Les dossiers de requalification de faux travail indépendant en travail salarié ne sont pas rares.  Il en a beaucoup été question ces dernières années ; quelques dossiers symptomatiques ont même quitté le monde feutré de la justice et des ouvrages spécialisés pour se répandre plus bruyamment dans les médias grand public.

 

Ces affaires concernaient généralement des sociétés dont le modèle économique est à l’origine du principe de l’ubérisation (utilisation des nouvelles technologies, création de plateformes par des start-up, mise en relation directe des professionnels avec les clients, rémunération du travail à la tâche).  Un certain nombre de ces affaires concernaient des coursiers (sociétés de transport et de livraison).

 

La question de la requalification d’un travail indépendant en travail salarié continue cependant de se poser pour des relations de travail beaucoup plus classiques impliquant des employeurs « traditionnels » n’ayant rien à voir avec des start-up.  Si les médias grand public en parlent moins c’est que ces employeurs préfèrent la discrétion d’accords transactionnels assortis de bonnes clauses de confidentialité.

 

Ces accords transactionnels ne sont pas nouveaux.  Depuis 20 ans, j’ai déjà publié divers articles inspirés de ma propre pratique professionnelle.  Les employeurs se trouvent être de grandes banques françaises, des compagnies d’assurance de classe mondiale, des sociétés de télécommunication, des grands groupes du CAC 40 (on est bien loin de start-up à la recherche d’un nouveau modèle économique).  Les travailleurs sont souvent des ingénieurs, mais pas seulement.  Il y a aussi des formateurs, des directeurs, des représentants… (bref, des métiers que l’on pourrait qualifier de traditionnels).

 

Bon nombre de ces grandes sociétés ont recours à des travailleurs indépendants, parfois massivement, et dans des conditions contestables appelant une requalification.  Souvent, elles en ont parfaitement conscience mais maintiennent en place ce système.  Parfois, elles camouflent des opérations individuelles en les intégrant dans une opération plus complexe.  Parfois, dans un même service, les conditions d’emploi des uns sont différentes de celles des autres.  Mais, fréquemment, les critères du lien de subordination se retrouvent très majoritairement.

 

Mon approche consiste alors à décortiquer ces critères.  L’analyse est souvent longue et détaillée ; elle dépend bien sûr du nombre et de la qualité des pièces que mes clients sont en mesure de me fournir, généralement beaucoup d’e-mails et de documents de travail (heureusement les ingénieurs sont bien armés pour faire des sauvegardes !).  L’analyse met alors en lumière la réalité du lien de subordination.  Il faut ensuite déterminer le salaire brut de base à retenir et calculer les divers postes de préjudice (je ne présente jamais un montant global, mais une liste détaillée poste par poste).

 

Ces grandes sociétés respectables ont bien conscience du caractère douteux de leur pratique.  Un jour, l’avocat de l’une d’elle a plaidé devant le Conseil de prud’hommes que sa cliente était « une société sérieuse, elle ne fait pas n’importe quoi »  [ben voyons ! …], mais en privé, plusieurs confrères m’ont avoué que c’était un dossier « ultra-sensible », « suivi de près par la direction », etc…  En effet, les problématiques juridiques sont bien réelles et ces sociétés craignent qu’une jurisprudence défavorable se répande comme une trainée de poudre auprès des nombreux indépendants qui travaillent pour elles.

 

De fait, la plupart du temps ces dossiers sont transigés.  C’est peut-être pour ça qu’on en parle moins.

 

Marc Powell-Smith

Avocat à la Cour

51, avenue Raymond Poincaré

75116 Paris

 

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