Requalification de travail indépendant en travail salarié et détermination du véritable employeur. Une société dans la grande distribution indemnise l’ancien salarié d’une SSII lequel demandait devant le Conseil de prud’hommes la requalification de son contrat.
I/ En 2004, Monsieur P. a été embauché en CDI par une SSII et a été placé en mission chez un client de celle-ci, un grand nom français de la grande distribution, où il occupait le poste de Chef de projet / analyste programmeur auprès de la direction des services informatiques. Pendant 14 ans, la SSII établissait les bulletins de paie.
En 2019, Monsieur P. a quitté la SSII mais a continué son travail pour la même société de la grande distribution dans le cadre du portage salarial. Pendant un an, il a bénéficié d’un CDI avec une société de consulting qui payait son salaire et établissait ses fiches de paie.
De 2020 à 2022, Monsieur P. est devenu prestataire indépendant au titre d’un contrat de sous-traitance conclu avec une société de services, renouvelé tous les 6 mois. Il est resté en poste auprès de la même société de la grande distribution. Il facturait dorénavant ses honoraires auprès de la société de services.
En 2022, le contrat de sous-traitance n’a pas été renouvelé et Monsieur P. a pris sa retraite. Il m’a consulté afin d’analyser la situation et faire valoir ses droits.
II/ L’analyse du dossier a permis de souligner le lien de subordination entre Monsieur P. et la société de grande distribution. J’ai déjà évoqué le lien de subordination dans divers autres articles, notamment « Requalification de contrats de travail : trois ingénieurs reçoivent un total de 925.000 euros ».
La démonstration de l’existence d’un lien de subordination est essentielle aux dossiers de requalification. Elle implique de décortiquer chacun des critères dégagés par la jurisprudence, d’où l’importance de préparer son dossier avec l’aide d’un avocat et de réfléchir à d’éventuelles demande de mesures d’instruction. Il arrive que l’on puisse se passer d’une telle démonstration, mais c’est plutôt rare.
Il peut être utile de démontrer un « intuitu personae ». Ici, nous avons pu rapporter la preuve que la SSII n’avait embauché Monsieur P. en 2004 qu’après un entretien tripartite impliquant également la société de la grande distribution laquelle avait validé l’embauche. En réalité, l’apport de la SSII se limitait à de la simple mise à disposition d’un salarié qui ne faisait pas partie de son effectif avant 2004 et que la SSII n’a jamais encadré.
Une telle organisation du travail est illégale, mais est fréquemment mise en place, y compris par des sociétés du CAC 40. Ces sociétés ont toutes des services juridiques importants. Devant le juge, leurs avocats invoquent parfois leur honorabilité pour tenter de se dédouaner (« Monsieur le Président, vous pensez bien qu’une société comme [Z] a réfléchi à la question. Nous ne pouvons pas avoir tout faux ! »). Et pourtant, si.
III/ Nous avons saisi le Conseil de prud’hommes et demandé au BCO de prendre une mesure d’instruction visant à la communication de certains documents utiles pour apprécier l’étendue des droits de mon client, déterminer le salaire brut de base servant au calcul des indemnités et renforcer la démonstration du lien de subordination.
Nous avons chiffré les indemnités correspondant à chacun des manquements au code du travail par la société de la grande distribution. Par définition, dans les dossiers de requalification, lorsque le statut de salarié a été injustement écarté, que l’employeur n’a pas appliqué le code du travail, les manquements sont nombreux et les indemnités demandées sont élevées. La rupture du contrat est assimilable à un licenciement sans cause réelle et sérieuse et bien d’autres chefs de demandes viennent se rajouter.
La société de la grande distribution a préféré transiger. Un protocole d’accord a donc été signé et mon client a été indemnisé environ 11 mois après m’avoir confié son dossier.
Marc Powell-Smith
Avocat au Barreau de Paris
06 13 50 36 34
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