[ Remarque: Je reproduis ici, sans modification, un ancien article précédement publié sur Viadéo en 2009. Onze ans plus tard, certaines règles ont changé, notamment en matière de prescription, mais le principe de la requalification demeure. D'autres articles sur le thème de la requalification seront publiés ici. ]
Le juge peut décider que le droit du travail doit s’appliquer dans des situations où les parties ne l’avaient pas envisagé initialement.
L’avocat se voit exposer des situations très variées que les parties n’ont pas qualifiées ou dont la qualification initialement donnée ne reflète pas, ou ne reflète plus, la réalité. La question de la requalification ne se pose pas tant que dure la relation, mais une fois rompue, la partie lésée peut vouloir demander réparation.
L’analyse des faits peut amener à conclure que, contrairement aux apparences données par les parties, voir contrairement à ce que les parties pensaient bien sincèrement, il s’agissait en réalité d’une relation de travail subordonné entraînant l’application du droit du travail.
Quelques exemples :
• Monsieur W est « formateur », il donne des cours particuliers d’anglais. Il exerce en tant que libéral. Bien évidemment, il n’a ni contrat de travail, ni fiche de paie. Il perçoit des honoraires de ses clients et cotise auprès de l’URSSAF et d’autres caisses auxquelles il est inscrit en qualité de libéral. Mais il faut regarder de plus près… Depuis 14 ans, Monsieur W travaille pour un client unique (un grand groupe d’assurance dont il forme les cadres dirigeants) qui l’occupe à temps plein sans possibilité de développer une autre clientèle. Il dispense ses cours exclusivement dans les locaux du groupe d’assurance, dont il utilise également le matériel. Son enseignement est axé sur les besoins du groupe (droit et pratique des assurances, modèles de contrats). Ses « élèves » fixent leur rendez-vous en fonction d’accords pris par leur employeur. L’activité de Monsieur W s’inscrit dans le cadre d’un service organisé du groupe d’assurance. Il existe des arguments sérieux pour soutenir qu’il est lui-même sous un lien de subordination…
• Madame X s’est vu promettre un contrat d’agence commerciale par une bijouterie dont elle développe la clientèle. Elle espère percevoir un pourcentage des ventes futures. En réalité, Madame X travaille dans les mêmes conditions que les autres salariés de la bijouterie : même lieu de travail, mêmes horaires de travail, mêmes contraintes hiérarchiques, même matériel de travail mis à sa disposition. Elle travaille à temps plein et exclusivement pour cette bijouterie. Certains documents de travail trahissent l’existence d’un lien de subordination…
• Madame Y a vécu quelques années avec un commerçant. Tant qu’à duré leur union, elle l’a aidé bénévolement à tenir la boutique…
• Mademoiselle Z est avocate, collaboratrice libérale dans un cabinet. Elle n’est donc pas salariée, et le droit du travail ne lui est pas applicable. Seulement, la surcharge de travail et les longs horaires l’empêchent de développer une clientèle personnelle. Certes, elle bénéficie d’une certaine autonomie dans son travail de collaboratrice, mais celle-ci reste théorique et le développement d’une clientèle personnelle est l’essence d’une collaboration libérale…
Un jour, le groupe d’assurance fait savoir à Monsieur W qu’il ne donnera plus de cours d’anglais. Un jour, Madame X quitte la bijouterie, lassée d’attendre vainement la régularisation du contrat d’agence commerciale. Un jour, Madame Y se sépare du commerçant et quitte la boutique. Un jour, Mademoiselle Z met en parallèle ses longues journées de travail, le poids des charges sociales et la faible rémunération nette qui lui reste.
Dans chacune de ces situations, les parties n’avaient pas envisagé une relation de travail salariée. Aucun contrat de travail n’a été signé, aucune fiche de paie n’a été établie, et aucune réclamation n’avait jamais été effectuée à ce titre. L’absence de réclamation pendant des années semble souligner la « normalité » de la situation.
Pourtant, le Conseil des Prud’hommes est compétent pour apprécier la relation de travail et la requalifier, si les conditions sont réunies, en travail salarié.
En pareille hypothèse, la rupture de la relation s’apparente à un licenciement, lequel est nécessairement sans cause réelle et sérieuse, faute de lettre de licenciement. Ce licenciement, qui par définition n’a respecté aucune règle, entraîne automatiquement la condamnation de l’employeur à payer le préavis de licenciement, ainsi que toutes les indemnités liées à la rupture de la relation de travail requalifiée : indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, etc…
De plus, selon les cas, la partie lésée (requalifiée de « salarié ») peut obtenir le paiement de rappels de salaires, y compris d’éventuelles heures supplémentaires ou prime d’ancienneté (les salaires se prescrivent sur cinq ans, soit jusqu’à 60 mois de salaire), le remboursement de tout ou partie des charges sociales payées sous le régime de travailleur libéral, mais aussi notamment le paiement d’indemnités compensatrices de congés payés et de toute autre indemnité qui serait justifiée, notamment indemnité compensatrice de repos compensateur, etc…
De fait, les conséquences financières de la requalification sont souvent lourdes pour l’employeur.
Marc Powell-Smith
Avocat à la Cour
Tél. : 01 40 54 99 89
Port.: 06 13 50 36 34
[ Rappel: Cette article est la reprise, sans modification, d'un ancien article précédement publié sur Viadéo en 2009. Onze ans plus tard, certaines règles ont changé, notamment en matière de prescription, mais le principe de la requalification demeure. D'autres articles sur le thème de la requalification seront publiés ici. ]
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