exclusivement tiré de l’ état de santé de l’agent (CE 25 février 1972 n°80674)

Selon la jurisprudence récente, le licenciement ne doit pas avoir un lien direct et certain avec un handicap qui serait par conséquent considéré comme discriminatoire et donc susceptible d'engager la responsabilité de l'administration pour faute (CAA de Marseille n°21MA01214 5 avril 2022)

Pour ce qui concerne l'office du juge administratif, Il exerce un contrôle normal sur l'appréciation que porte l'administration sur la manière de servir un agent public.

Par voie de conséquence, compte tenu des répercussions   personnelles et financières de cette décision sur l’agent, le fardeau probatoire incombe à l'administration (CE 23 février 1994 N°136365)

Ainsi, lorsque les motifs invoqués par l’administration ne sont pas suffisants voire trop léger pour justifier un licenciement, le juge administratif censure naturellement la décision de licenciement prise par l’employeur public. (CAA Marseille 15 février 2000 97MA11405)

Pour conclure notre propos, la lecture des jurisprudences tant civiles qu’administratives semble se rejoindre sur le fait que l’insuffisance professionnelle s’entend comme un motif personnel de licenciement qui consiste en une incapacité pour le salarié ou l'agent public de remplir les fonctions et les tâches qui lui sont confiées.

 

Pour autant, il existe une divergence fondamentale qui tient au fait que le licenciement du salarié répond à une inexécution  partielle ou totale de ses obligations contractuelles alors que pour un agent public ce licenciement répond une perturbation dans le fonctionnement du service public.