Depuis l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, un barème d’indemnisation des licenciements qui seraient jugés sans cause réelle et sérieuse par le Conseil de prud'hommes a été mis en place et alloue ainsi entre 1 et 20 mois de salaire au salarié, en fonction de son ancienneté et de la taille de l'entreprise qui l'employait.

Depuis l’instauration de ce barème, le montant des dommages et intérêts versés au salarié est donc plafonné, sauf dans les cas de harcèlement moral, de discrimination ou de violation d'une liberté fondamentale.

Pourtant, les juges du fond font de la résistance!

En effet, pas moins de trois Conseils de Prud'hommes (Troyes le 13 décembre 2018, Amiens le 19 décembre 2018 et Lyon le 21 décembre 2018 et le 7 janvier 2019) ont d'ores et déjà écarté ce barème en se fondant pour ce faire sur :

  • L’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT sur le licenciement, ratifiée par la France le 16 mars 1989 qui précise que si les tribunaux « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

  • L’article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996, ratifiée par la France le 7 mai 1999 qui a repris ce même principe dans les termes suivants :« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître (…) :  b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. »

  • La décision du 8 septembre 2016 du Comité européen des droits sociaux (C.E.D.S), organe en charge de l’interprétation de la Charte, qui s’est prononcé sur le sens devant être donné à l’indemnité adéquate et à la réparation appropriée en énonçant que : « les mécanismes d’indemnisation sont réputés appropriés lorsqu'ils prévoient :

    •  le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l’organe de recours ;

    •  la possibilité de réintégration ;

    •  des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime. »

 

En dernier lieu, le 7 janvier 2019 (bien qu'il s'agisse d'une espèce où le barème n'était pas applicable), le Conseil de Prud’hommes de Lyon a confirmé sa volonté de faire prévaloir les dispositions internationales (en écho à son jugement du 21 décembre 2018) en jugeant que :

« Vu par ailleurs l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 qui indique que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois (...) »;

Vu l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation Internationale du Travail sur le licenciement (ratifiée par la France le 16 mars 1989) qui stipule que si « [les tribunaux] arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, (...), ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou tout autre forme de réparation considérée comme appropriée » ;

Vu l'article 24 de la Charte sociale européenne du 3 mai 1996 (ratifiée par la France le 7 mai 1999) a repris ce même principe dans les termes suivants : « en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître (...) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate à une autre réparation appropriée » ;

Vu le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS) qui s'est prononcé dans une décision rendue le 8 septembre 2016 (n° 106/2014), sur le sens qui doit être donné à « l’indemnité adéquate » et à « la réparation appropriée » dans les termes suivants : « les mécanismes d'indemnisation sont réputés appropriés lorsqu'ils prévoient :

  • le remboursement des pertes financières subies
  • la possibilité de réintégration
  • des indemnités d'un montant suffisamment élevé pour dissuader l'employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime » ;

Attendu que le contrôle de la conformité des lois par rapport aux conventions internationales (contrôle de conventionnalité) appartient désormais depuis les arrêts « cafés Jacques Vabres » (n° 73-13556) et « Nicolo » (n° 108243), aux juridictions « ordinaires » (en l'occurrence à la juridiction prud'homale), sous le contrôle de la Cour de cassation ;

Attendu que ce contrôle peut donc conduire, à la juridiction prud'homale, lors de l'examen d'un litige, à écarter la loi française pour faire prévaloir la Convention internationale dans la résolution du litige ;

Attendu que ce principe a été confirmé par la Cour Suprême qui a établi que la convention n° 158 de l'Organisation Internationale du Travail était « directement applicable » et a souligné « la nécessité de garantir qu'il soit donné pleinement effet aux dispositions de la convention » (Cassation Sociale 1er juillet 2008 n° 07-44 124 ») ;

Attendu que les indemnités octroyées doivent être en rapport avec le préjudice subi et suffisamment dissuasives pour être conformes à la Charte sociale européenne du 3 mai 1996 ;

Attendu que la Charte sociale européenne qui est un traité du Conseil de l'Europe adopté à Turin en 1961 et qui garantit les droits sociaux et économiques fondamentaux, doit donc être considérée comme la Constitution sociale de l'Europe ;

Attendu que le caractère contraignant de ladite Charte sociale ne fait plus de doute et que les principes qu'elle contient sont directement applicables devant le juge français ;

Attendu que la Cour de Cassation a reconnu son applicabilité directe dans un arrêt du 14 mai 2010 (n° 09-6 426) et se réfère notamment à ses articles 5 et 6 ;

Attendu en conséquence que la Charte sociale européenne du 3 mai 1996 et l'interprétation qu'en fait le Comité Européen des droits sociaux sont d'application directe en droit interne français et doivent conduire le Conseil à faire prévaloir la nécessité d'une indemnisation intégrale des préjudices subis par le salarié. »

 

Autant dire que le plafonnement des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse semble avoir du plomb dans l'aile et on ne peut que s'en réjouir!