Salarié d’une SSII pendant plus de 20 ans, Monsieur Y demande à la justice de reconnaître que pendant 13 ans, son véritable employeur était une banque auprès de laquelle il avait été placé en mission.  Le Conseil de prud’hommes s’est mis en départage.

 

Monsieur Y a conclu un contrat de travail avec une SSII en 2000.  Avec la restructuration du marché des services informatiques, son contrat de travail a été successivement repris par diverses sociétés mais il a conservé son ancienneté pendant plus de 20 ans.

Pendant deux décennies, il a été placé en missions auprès de clients de ces SSII.  Ces missions duraient en moyenne quelques mois, à une exception près : il a été en mission auprès d’une grande banque française (« la Banque ») de 2003 à 2009 et de 2012 à 2019, soit 13 ans au total.

Toutes ces missions se déclenchaient selon le même schéma : d’une manière ou d’une autre, la société cliente exprime le besoin de personnel pour occuper un poste en interne.  On est bien loin du contrat d’entreprise par lequel la société cliente demande une prestation à la SSII que celle-ci réalise dans un cadre contractuel défini, sous sa responsabilité et avec son propre personnel.

Monsieur Y a été sélectionné par la Banque après réception de son CV, fourni par la SSII, et une rencontre dans les locaux de la Banque ressemblant en tous points à un entretien d’embauche.  La SSII ne connaissant rien du poste, Monsieur Y a dû téléphoner lui-même à la Banque avant l’entretien afin de savoir de quoi il s’agissait.

 

Naturellement, une fois en poste dans les locaux de la Banque, Monsieur Y a dû obéir à une hiérarchie interne, laquelle a évolué avec les années et les changements de services au sein de la Banque.  Il n’avait quasiment plus de rapports avec la SSII qui ignorait tout de son activité.  Il n’est pas exagéré de dire que le seul rôle de la SSII a été de fournir le CV, de facturer la Banque en fin de mois (sans que l’on sache vraiment pour quel service) et d’établir les fiches de paie de Monsieur Y.

Outre l’aspect illégal de l’opération (opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’œuvre en dehors du cadre légal défini par le Code du travail), celle-ci apparaît particulièrement choquante si l’on considère que la marge de la SSII revenait à plus de 50% de la somme qu’elle facturait à la Banque pour le travail de Monsieur Y.

Après quelques années, la SSII a été déréférencée (la Banque a mis fin à ses « services »).  Mais la Banque a conservé Monsieur Y qui a alors été porté par une nouvelle SSII.  La Banque a imposé à Monsieur Y le choix de la nouvelle SSII et elle a imposé à cette dernière le « portage » de Monsieur Y.  Le même schéma s’est donc prolongé avec la nouvelle SSII / ESN.

A plusieurs reprises, l’embauche en directe de Monsieur Y a été envisagée, mais la Banque n’a finalement jamais donné suite.  Le supérieur de Monsieur Y lui a tout de même confié un motif discriminatoire avec le souhait de la Banque de « privilégier des personnes jeunes afin d’améliorer la pyramide des âges de ses collaborateurs ».

Par ailleurs, de nombreux éléments ont été produits établissant de manière analytique que le lien de subordination rattachait Monsieur Y non pas à la SSII / ESN dont il était salarié, mais bien à la Banque (j’ai évoqué certains thèmes nécessaires à l’analyse du lien de subordination dans un précédent article : Requalification de contrats de travail : trois ingénieurs reçoivent un total de 925.000 euros).

 

Monsieur Y a saisi le Conseil de prud’hommes d’une demande de requalification afin de faire reconnaître que la Banque avait la qualité d’employeur.  Le dossier a été plaidé et le Conseil de prud’homme s’est mis en départage.  Cela signifie qu’en raison de la formation paritaire du Conseil de prud’hommes (quatre conseillers prud’homaux issus à parité des deux collèges salariés et employeurs), aucune majorité n’a pu se dégager et qu’il faudra replaider le dossier devant la formation de départage.

Affaire à suivre.

 

Marc Powell-Smith

Avocat au Barreau de Paris

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